Les droits des personnes issues d’un don supérieures à ceux des donneurs ?

Est-ce qu’il existe une hiérarchie entre les droits des donneurs et des personnes issues d’un don ?

Le CPDH (Comité Protestant Evangélique pour la Dignité Humaine) a publié le 5 juin 2023 un article traitant de la QPC 2023-1052.

« La semaine dernière, nous vous avions parlé de la première personne née d’une PMA avant la loi de bioéthique 2021 et qui avait pu retrouver son donneur grâce à la procédure officielle, très complexe. Aujourd’hui, nous attendons la décision du Conseil Constitutionnel qui pourrait déclarer cette procédure inconstitutionnelle. »

Le CPDH fait référence à « Charles » qui a fait une demande auprès de la CAPADD pour obtenir l’identité de son donneur. La QPC ne porte pas atteinte à ce droit et quelle que soit la décision du Conseil Constitutionnel, les personnes issues d’un don pourront bien évidemment continuer à faire des demandes auprès de la CAPADD.

Dans l’hypothèse où un ancien donneur (c’est-à-dire qui a fait son don avant le 1er septembre 2022) est favorable à la communication de son identité, la procédure est relativement simple. Il suffit dans un premier temps de transmettre son consentement à la CAPADD, puis de remplir un formulaire et de le transmettre à un médecin travaillant dans un centre de don afin qu’il entre les données dans le registre des dons tenu par l’Agence de la biomédecine. La QPC ne porte pas atteinte à ce droit et quelle que soit la décision du Conseil Constitutionnel, les anciens donneurs pourront bien évidemment continuer à consentir à la communication de leur identité.

Quand la CAPADD reçoit une demande, elle consulte le registre des dons géré par l’Agence de la biomédecine et si le donneur figure dedans, il est possible de transmettre ses données aux personnes issues de son don. C’est ce qui s’est passé pour Charles et c’est ce qui continuera à se produire quelle que soit la décision du Conseil Constitutionnel concernant la QPC.

Il est donc faux de prétendre que la QPC pourrait avoir pour conséquence d’empêcher des personnes issues d’un don d’accéder à leurs origines.

« Espérons que les juges entendront la souffrance de tous ceux privés de leurs origines et du droit de savoir. Les droits de l’enfant doivent prévaloir sur ceux des adultes. »

De notre côté, nous estimons que les donneurs n’ont rien fait de mal, qu’ils ont le droit comme tout le monde de bénéficier de la dignité humaine et de ne pas voir leurs droits bafoués.

Est-ce que le CPDH est informé des conditions à remplir pour avoir le droit de saisir la CAPADD ? Ce droit de saisir la CAPADD est réservé aux personnes issues d’un don qui sont majeures, c’est-à-dire des adultes ! A titre informatif, ceux qui saisissent la CAPADD ont en moyenne 34 ans et ne sont en rien des enfants. Il est donc faux d’employer le terme enfants pour désigner les personnes issues d’un don qui exercent leur droit d’accès aux origines. Il n’y a bien évidemment pas de hiérarchie des droits entre 2 adultes.

Il se peut éventuellement que le CPDH emploie le terme de « enfant » non pas pour désigner un mineur, mais dans le cadre d’un lien de filiation/parenté. Avec le sous-entendu que les droits des enfants est supérieur à ceux de leurs parents. Des associations de personnes nées sous X estiment notamment que leur droit d’accès aux origines devrait primer sur le droit de leur mère à accoucher dans le secret. Cependant, est-ce possible d’établir une comparaison entre une mère qui abandonne son enfant avec une femme qui fait un don d’ovocytes ?

Le dictionnaire donne la définition suivante du mot « mère » : « femme qui a mis au monde, élève ou a élevé un ou plusieurs enfants ». Je n’ai pas connaissance qu’il soit indiqué une autre définition du mot mère dans la Bible.

Une femme qui accouche et qui va ensuite abandonner son bébé peut être considérée comme la mère de l’enfant. Une femme qui ne fait que donner des cellules (des ovocytes), ne peut en revanche pas être considérée comme la mère. C’est la raison pour laquelle, dire que les droits de l’enfant sont supérieurs à ceux de sa mère ne peut pas s’appliquer dans le cadre du don de gamètes.

Il nous semble mal venu de vouloir établir une hiérarchie entre les droits d’individus adultes n’ayant aucun lien de filiation/parenté entre eux.

