Les droits des personnes issues d’un don supérieures à ceux des donneurs ?

Est-ce qu’il existe une hiérarchie entre les droits des donneurs et des personnes issues d’un don ?

Le CPDH (Comité Protestant Evangélique pour la Dignité Humaine) a publié le 5 juin 2023 un article traitant de la QPC 2023-1052.

« La semaine dernière, nous vous avions parlé de la première personne née d’une PMA avant la loi de bioéthique 2021 et qui avait pu retrouver son donneur grâce à la procédure officielle, très complexe. Aujourd’hui, nous attendons la décision du Conseil Constitutionnel qui pourrait déclarer cette procédure inconstitutionnelle. »

Le CPDH fait référence à « Charles » qui a fait une demande auprès de la CAPADD pour obtenir l’identité de son donneur. La QPC ne porte pas atteinte à ce droit et quelle que soit la décision du Conseil Constitutionnel, les personnes issues d’un don pourront bien évidemment continuer à faire des demandes auprès de la CAPADD.

Dans l’hypothèse où un ancien donneur (c’est-à-dire qui a fait son don avant le 1er septembre 2022) est favorable à la communication de son identité, la procédure est relativement simple. Il suffit dans un premier temps de transmettre son consentement à la CAPADD, puis de remplir un questionnaire et de le transmettre à un médecin travaillant dans un CECOS afin qu’il entre les données dans le registre des dons géré par l’Agence de la biomédecine. La QPC ne porte pas atteinte à ce droit et quelle que soit la décision du Conseil Constitutionnel, les anciens donneurs pourront bien évidemment continuer à consentir à la communication de leur identité.

Quand la CAPADD reçoit une demande, elle consulte le registre des dons géré par l’Agence de la biomédecine et si le donneur figure dedans, il est possible de transmettre ses données aux personnes issues de son don. C’est ce qui s’est passé pour Charles et c’est ce qui continuera à se produire quelle que soit la décision du Conseil Constitutionnel concernant la QPC.

Il est donc faux de prétendre que la QPC pourrait avoir pour conséquence d’empêcher des personnes issues d’un don d’accéder à leurs origines.

« Espérons que les juges entendront la souffrance de tous ceux privés de leurs origines et du droit de savoir. Les droits de l’enfant doivent prévaloir sur ceux des adultes. »

De notre côté, nous estimons que les donneurs n’ont rien fait de mal, qu’ils ont le droit comme tout le monde de bénéficier de la dignité humaine et de ne pas voir leurs droits bafoués.

Est-ce que le CPDH est informé des conditions à remplir pour avoir le droit de saisir la CAPADD ? Ce droit de saisir la CAPADD est réservé aux personnes issues d’un don qui sont majeures, c’est-à-dire des adultes ! A titre informatif, ceux qui saisissent la CAPADD ont en moyenne 34 ans et ne sont en rien des enfants. Il est donc faux d’employer le terme enfants pour désigner les personnes issues d’un don. Il n’y a bien évidemment pas de hiérarchie des droits entre 2 adultes.

Il se peut éventuellement que le CPDH emploie le terme de « enfant » non pas pour désigner un mineur, mais dans le cadre d’un lien de filiation/parenté. Avec le sous-entendu que les droits des enfants est supérieur à ceux de leurs parents. Des associations de personnes nées sous X estiment notamment que leur droit d’accès aux origines devrait primer sur le droit de leur mère à accoucher dans le secret. Cependant, est-ce possible d’établir une comparaison entre une mère qui abandonne son enfant avec une femme qui fait un don d’ovocytes ?

Le dictionnaire donne la définition suivante du mot « mère » : « femme qui a mis au monde, élève ou a élevé un ou plusieurs enfants ». Je n’ai pas connaissance qu’il soit indiqué une autre définition du mot mère dans la Bible.

Une femme qui accouche et qui va ensuite abandonner son bébé peut être considérée comme la mère de l’enfant. Une femme qui ne fait que donner des cellules (des ovocytes), ne peut en revanche pas être considérée comme la mère. C’est la raison pour laquelle, dire que les droits de l’enfant sont supérieurs à ceux de sa mère ne peut pas s’appliquer dans le cadre du don de gamètes.

