J’ai rencontré Mme Monique Jaoul-Besson au cours d’un séminaire organisé le 20 novembre 2019 à l’hôpital Cochin et dont le thème était « A l’heure de la révision des lois de bioéthique, le désir d’enfant dans tous ses états ».
Monique Jaoul-Besson, docteur en psychopathologie, école doctorale « médecine scientifique et psychanalyse » de l’Université Paris 7 Denis- Diderot, psychologue dans le service d’AMP du CHI Poissy St-Germain. Ses recherches sont dans le champ de la périnatalité et en particulier dans le domaine de la procréation médicalement assistée (PMA ou ART).
Interview
- Pouvez-vous nous parler de votre expérience dans le domaine de la PMA ?
L’expérience de nombreuses années de collaboration avec une équipe d’AMP et avec les couples en demande d’enfant est particulièrement intéressante par la multiplicité et la complexité des problématiques qui s’y rencontrent.
Pour n’en citer qu’une j’évoquerai la nature transgressive de la science en particulier médicale en matière de procréation au regard des repères habituels tant symboliques (filiation), religieux, que sociétaux nouvelles pratiques de procréation, nouvelles familles : conception hors le corps, en agissant à la place des processus habituels (FIV, ICSI), faisant intervenir plusieurs procréateurs (dons). Autrefois la mère était certaine et le père incertain, aujourd’hui cette certitude est fragilisée même si, en France, la mère est encore toujours celle qui accouche.
Cette nature transgressive du progrès médical n’est pas sans effet sur les sujets, les couples et les équipes médicales.
- Selon vous, est-ce que les motivations des donneurs de spermatozoïdes sont différentes des donneuses d’ovocytes ?
Je ne peux répondre sur les motivations des donneurs, notre centre ne pratiquant que le don d’ovocyte, mais la rencontre avec les donneuses est toujours très riche :
1° constatation : dans ma consultation, qui fait partie avec l’entretien gynécologique et génétique de la prise en charge de toutes les donneuses, j’ai pu noter 3 catégories approximatives de donneuses :
– Les donneuses dites relationnelles qui viennent motivées par les difficultés de procréation de proches, qu’elles aient été directement sollicitées ou non.
– Les donneuses spontanées, souvent investies dans différentes démarches personnelles de don, appartenant souvent au corps médical, ou avec une culture familiale de don.
– Les donneuses mixtes qui ont pensé au don antérieurement mais dont la démarche de don est déclenchée par des difficultés de procréation dans leur entourage plus ou moins proche.
Quoiqu’il en soit je dirai que le don est à la croisée des chemins : celui particulier de chaque couple en attente de don et celui toujours singulier des candidates au don, chemins qui s’inscrivent pour les uns et les autres dans un moment particulier de leur histoire. Au-delà de la dimension d’empathie altruiste toujours très forte c’est une dimension souvent plus personnelle qui colore chaque don, différente pour chaque donneuse : par exemple certaines diront que le don donne un sens à leur vie, pour d’autres, à travers le don, il s’agira de réparer une injustice : celle que la vie fait à une femme en la rendant infertile, et au-delà des injustices vécues personnellement ou dans l’histoire familiale.
Bon nombre d’autres motivations différentes pourraient être évoquées car dans bon nombre de cas le don vient en écho, plus ou moins consciemment, à sa propre histoire. Il est le plus souvent fortement investi et lorsqu’une candidate donneuse se trouve devoir être récusée pour des raisons génétiques principalement, l’annonce de ce refus peut être source d’un désappointement particulièrement douloureux. Je ne saurai dire s’il en va de même pour les donneurs de spermatozoïdes.
- La loi prévoit un entretien psychologique obligatoire pour candidats au don sans enfants. Selon vous, faudrait-il rendre cet entretien obligatoire pour tous les donneurs, y compris ceux avec enfants ?
Dans notre centre d’AMP toutes les donneuses sont reçue par ne psychologue. C’est le 3° temps de la « démarche groupée » avec la consultation gynécologique et génétique. Ce que je viens de préciser concernant les motivations montre l’importance de ce temps de réflexion et il arrive que ce rendez-vous soit suivi d’autres à la demande de la donneuse.
- Est-ce que le candidat au don est évalué durant l’entretien avec le psychologue du CECOS ? Si oui, est-ce qu’une mauvaise évaluation peut aboutir à rejeter la candidature du donneur ?