La question du consentement pour les anciens donneurs sous tutelle

La loi relative à la bioéthique promulguée le 2 août 2021 a instauré un droit d’accès aux origines pour les personnes issues d’une AMP avec tiers donneur. Nous pensons qu’il est souhaitable de clarifier les modalités d’application de ce nouveau droit et c’est la raison pour laquelle, nous avions fin 2021/début 2022 posé de nombreuses questions à l’Agence de la biomédecine mais ils n’avaient pas su nous répondre car ils attendaient la publication des décrets et arrêtés afin de mieux comprendre comment serait appliqué le droit d’accès aux origines. Dans ces questions posées pour lesquelles nous n’avions pas pu avoir de réponse, figurait une question sur les donneurs sous tutelle.

Afin de rendre effectif le droit d’accès aux origines, il a été mis en place une Commission (la CAPADD). Le ministère de la Santé a souhaité nommer une association de donneurs dans cette Commission. Dans le cadre de la CAPADD, nous pouvons donc aborder des sujets qui nous semblent pertinents pour les donneurs.

1. Quelle personne peut être concernée par une mesure de tutelle ?

La tutelle s’adresse à une personne majeure ayant besoin d’être représentée de manière continue dans les actes de la vie courante. Et ce, du fait de la dégradation (altération) de ses facultés ou de son incapacité à exprimer sa volonté.

La personne protégée peut cependant réaliser seule certains actes dits strictement personnels.

2. Le consentement au don de gamètes

La loi impose que toute personne désirant devenir donneur, donne 2 consentements :
– Consentement au don de gamètes
– Consentement à la communication de son identité dans le cadre du droit d’accès aux origines

Le consentement est un acte strictement personnel qui doit nécessairement être libre et éclairé.

3. Est-ce qu’une personne sous tutelle peut faire un don de gamètes ?

Non, cela est strictement interdit par la loi.

article L1241-2 du code de la santé publique
Aucun prélèvement de tissus ou de cellules, aucune collecte de produits du corps humain en vue de don ne peut avoir lieu sur une personne vivante mineure ou sur une personne vivante majeure faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation à la personne.

Décision du Conseil Constitutionnel n°2021-821 DC du 29 juillet 2021 (PDF)
3. Les députés requérants soutiennent que ces dispositions autoriseraient toutes les personnes placées sous tutelle ou curatelle à procéder à de tels dons. Il résulte toutefois de l’article L. 1241-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l’article 11 de la présente loi, que les personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation de la personne ne peuvent y procéder. Dès lors, la critique des requérants, qui n’est assortie d’aucun grief d’inconstitutionnalité particulier, manque, en tout état de cause, en fait.

4. Droit d’accès aux origines

Depuis le 1er septembre 2022, les personnes issues d’un don peuvent saisir la CAPADD pour connaître l’identité de leur donneur. La CAPADD est alors chargée de retrouver le donneur et de le solliciter pour qu’il consente à la communication de son identité.

La Fédération Française des CECOS fête cette année ses 50 ans d’existence, ce qui permet de comprendre que les donneurs des années 70/80 sont âgés, et qu’ils puissent éventuellement être sous tutelle. La question légitime est de savoir si un donneur sous tutelle est apte à signer le document de consentement à la communication de son identité.

5. Est-ce qu’un ancien donneur sous tutelle peut consentir à la communication de son identité ?

Les juristes ayant traités cette question semblent unanimes sur le fait que cela n’est pas possible (nous n’avons en tout cas pas connaissance de juriste ayant dit le contraire).

A titre d’exemple, nous vous proposons l’intervention de Madame Stessy TETARD (Maître de conférences et directrice pédagogique à l’institut des sciences de la famille à l’université catholique de Lyon) datant du 21 avril 2022 (https://donsdegametes-solidaires.fr/event/cyberethique/) et qui traite justement de cette question.

De notre côté, nous avons proposé que la CAPADD puisse solliciter les anciens donneurs même si ceux-ci sont sous tutelle mais qu’il soit systématiquement demandé à un juge de se prononcer sur la validité du consentement. Ce ne serait que dans le cas où un juge validerait le consentement donné par le donneur sous tutelle, que la CAPADD serait en droit de communiquer les informations au demandeur. Cependant, cette solution n’est pas possible car le juge pourrait seulement être sollicité après que le donneur sous tutelle ait donné son consentement.