Il nous semble mal venu de vouloir établir une hiérarchie entre les droits d’individus adultes n’ayant aucun lien de filiation/parenté entre eux.

Décision du Tribunal administratif de Paris

Un ancien donneur de spermatozoïdes a demandé en 2019 à avoir accès à certaines de ses données personnelles (notamment ses caractéristiques physiques) se trouvant dans son dossier médical de donneur. L’hôpital a répondu à la demande en 2021 et a refusé de faire droit à la demande d’accès du donneur de spermatozoïdes à ses propres données personnelles se trouvant dans son dossier médical. Le motif de refus était que la communication de ces données serait contraire au principe d’anonymat.

La 5e Section – 1re Chambre du Tribunal administratif de Paris a décidé le vendredi 10 mars 2023 d’annuler la décision de refus de l’hôpital. Le tribunal a également décidé que l’Etat versera au donneur de spermatozoïdes la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Fraude à fertilité

On peut parfois entendre parler dans les médias de « fraude à la fertilité » et je pense intéressant de donner quelques éléments d’explication sur ce terme.

1. Fraude a l’insémination

Des gynécologues ont frauduleusement utilisé leur propre sperme pour inséminer leurs patientes. Pour plus de renseignements sur cette pratique, vous pouvez consulter notre article Quand des tests ADN jettent le trouble sur le recours de gynécologues à leur propre sperme pour des inséminations

2. Vol d’ovocytes

Des gynécologues ont frauduleusement ponctionné des ovocytes et des embryons sur des patientes et les ont ensuite utilisé pour permettre à d’autres femmes d’avoir des grossesses.

C’est par exemple ce qui s’est produit en 1987 à Garden Grove en Californie, dans une clinique dirigée par le docteur Ricardo Asch.

Lien de filiation donneur-enfant en Belgique

Contrairement à la France, les autres pays n’ont pas de législation interdisant l’établissement d’un lien de filiation entre le donneur et une personne issue de son don, au moyen d’une adoption. Ce genre de situation est en forte augmentation depuis que la mise en place de bases de données ADN géantes qui permettent de retrouver le donneur.

Dans la majorité des pays, il n’est pas possible d’avoir plus que 2 parents. Cela signifie donc que pour qu’un donneur de sperme puisse adopter une personne issue de son don, il est nécessaire que cette personne n’ait pas déjà un père.

En Belgique, la loi permet à une personne issue d’un don de sperme d’annuler son lien de filiation avec son père quand elle apprend que son père n’est pas son géniteur. D’après ce que je comprends, l’enfant dispose de 3 ans pour renier le lien de filiation avec son père.

Une association de personnes issue d’un don milite pour changer la loi afin de permettre plus facilement l’établissement d’un lien de filiation.

D’après ce que je comprends, une femme a appris que son père n’était pas son géniteur et n’a pas profité des 3 ans légaux pour renier son lien de filiation avec père. Elle a ensuite fait la rencontre du donneur avec qui elle a établi un fort lien. La personne issue d’un don aimerait que le donneur puisse l’adopter mais cela n’est pas possible puisqu’elle a déjà un père.

Lien : https://legalcrowd.eu/campaigns/donorkind/

2020 WE ARE DONOR CONCEIVED SURVEY REPORT

L’association https://www.wearedonorconceived.com/ qui regroupe plusieurs centaines de personnes issues d’une AMP avec tiers donneur, a réalisé une grande étude auprès de 500 de ses membres. Les résultats sont consultables sur la page https://www.wearedonorconceived.com/2020-survey-top/2020-we-are-donor-conceived-survey/

Télécharger l’étude traduite en français avec Google Traduction (PDF)

Quelques résultats de l’enquête

Ce rapport nous apprend tout d’abord que 12% des sondés désignent le donneur comme étant leur « mère/père » et 7% comme étant leur « maman/papa ».

31% des sondés espèrent nouer une relation étroite avec le donneur. 14% déclarent souhaiter établir une relation parent/enfant avec le donneur.
Parmi ceux qui ont réussi à identifier leur donneur, 9% disent avoir réussi à établir avec lui une relation père/enfant.