Dans ma pratique je ne parlerai pas d’évaluation comme c’est le cas dans le processus d’adoption où il s’agit de l’intérêt de l’enfant. Là c’est l’intérêt de la candidate donneuse dont il est question. Dans ma pratique il s’agira de « dérouler » la démarche de don avec la donneuse et d’évoquer les réflexions et questions qui l’accompagnent, dans son contexte conjugal, familial, social. Plus que refuser une candidature il s’agira parfois de conseiller de prendre plus de temps de réflexion, voire d’aider la donneuse à dire non si elle n’est pas encore prête. En dehors de raisons médicales les cas où elles sont récusées sont très rares, et visent à protéger la donneuse de conséquences potentiellement défavorables du don pour elles-mêmes.
- Durant le séminaire du 19 novembre, il a été abordé la question des couples dont l’homme est âgé (60 ans ou plus) et qui ne vont pas être acceptés en parcours AMP. Selon vous, est-ce exact qu’il n’est pas bon pour un enfant d’avoir un père « âgé » ? Et selon vous, est-ce préférable pour un enfant d’avoir uniquement une mère ?
Alors que dans de nombreux centres la barre est mise à 60 ans pour les hommes, dans notre centre nous avons mis en place un « outil » permettant de décider au mieux dans certaines situations « limites », en particulier celle de couples dont l’hommes a entre 60 et 65 ans : 2 membres de l’équipe dont une psychologue, en dehors du médecin qui suit le couple, le reçoivent pour évoquer toutes les questions que poserait une paternité tardive, en particulier pour l’enfant qui naîtrait et grandirait dans ce contexte.
Par ex : en général peu de questions se posent lorsque l’enfant est petit mais qu’en sera-t-il lorsqu’il grandira, qu’en sera-t-il lorsqu’il aura 15 ans et que son père, qui l’a conçu à 65 ans, en aura 80 et que pèsera sur cet enfant des inquiétudes concernant la santé voire la vie de ce père âgé. Cet entretien sera ensuite rapporté à l’équipe lors d’un staff qui décidera d’accepter ou non la demande du couple.
La question de la monoparentalité est différente de celle que je viens d’évoquer : il ne s’agira pas de la question du vieillissement voire de la vie du père alors que l’enfant en a encore besoin, mais de celle de se construire en l’absence d’un père, d’un père-tiers, et de la présence ou non d’autres tiers suffisamment présents, nécessaires au bon développement de l’enfant.
- Au cours du séminaire, il a été abordé le cas des donneurs qui n’ont pas d’enfants (soit pas choix, soit par impossibilité). Il a été donné plusieurs motivations possibles pour ces donneurs : régler une dette de vie vis-à-vis la société et la dette transgénérationnelle, la culpabilité de ne pas avoir d’enfant, avoir un enfant par procuration, etc.
Pouvez-vous nous donner votre point de vue ?
Je n’ai pas encore suffisamment de recul sur cette question, le décret d’application de la loi étant encore assez récent, mais il est vrai que j’ai rencontré chez ces femmes sans enfant candidates au don des femmes qui ne souhaitaient pas d’enfant pour elles-mêmes. Cette motivation pourrait intervenir parmi d’autres, comme par exemple vouloir être rassurée sur leur fertilité tout en voulant pas procréer pour différentes raisons ; on pourrait aussi citer le cas de femmes en couple homosexuel ayant eu un enfant avec un don de sperme et souhaitant « rendre » quelque chose de ce don précieux pour elles en donnant à son tour.
- Les donneurs sans enfant ont la possibilité de bénéficier d’une autoconservation de leurs gamètes. Est-ce que vous savez si les donneurs que vous avez rencontrés ont demandé à bénéficier de cet avantage ?
Oui, mais pas très fréquemment. Jusqu’à présent la démarche de don intervient le plus souvent indépendamment d’un désir d’autoconservation même si en fin de compte cette autoconservation est réalisée.
- Est-ce que les donneurs que vous avez rencontrés souhaitaient savoir si leur don a permis au moins une naissance ?