Dans certaines circonstances, ce n’est pas un problème que le juge se prononce après coup sur la validité du consentement d’une personne sous tutelle car il est possible d’annuler les effets du consentement. Cependant, dans le cadre du consentement à la communication de l’identité du donneur, cela n’aurait aucun sens que le juge se prononce après que l’identité du donneur sous tutelle ait été transmise à la personne issue du don. En effet, nous sommes dans un cas où il n’est pas possible d’annuler les effets du consentement.

Pour information, si les personnes sous tutelle sont interdites de faire un don de gamètes/tissu/organe/sang, c’est que justement, il est impossible d’annuler les effets de son don. Par exemple, si la personne sous tutelle a consenti à un don de spermatozoïdes et que le juge estime après coup qu’il n’avait pas le droit de le faire, il serait bien évidemment inenvisageable de demander à toutes les bénéficiaires de ce don d’avorter.

Thèse Le couple parental et conjugal à l’épreuve de l’insémination artificielle avec donneur : coparentage et interactions précoces

Sujet de la thèse : Le couple parental et conjugal à l’épreuve de l’insémination artificielle avec donneur : coparentage et interactions précoces

Auteure : Ophélie Ségade-Bourgeoiset

Discipline : Sciences cognitives/Psychologie

Date : Présentée et soutenue publiquement le 31 janvier 2020

Membres du jury :
– Sylvain Missonnier [Président]
– Nicolas Favez [Rapporteur]
– Denis Mellier [Rapporteur]

Résumé :
But de l’étude : la conception d’un enfant par don de spermatozoïdes concerne environ 1000 naissances par an en France. Si les recherches sur les Inséminations Artificielles avec Spermatozoïdes de Donneur (IAD) témoignent du bon développement de l’enfant, les interrogations subsistent sur les obstacles rencontrés par les parents pour informer l’enfant de sa conception. La majorité des couples disent vouloir informer l’enfant de sa conception par don mais seulement 10% y parviendraient et ce, indifféremment des lois concernant l’anonymat du donneur. Nous proposons un modèle de compréhension remettant la dynamique conjugale et le coparentage au centre de la réflexion afin d’observer la communication et l’alliance familiale. Le coparentage est défini comme le soutien instrumental et émotionnel que la mère et le père s’apportent mutuellement dans leurs rôles de parents. Un coparentage harmonieux serait un prédicteur du bon développement de l’enfant. Patients et méthode : Des couples IAD ont été rencontrés pendant la grossesse, aux 3 mois et aux 18 mois de l’enfant. L’observation s’appuie sur des entretiens semi-directifs et des auto-questionnaires. La réalisation d’une séquence de jeu avec leur bébé (Lausanne Triadic Play) a permis d’observer la dynamique interactive et le coparentage. Résultats : Les observations révèlent les entraves au discours sur la conception, risquant de fragiliser le couple. Nous observons une mobilisation du lien narcissique du couple ainsi que l’existence d’un « pacte dénégatif » concernant l’existence du donneur dans le but de maintenir le lien conjugal. Le coparentage se caractérise par une dynamique « d’enfant au centre » de l’alliance familiale et révèle une sensibilité des parents aux signaux négatifs de leur enfant. Conclusion : Les couples auraient tendance à éviter ce qui pourrait fragiliser la dynamique familiale. La dynamique avec enfant au centre montre les difficultés des couples à accueillir les émotions négatives comme la peur, la tristesse ou la colère, observable à la fois vis-à-vis de l’enfant et à l’intérieur du couple. Cette tendance pourrait expliquer les craintes des couples à parler du don à leur enfant. Un accompagnement des couples pourrait alors être proposé.

Mots clefs : Don de sperme, IAD, Couple, Coparentage, Secret, Alliance familiale

Source : https://theses.hal.science/tel-04090798

Citation : Ophélie Ségade-Bourgeoiset. Le couple parental et conjugal à l’épreuve de l’insémination artificielle avec donneur : coparentage et interactions précoces. Psychologie. Université Paris Cité, 2020. Français. ⟨NNT : 2020UNIP5047⟩. ⟨tel-04090798⟩

Le temps d’une liber’thé : Dons de gamètes & être né.e d’un don

La chaîne YouTube Le temps d’une liber’thé a publié la vidéo « S2E5 – Partie 2 : Dons de gamètes & être né.e d’un don, avec Julie et Timothée (de Pmanonyme) »