49% des sondés espèrent nouer une relation très étroite avec leurs demi-génétique. 30% sont à la recherche d’une relation fraternelle avec leur demi-génétique.

31% des sondés disent que cela a été une mauvaise chose pour eux d’avoir été conçus par don.

66% des sondés estiment que les donneurs ont une responsabilité morale envers les personnes issues de leur don.

49% des sondés souhaiteraient que l’identité du donneur figure sur leur acte de naissance.

33% des sondés souhaiteraient établir une relation avec le donneur dès leur naissance.

77% des sondés estiment que le donneur est la moitié de ce qu’ils sont.

Anonymat du donneur de gamètes garanti à 100% ?

Depuis quelques années, on entend des gens dirent que l’anonymat des donneurs de gamètes ne peut plus être garanti à 100%, alors qu’à l’inverse, d’autres assurent que l’anonymat du don de gamètes est garanti et qu’il le restera. Cet article est destiné à faire le point sur cette notion d’anonymat.

1. Les tests ADN

Depuis plusieurs années se sont développées les tests ADN. Le principe consiste à faire un prélèvement d’ADN et de mettre le résultat dans une base de données géante afin de le comparer à des millions d’autres individus. Cela permet de trouver des correspondances avec des gens de sa famille biologique.

Ceux qui soutiennent que l’anonymat des donneurs ne peut plus être garanti, évoquent principalement les tests ADN. En effet, les médias rapportent un grand nombre d’histoires où des bénéficiaires d’un don de gamètes ont effectué un test ADN sur leur enfant, ce qui leur a permis de connaître l’identité du donneur.

Notre association informe les anciens et nouveaux donneurs, que le bénéficiaire du don de gamètes a accès à une technologie (test ADN) susceptible de lui permettre d’identifier le donneur.

2. Le droit d’accès aux origines

Le droit d’accès aux origines permet aux personnes issues d’un don de connaître l’identité du donneur. Cette simple possibilité pourrait être considérée comme une rupture du principe d’anonymat. En effet, les médecins des centres AMP expliquaient aux donneurs de gamètes que le principe d’anonymat signifiait que jamais les enfants issus d’un don pourraient connaître leur identité.

A titre d’illustration, voici le genre de document que devait signer un couple donneur en 2021

Ce droit d’accès aux origines existe depuis de longues années dans d’autres pays et il est intéressant de voir comment cela se passe. Certaines personnes issues d’un don qui ont obtenu l’identité du donneur, ne gardent pas l’information pour elles et la partagent notamment avec leurs parents. On a même pu assister à une rencontre entre le donneur et les bénéficiaires de son don.

Notre association informe les anciens et nouveaux donneurs que s’ils consentent au droit d’accès aux origines, il est possible que les personnes issues de leur don communiquent ensuite cette informations à leurs parents.

3. Le droit d’accès aux origines

Tout d’abord, voici un extrait des propos du Dr Claire de Vienne qui est médecin référente à l’Agence de la biomédecine.


(lien pour écouter la totalité de l’interview datant du 1er décembre 2021)

Je comprends dans les propos du Dr Claire de Vienne que le principe d’anonymat est vu du point de vue des institutions qui s’engagent à respecter la loi et ne pas directement communiquer l’identité du donneur aux couples receveurs. En effet, si le bénéficiaire d’un don obtient l’identité du donneur grâce à un test ADN pratiqué sur son enfant, ou grâce à son enfant qui aura exercé son droit d’accès aux origines, l’anonymat du donneur aura été levée mais sans qu’une faute n’ait été commise par les institutions.

4. Conclusion

Si vous entendez des personnes dire que l’anonymat du donneur n’est plus garanti à 100%, c’est qu’avec les tests ADN et le droit d’accès aux origines, il devient possible d’obtenir l’identité du donneur.

A l’inverse, si vous entendez des personnes dire que l’anonymat du donneur est garanti à 100%, cela signifie qu’ils font référence aux institutions qui possèdent l’identité du donneur de gamètes et qui s’engagent à respecter la loi.

Séparer le Père du Géniteur

Il y a quelques mois, Laure Barriere publiait une émouvante lettre à son géniteur.