Oui, c’est assez souvent le cas mais il me semble que cela dépend de la conception que la donneuse se fait du don. Lorsqu’il est représenté sous un angle principalement symbolique : aider un couple à devenir parent, une femme à devenir mère, cette question ne se pose pas la plupart du temps. Lorsque le don est représenté sous un angle plus concret, dans sa concrétisation, la naissance d’un enfant, la question pourra se poser, de même que celle d’aimer savoir si l’enfant va naître dans « une bonne famille ». Mais peut-être aussi s’agit-il de vouloir savoir si l’objectif du don, réparer une injustice, est bien atteint ? L’enfant n’est-il pas souvent espéré, rêvé, comme celui qui va combler tous les chagrins de la vie ?
- Concernant les donneurs que vous avez rencontrés, quel était leur opinion sur l’accès aux origines ? Seraient-ils d’accord pour rencontrer une personne issue de leur don si celle-ci en faisait la demande ?
A cette question la réponse était peu fréquemment positive jusqu’à ces derniers temps : la question de la position de l’enfant au regard de l’anonymat du don qui l’a fait naître rarement pris en compte par les donneuses. La crainte qu’un enfant né de leur don vienne un jour frapper à leur porte est souvent évoquée. Cependant il semble que le projet de modification de la loi joue déjà un rôle d’ouverture à cette possibilité et les craintes moins présentes. Souvent lorsque les donneuses ne sont pas très favorables à la levée de l’anonymat cela ne leur ferait pas pour autant renoncer au don.
- Encore durant le séminaire, il a été longuement évoqué la technique ICSI qui permet d’obtenir des embryons avec un fort taux de réussite. Cependant, certains ont exprimé des inquiétudes sur le fait qu’on n’ait pas de certitude sur l’innocuité de cette technique. Il a été dit que les enfants issus par AMP avaient environ 30% de chance en plus d’avoir un trouble psychologique. Il a également été dit que les enfants ont davantage de malformations cardiaques. Si je ne me trompe pas, Monique BYDLOWSKI, estime qu’il serait bon de faire une pause afin de prendre le temps de mener des études scientifiques sur une éventuelle nocivité pour l’enfant.
Quel est votre point de vue ?
Il me semble qu’il y a à ce sujet un défaut d’information ; si le risque de transmission de l’infertilité est souvent évoqué, celui des malformations cardiaques jamais mentionné par les couples. Y a-t-il un déni côté médical ? côté des couples ? il est vrai que la transgression des règles de bonnes pratiques de recherche médicale est là flagrante, est-ce que cela expliquerait le déni ?
- Certains professionnels de l’AMP ont exprimé au cours du séminaire leur sentiment que les couples qui avaient recours à l’AMP étaient désireux d’avoir un bébé « parfait ».
Qu’en pensez-vous ?
Le désir du bébé parfait, de l’enfant parfait qui colle aux désirs des parents n’est pas loin s’en faut la propriété exclusive des couples en AMP. Il est vrai qu’une telle attente peut parfois s’expliquer par l’importance des efforts consentis ! l’enfant-réparateur de toutes ces souffrances doit être à la hauteur ! dans le cadre du don il y a peut-être une surexpression de cette attente du fait de « l’ombre de la donneuse » que telle ou telle particularité inattendue viendrait rappeler, et avec elle la blessure de l’infertilité. L’enfant parfait devrait effacer toute présence étrangère tout en venant combler les chagrins de cette incomplétude qu’atteste l’infertilité.
- Certains donneurs peuvent plusieurs années après leur don se poser des questions. Est-ce que vous recommanderiez à ces donneurs de consulter un psychologue du CECOS, ou bien, de consulter un psychologue du privé ?
Les psychologues des centres d’AMP et des CECCOS ont une bonne connaissance des questions concernant le don, questions techniques, légales, psychologiques, cependant ce sont des questions souvent existentielles faisant écho à sa propre histoire, questionnement qui peut être accompagné par les professionnels « non spécialisée ».
- Que pensez-vous de la loi de bioéthique qui vient de passer en première lecture à l’assemblée nationale ?
Les questions que posent les projets de modification des lois sont complexes. Ces modifications entraînent des changements importants dans les repères habituels qu’ils soient symboliques (la filiation), ou sociaux dont on ne connaît pas encore les effets. Un dénominateur commun qui semble être « le même droit pour tout le monde » augure que les évolutions n’en resteront pas là… d’autres questions sont à venir !
Nous vous remercions pour toutes ces réponses