Date : 30 avril 2023

Résumé : Aujourd’hui, écoutez la partie 2 sur le sujet du don de gamètes et du vécu de personnes nées d’un don.
Venez découvrir la suite de nos réflexions avec Julie et Timothée. Dans la première partie, on faisait le tour sur l’histoire des dons et de la PMA, dans cette partie, vous allez découvrir les témoignages de Julie, Timothée et Matthieu.
Julie, touchée par des histoires de proches concerné.e.s par la question, vient nous partager son parcours de donneuse. Quant à Timothée, historien du droit, né d’un don, est membre de l’association Pmanonyme, qu’il représente à la Commission d’Accès des Personnes nées via une Assistance médicale à la procréation aux Données du tiers Donneur (CAPADD). Et enfin, Matthieu témoigne à son tour de son histoire personnelle, à travers celle de sa propre naissance.
Comme d’habitude, retrouvez toutes les recommandations en description du podcast 🙂
N’hésitez pas à réagir à ce podcast par des témoignages que vous voulez partager et/ou des questions que vous vous posez, vous pouvez aussi nous envoyer une note écrite ou vocale par mail à letempsduneliberthe@gmail.com, nous serons ravis d’échanger avec vous ! 📬
Retrouvez-nous très prochainement pour discuter sur le retour à la sexualité après une agression sexuelle avec de super invités encore une fois, en attendant on vous souhaite une très belle écoute de ce podcast !
Si vous avez aimé cet épisode, on vous invite à le partager et à le diffuser autour de vous, sans modération ! 😁
#don #gametes #ovocytes #témoignages #loidebioéthique #pma #accèsauxorigines #podcast #podcastfrançais #parentalité

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Il est intéressant de voir que les donneurs de cette émission reprennent certaines des propositions de notre association (https://donsdegametes-solidaires.fr/2022/05/11/propositions-pour-ameliorer-le-parcours-de-don/)

Extrait 1



Des députés avaient accepté de déposer des amendements mais ceux-ci ont malheureusement été rejtetés.

Extrait 2


Extrait 3


Il n’existe aucune interdiction de donner l’information, tout comme il n’existe aucune obligation légale de donner l’information. Au final, chaque médecin est libre de donner ou non de donner l’information. Il n’y a malheureusement aucune uniformisation des pratiques.

Journée internationale de sensibilisation à la conception avec tiers donneur

Chaque année, le 27 avril est la Journée internationale de sensibilisation à la conception des donneurs créée en 2020 par Jana M. Rupnow, auteur de Three Makes Baby, en collaboration avec divers partenaires. L’événement vise à reconnaître les moyens alternatifs de fonder une famille grâce au don d’ovocytes, de spermatozoïdes et d’embryons. Profitons de cette occasion pour reconnaître et célébrer la myriade de chemins vers la parentalité sans honte ni secret.

Lien : https://www.internationaldays.co/event/international-donor-conception-awareness-day/r/rec2aOMoC5aEaI1cv

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Date de la Journée internationale de sensibilisation à la conception avec tiers donneur : 27 avril de chaque année civile.

Explication de la Journée internationale de sensibilisation à la conception des donneurs : C’est une journée pour reconnaître la manière alternative de construire une famille via le don d’ovocytes, de spermatoïdes et d’embryons.

Raison de la célébration de cette journée :

  • Cette journée est destinée à faire la lumière sur les familles constituées de différentes manières en raison de l’infertilité médicale, des déficiences chromosomiques, du cancer de l’enfant ou du jeune adulte, et diverses autres raisons et lever la honte et le secret autour du sujet.
  • Cette journée vise à sensibiliser aux expériences des individus conçus par AMP avec tiers donneur et à lever la honte et le secret autour de ce sujet.
  • La journée porte sur la sensibilisation aux droits des donneuses et donneurs à recevoir des informations précises leur permettant de faire un don de manière éclairée.

Origine de cette journée : Cette journée a été créée en avril 2020 par Jana M. Rupnow, LPC auteur de Three Makes Baby en collaboration avec vingt autres partenaires à travers le monde.

QPC sur la loi bioéthique (2)

Cet article est destiné à répondre aux différentes interrogations relatives à une QPC qui a été déposée le 28 janvier 2023 auprès du Conseil d’Etat.