Il y a deux jours, Laure Barrière a fait une nouvelle publication dans laquelle, elle explique grâce à une série de dessins, comment elle est parvenue à séparer le père du géniteur.

Lien : https://www.instagram.com/p/CU7vePRo0OL/

Possibilité d’établissement d’un lien filiation entre le donneur et la personne issue du don grâce à une adoption dans le cas d’une PMA pour toutes ?

1. Explication de la problématique

L’article 342-9 du code civil est en vigueur depuis le 4 août 2021. Cela fait suite à la promulgation le 2 août 2021 de la nouvelle loi bioéthique.

La problématique est de savoir si les effets de cet article se limitent au Titre VII. Autrement dit, est-ce que l’article 342-9 du code civil interdit l’établissement d’un lien de filiation entre le donneur et l’enfant issu de son don par une adoption (Titre VIII).

2. Les exemples à l’étranger

A plusieurs reprises, dans des pays étrangers, il s’est posé de manière concrète la question du lien de filiation entre le donneur et la personne issue de son don. En effet, dans les pays qui autorisent l’AMP pour les femmes célibataires, et même si cela reste très exceptionnel, il peut arriver que des mères ayant bénéficié d’un don parviennent à retrouver le donneur de spermatozoïdes et à nouer une relation amoureuse avec lui.

Je vais essayer de résumer rapidement un exemple de situation s’étant produit en Australie. Un an après la naissance de sa fille issue d’une AMP avec tiers donneur, la mère parvient à retrouver le donneur et l’épouse. La femme mariée a ensuite de manière naturelle un autre enfant avec son mari. L’homme est le père social des 2 enfants, mais légalement, il n’est le père que de son deuxième enfant. Le couple souhaite que la filiation soit reconnue avec l’enfant issu du don, du fait que l’homme est son géniteur mais la législation ne le permet pas. L’homme envisage en dernier recours d’établir sa filiation grâce à une adoption, en indiquant qu’il trouve anormal de devoir adopter son enfant biologique.
(Télécharger un article PDF qui traite de cette situation en 2015)

3. Les débats au parlement

La nouvelle loi de bioéthique promulguée le 2 août 2021, donne le droit aux femmes célibataires de bénéficier d’une AMP avec tiers donneur. Les enfants qui seront issus de cette AMP auront donc une filiation avec un seul parent (leur mère). En théorie, le don est strictement anonyme mais dans le futur, les tests ADN pourraient permettre dès la naissance de l’enfant de découvrir l’identité du donneur. La loi de bioéthique instaure également un droit d’accès aux origines qui permet aux personnes majeures issues d’une AMP avec tiers donneur, de saisir une commission pour connaître l’identité du donneur.

La question de la filiation a été longuement abordée durant les débats de la loi bioéthique et à plusieurs reprises, les parlementaires se sont interrogés sur la possibilité d’établir un lien de filiation entre le donneur et la personne issue de son don. La députée Coralie Dubost qui était la rapporteure du texte a été très claire sur le fait qu’aucun lien de filiation ne pouvait être établit dans le cadre du titre VII, mais qu’en revanche, il était théoriquement possible d’établir la filiation dans le cadre du titre VIII (adoption).

Extrait de la commission spéciale en 3ème lecture.

Extrait de la séance plénière en 3ème lecture.

Extrait du compte rendu (télécharger le PDF) :
« Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je vous confirme qu’il n’y aura pas d’établissement de la filiation entre le donneur et l’enfant dans le cadre du titre VII du livre Ier du code civil. Théoriquement et juridiquement, il reste certes possible de l’établir dans le cadre du titre VIII. »

Les propos tenus durant l’élaboration des lois sont importants car en cas de doute, la justice peut s’y référer afin de déterminer l’intention du législateur.