La question transmise est la suivante :
« L’article 342-9 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, en ce qu’il exclut le droit pour les personnes issues d’un don de spermatozoïdes et n’ayant qu’un seul parent, à être adoptées par le donneur, est-il contraire au principe de liberté individuelle et au droit à une vie familiale normale ? »

1. Qu’est qu’une QPC ?

La Constitution française permet de garantir les droits fondamentaux des citoyens. Elle pose, par exemple, le principe de l’égalité des citoyens devant la loi, fait du suffrage universel la source de la légitimité politique et accorde à chacun le droit de faire entendre sa cause devant un tribunal indépendant.

La Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est un droit reconnu à toute personne de demander que soit contrôlé qu’une disposition législative est bien conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit. Pour prendre un exemple simple, la Constitution française prévoit en son article 66-1 que « nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Cela signifie que s’il était adopté une loi instaurant la peine de mort, une personne serait en droit de déposer une QPC afin que soit contrôlé si la loi respecte bien les droits et libertés que la Constitution garantit.

C’est le Conseil Constitutionnel qui est chargé de veiller à ce que les lois françaises soient conformes à la Constitution.

2. Est-ce utile que les lois respectent la Constitution française ?

Il est toujours souhaitable que les lois respectent les droits et libertés que la Constitution française garantit.

3. La loi bioéthique de 1994 et la question de la filiation

Jusqu’en 1994, la pratique du don de spermatozoïdes était peu encadrée et il n’y avait pas de loi spécifique en ce qui concerne la filiation des personnes issues d’une AMP avec tiers donneur, ce qui était dommageable pour les enfants. En cas de séparation du couple, il pouvait arriver que l’enfant s’entende dire de la part de sa mère : « Ton père n’est pas ton père » et que la filiation entre l’enfant et son père soit cassée au motif que l’homme n’est pas le père biologique de l’enfant.

C’est pour cette raison qu’a été introduit plusieurs articles de loi pour protéger la filiation entre l’enfant et son père même si celui-ci n’est pas le géniteur.

Lors de la première loi de bioéthique de 1994, la question d’un lien de filiation entre l’enfant et le donneur de spermatozoïdes ne pouvait pas se poser car la loi imposait que tous les enfants issus du don aient 2 parents et la loi imposait également l’anonymat absolu avec le donneur.

4. La loi bioéthique de 2021 et la question de la filiation

Comme dit précédemment, la question du lien de filiation entre l’enfant issu d’un don et le donneur ne se posait en 1994 pas pour 2 raison :
1) Le principe d’anonymat absolu du don de gamètes faisait que la personne issue du don et le donneur ne pouvaient pas se connaître
2) Les enfants qui naissaient grâce à un don avaient obligatoirement 2 parents avec lesquels le lien de filiation était établi dès leur naissance

La loi de bioéthique de 2021 a apporté les modifications suivantes :
1) « PMA pour toutes », ce qui signifie que les femmes célibataires ont à présent accès à l’AMP et leurs enfants n’ont qu’un seul lien de filiation
2) « Le droit d’accès aux origines », ce qui signifie que les personnes issues d’un don peuvent connaître l’identité du donneur

A noter qu’en plus du droit d’accès aux origines, il est également possible de retrouver le donneur grâce à des tests ADN. Cette pratique est théoriquement interdite mais dans la pratique, on peut la considérer comme tolérée puisqu’il n’y a jamais eu de poursuites.

Compte tenu de ces changements, la question du lien de filiation entre la personne issue du don et le donneur de spermatozoïdes se pose. Durant l’examen du projet de loi bioéthique, cette question a d’ailleurs été longuement traitée. Des parlementaires souhaitaient que si la personne issue d’un don établissait une relation très forte avec son donneur, qu’elle puisse faire établir un lien de filiation du fait que celui-ci est son géniteur. Ces demandes ont été rejetés, avec comme argument que si la personne issue du don et le donneur établissent une relation très forte, il leur faudra passer par l’adoption pour établir le lien de filiation.


Il a donc été expliqué durant les débats du projet de loi bioéthique que l’article 342-9 du code civil n’interdisait pas l’établissement d’un lien de filiation entre la personne issue du don et le donneur de spermatozoïdes au moyen d’une adoption et à ma connaissance, aucune association à l’époque ne s’en était offusquée ou émue.

5. Sur quoi porte la QPC déposée le 28 janvier 2023 ?

La QPC qui a été déposée le 27 février 2023 porte sur l’article 342-9 du code civil :
« En cas d’assistance médicale à la procréation nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation.
Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur. »

L’objet de cette QPC est de comprendre la signification de cet article de loi.

D’après le gouvernement et plusieurs juristes, la signification de cet article de loi est qu’il interdit l’établissement d’un lien de filiation entre la personne issue du don et le donneur, en invoquant le lien biologique qui existe entre les deux. Il est donc impossible d’établir le lien de filiation au moyen d’une recherche en paternité ou au moyen d’une reconnaissance de paternité. En revanche, il n’existerait aucun interdit pour faire établir un lien de filiation qui n’est pas fondé sur le lien biologique.

Cependant, d’après d’autres juristes, la signification de cet article de loi est qu’il est strictement impossible d’établir un lien de filiation entre la personne issue du don et le donneur.

Les deux camps ont des arguments solides pour défendre leur point de vue, ce qui fait qu’actuellement, il n’y a aucune certitude sur la signification de cet article de loi, ce qui est bien évidemment problématique. L’intérêt de la QPC est de lever cette incertitude sur la signification de l’article de loi.

6. Sur quoi ne porte pas la QPC déposée le 28 janvier 2023 ?

Une QPC peut servir à demander l’abrogation d’un article de loi au motif qu’il n’est pas conforme à la Constitution. Dans le cas présent, la QPC déposée ne demande pas l’abrogation de l’article mais demande que le Conseil Constitutionnel apporte des précisions sur son interprétation.

Il est vraiment important de comprendre que l’article de loi sera maintenu en l’état. Il existe un consensus sur le fait que cet article de loi est protecteur pour toutes les parties prenantes et qu’en conséquence, il faut le maintenir. Il est indispensable qu’aucun lien de filiation ne puisse être imposé au donneur ou à la personne issue du don au motif qu’il existerait un lien biologique.

Il est probable est qu’il n’ait jamais existé d’interdiction pour une personne issue d’un don, n’ayant qu’un seul lien de filiation avec sa mère et ayant établi une relation enfant-parent avec le donneur, de faire établir un lien de filiation avec le donneur au moyen d’une adoption. Pour connaître la volonté du législateur, il est toujours intéressant d’écouter les débats parlementaires et ceux de 1994 ne font jamais mention d’une volonté d’interdire les adoptions. Cependant, en supposant que le gouvernement soit dans l’erreur et que l’article de loi interdise l’établissement d’un lien de filiation au moyen d’une adoption, alors la QPC est destinée à supprimer cet interdit d’adoption tout en conservant la totalité des autres interdits qui permettent de protéger toutes les parties contre un lien de filiation qui serait imposé et non désiré.

7. Réponse à diverses inquiétudes

Comme cette QPC a été mal comprise, je vais essayer de répondre à diverses questions.

Question 1 : Je suis une femme célibataire et je viens d’avoir un enfant par AMP. Est-ce qu’avec votre QPC, il y a un risque que le donneur établisse un lien de filiation avec mon enfant mineur contre ma volonté ?
Réponse : Non. Avec la QPC, l’impossibilité d’établir un lien de filiation par reconnaissance de paternité est maintenue. Si le lien de filiation se fait par adoption, cela nécessite que ce soit la mère qui soit à l’origine de la demande. Il faudra aussi nécessairement que le donneur accepte, et enfin, que ce soit validé par un juge dans le cadre d’une procédure très encadrée.

Question 2 : Je suis un donneur de gamètes. Est-ce qu’avec votre QPC, il y a un risque que soit établi contre ma volonté, un lien de filiation avec une personne issue de mon don ?
Réponse : Non. Avec la QPC, l’impossibilité d’établir un lien de filiation par recherche en paternité est maintenue. Si le lien de filiation se fait par adoption, cela nécessite que le donneur soit consentant.

Question 3 : J’ai 13 ans et je suis issu d’une AMP avec tiers donneur. Est-ce qu’avec votre QPC, il y a un risque que le donneur établisse un lien de filiation avec moi contre ma volonté ?
Réponse : Non. Avec la QPC, l’impossibilité d’établir un lien de filiation par reconnaissance de paternité est maintenue. Si le lien de filiation se fait par adoption, cela nécessite que ce soit la mère qui soit à l’origine de la demande et il faudra de plus le consentement de la personne issue du don, ainsi que du donneur et enfin, d’un juge.

En effet, pour établir un lien de filiation qui n’est pas fondé sur la biologie, il faut respecter une procédure très encadrée. Il faut tout d’abord que toutes les parties concernées aient le désir d’établir le lien de filiation. Il faut aussi prouver qu’il existe une relation forte et durable entre l’adoptant et l’adopté. Tout ceci se fait dans le cadre d’une procédure encadrée par un juge spécialisé qui vérifie que les droits de toutes les parties sont bien respectées.

Question 4 : S’il n’y a pas d’interdiction d’établir un lien de filiation par adoption, est-ce que cela signifie que toutes les personnes issues d’un don auraient l’obligation de se faire adopter ?
Réponse : Non, en supprimant un interdit, cela offre une liberté supplémentaire sans créer la moindre obligation. Il faut bien comprendre qu’aucune démarche d’adoption n’est pas si toutes les parties prenantes n’expriment pas ce désir.

Il y a 10 ans de cela, des couples homosexuels s’étaient déclarés opposés au « mariage pour tous » au motif qu’ils n’avaient pas envie de se marier. Ces couples n’avaient pas compris que le fait d’offrir la liberté de se marier ne signifiait en aucune manière qu’il existait une obligation de se marier. Pour qu’un mariage se fasse, il faut nécessairement que les 2 membres du couple le désirent, et ce n’est donc pas quelque chose qui est imposé. Il en va de même pour le droit d’accès aux origines. Lors de l’examen du projet de loi bioéthique, des personnes issues d’un don se sont prononcées contre ce droit au motif qu’elles ne souhaitaient pas connaître l’identité du donneur. Cependant, il s’agissait d’un droit et non pas d’un obligation. D’ailleurs, sur les dizaines de milliers de personnes issues d’un don, seules 363 ont à ce jour faire une demande auprès de la CAPADD, ce qui montre que cette saisie de la CAPADD est une liberté et non pas une obligation.

Question 5 : Pourquoi la QPC ne porte que sur les personnes issues d’un don qui n’ont qu’un seul parent ? Pourquoi ne pas faire la même demande pour les personnes issues d’un don qui ont 2 parents ?
Réponse : La loi française prévoit qu’une personne ne puisse avoir que 2 parents, ce qui interdit donc l’adoption d’une personne ayant déjà 2 parents. L’article 342-10 du code civil précise bien : « Le consentement donné à une assistance médicale à la procréation interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation, à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de l’assistance médicale à la procréation ou que le consentement a été privé d’effet. » Pour qu’une personne qui a 2 parents puisse être adoptée, il faudrait qu’il puisse au préalable casser le lien de filiation qui l’unit à son parent non biologique, ce que n’autorise pas la loi. Il n’aurait été ni souhaitable, ni légalement possible de proposer une adoption pour des personnes issues d’un don ayant 2 parents. Le requérant ne voulant pas remettre en cause l’article 342-10 du code civil, n’a tout logiquement pas proposé que les personnes issues d’un don et ayant 2 parents, puissent solliciter l’établissement d’un lien de filiation avec leur donneur.

8. Est-ce que l’établissement d’un lien de filiation peut nuire à quelqu’un ?

Est-ce que la QPC peut avoir des conséquences négatives pour quelqu’un ? A priori, les seules personnes qui pourraient être pénalisées, ce seraient les héritiers de la personne qui adopte car cela aura pour conséquence de diminuer leur part d’héritage. L’avantage de la procédure d’adoption est que si quelqu’un estime être pénalisé par une adoption, il a la possibilité de se manifester et le juge en tiendra compte. Les personnes lésées ont même la possibilité de se plaindre après l’adoption car il est déjà arrivé que la justice annule des adoptions.

Nous avons la chance de vivre en France qui est un pays de liberté. La règle étant que par défaut, tout est autorisé à l’exception de ce qui est interdit. Pour inscrire un interdit dans la loi, il faut que celui-ci soit motivé car heureusement, il n’est pas possible d’interdire de manière arbitraire.

9. Est-ce qu’il faut s’attendre à un grand nombre d’établissement de liens de filiation ?

Non, cela devrait concerner un très restreint de personnes.

Pour que le lien de filiation puisse s’établir, il faut que toutes les conditions suivantes soient remplies :
– La personne issue du don n’ait qu’un seul lien de filiation
– La personne issue du don a recherché et retrouvé le donneur
– Une relation enfant-père doit s’établir entre la personne issue du don et le donneur
– La personne issue du don doit vouloir établir un lien de filiation et le donneur doit y consentir
– Dans le cadre de la procédure d’adoption, un juge doit étudier la demande et la valider

A l’étranger, il existe des exemples d’adoptions qui sont à l’origine de personnes issues d’un don, mais qui peuvent aussi provenir de la mère de l’enfant. Il faut cependant prendre en considération que la législation à l’étranger n’est pas la même qu’en France. Des législations à l’étranger permettent de choisir le donneur sur catalogue (physique, goût et centres d’intérêts, timbre de la voix, âge, etc.), ce qui fait que des femmes font le choix de choisir le donneur qui correspond à ce qu’elles considèrent comme l’homme idéal. Cela peut grandement expliquer pourquoi quand la mère parvient à retrouver le donneur, elle puisse tomber amoureuse de lui. La législation française ne permet pas de choisir le donneur sur catalogue, ce qui fait que si la mère parvient à retrouver le donneur de son enfant, la probabilité qu’elle tombe amoureuse de lui est plus faible.

10. Conséquences de la décision du Conseil Constitutionnel

Le Conseil Constitutionnel peut rendre trois décisions dans le cadre de la QPC

1) Le Conseil Constitutionnel peut considérer que le gouvernement a raison et que l’article de loi n’interdit en aucune façon l’établissement d’un lien de filiation par adoption. Dans cette hypothèse, la QPC sera rejetée compte tenu que l’interdit contesté n’a jamais existé.

2) Le Conseil Constitutionnel peut à l’inverse considérer que c’est le requérant qui a raison de dire qu’il existe une interdiction d’établir un lien de filiation par adoption. Dans cette hypothèse, le Conseil Constitutionnel devra dire si cette interdiction est conforme à la Constitution. Si ce n’est pas conforme à la Constitution, le Conseil Constitutionnel devrait simplement indiquer que l’article ne fait pas obstacle à une adoption. (Il faut bien comprendre que la QPC ne demande pas l’abrogation de l’article)

3) Le Conseil Constitutionnel peut enfin considérer que c’est le requérant qui a raison de dire qu’il existe une interdiction d’établir un lien de filiation par adoption. Dans l’hypothèse où le Conseil Constitutionnel estimerait que cette interdiction est conforme à la Constitution, la QPC serait simplement rejetée.

Quelle que soit la décision prise par le Conseil Constitutionnel, celle-ci me satisfera. En effet, l’objectif premier de la QPC est de connaître la signification de l’article de loi, et donc, peu importe que la décision rendue soit la 1), 2) ou 3).

11. Date d’audience de la QPC

L’audience s’est tenue le mardi 30 mai 2023.

 

12. Finalité de l’adoption ?

Contrairement à ce que certaines personnes peuvent croire, l’objectif n’est pas de donner un enfant à la personne qui adopte mais il s’agit de donner un parent à la personne qui est adoptée. Le juge en charge de l’adoption a pour mission de veiller que l’adoption soit bénéfique pour la personne adoptée.

Le juge dispose des compétences nécessaires pour permettre des adoptions même dans des situations rares et qui ne devraient normalement pas se produire. Par exemple, de la même façon qu’un donneur de spermatozoïdes n’a pas vocation à devenir le père d’une personne issue de son don, un grand-père n’a pas vocation à devenir le père de son petit fils, une sœur n’a pas vocation de devenir la mère de son frère, etc. Dans toutes ces situations, le juge doit se demander avant tout quel est l’intérêt de la personne susceptible d’être adoptée.

C’est ainsi que des grand-parents peuvent adopter leur petit fils (CA Lyon, 18 octobre 1983, RTD civ., 1984, p. 309, obs. Roger Nerson et Jacqueline Rubellin-Devichi).
C’est ainsi qu’une sœur peut adopter son frère (CA Paris, 10 février 1998, Juris-Data n° 1998-020403 ; JCP éd. G., 1998, II, 10130, p. 1431, note C).
Etc.

Il s’agit à chaque fois de décisions individuelles prises par le juge après avoir mené des investigations lui ayant permis de constater que l’adoption était bénéfique pour la personne adoptée. L’intérêt de la personne adoptée étant toujours la boussole à suivre pour prendre une décision d’adoption.

13. Date de la décision de la QPC

La décision sera rendue le vendredi 9 juin 2023.

14. La décision

Le Conseil Constitutionnel refuse de se prononcer sur le fait que la loi autorise ou non l’établissement d’un lien de filiation par adoption. La QPC n’aura donc pas permis de lever l’incertitude sur cette question.