4. Nouvelle situation d’établissement d’un lien de filiation

Depuis quelques années, les médias relatent des situations se passant à l’étranger, dans lesquelles un donneur a établi une relation père-enfant avec une personne issue de son don. Jusqu’à présent, ces situations ne concernaient que des personnes ne possédant qu’une filiation avec un seul parent (leur mère). Récemment, des médias ont rapporté une situation inédite avec une femme de 38 ans qui a été adoptée par le donneur alors qu’elle était née avec une filiation avec 2 parents.
(Télécharger un article PDF qui traite de cette situation)

Est-ce qu’une telle situation pourrait se produire en France ? Il faut savoir que le droit d’accès aux origines peut être rétroactif, ce qui va permettre aux personnes majeures issues d’une AMP avec tiers donneur, de solliciter les anciens donneurs pour savoir si ceux-ci accepteraient la levée de leur anonymat. Il faut également savoir que c’est grâce à la loi bioéthique de 1994 que la filiation est incontestable entre l’enfant et ses parents qui ont eu recours à une AMP avec tiers donneur. Sauf erreur de ma part, cela qui signifie que les personnes nées avant la loi de bioéthique de 1994 et qui sont issues d’une AMP avec don de spermatozoïdes, ne sont pas soumises à l’interdiction de l’établissement d’un lien de filiation entre eux et le donneur.

Avant 1994, il y a eu des couples ayant eu recours à un don de spermatozoïdes et qui se sont séparés après la naissance de l’enfant. Suite à cette séparation, il y a eu plusieurs cas où la mère ou le père, ont annulé le lien de filiation entre le père et l’enfant. Aussi, des enfants nés avant 1994 ont uniquement un lien de filiation avec leur mère, et ne sont pas soumis à l’interdiction de l’établissement d’un lien de filiation avec le donneur.

5. L’avis de la sociologue Irène Théry

La sociologue Irène Théry est une experte en matière de filiation. Elle est à l’origine du rapport « Filiation, origines, parentalité » (télécharger le rapport au format PDF). Elle a également activement participé aux travaux sur la nouvelle loi de bioéthique.

Sur notre page Facebook, nous avons donné le lien vers l’article parlant de la femme de 38 ans qui exprime son bonheur d’avoir été adoptée par son géniteur et de porter le même patronyme que lui. La sociologue Irène Théry a commenté notre publication (lien vers notre publication Facebook). La sociologue Irène Théry est formelle sur le fait que l’article 342-9 du code civil interdit l’établissement d’un lien de filiation entre le donneur et la personne issue de son don, y compris par l’adoption.


La députée Coralie Dubost et la sociologue Irène Théry sont toutes les 2 de très grandes expertes en matière de filiation. Nous allons essayer de trouver rapidement un autre expert en filiation afin d’avoir un troisième avis juridique.

Voir nos questions que nous souhaitons poser à l’expert en filiation (document au format PDF)

Edit du 26 octobre 2021 : Une juriste que je remercie beaucoup m’a transmis son analyse.

Pour tenter de trancher le litige, nous pouvons raisonner par analogie. Il existe une autre interdiction d’établissement de la filiation dans le Code Civil : celle prescrite par l’article 310-2 du Code civil, qui prohibe l’établissement de la filiation à l’égard d’un parent lorsque la filiation est déjà établie à l’égard de l’autre et qu’il existe entre les deux parents un empêchement à mariage. Est ici visée la situation de l’inceste. Si un enfant naît par exemple de l’union incestueuse d’un frère et de sa sœur, et que le lien de filiation est établi à l’accouchement avec la mère, il ne peut y avoir établissement d’un lien de filiation avec le père. Cette interdiction de l’établissement de la filiation figure, comme celui de l’AMP, au titre VII du Code civil. Pourtant, un arrêt de la Cour de Cassation du 16 décembre 2020 a précisé que cette interdiction s’étendait à l’établissement par adoption (Cass. Civ. Ch civ 1, 16 décembre 2020, n°19-22.101).

Alors, certes l’article 310-2 précise qu’il est interdit d’établir la filiation par « quelque moyen que ce soit », alors que dans le cadre de l’AMP, l’article 342-9 du Code civil se contente de préciser « aucun lien de filiation ne peut être établi ». Mais cet « aucun » peut être interprété comme s’apparentant à l’expression par « quelque moyen ce que ce soit ». En effet, les rédacteurs de l’article 342-9 auraient pu se contenter d’écrire « un lien de filiation ne peut être établi ». Avec le terme « aucun », on peut considérer que l’interdiction d’établissement concerne tous les modes d’établissement de la filiation, y compris donc le mode adoptif. »

Edit du 1er novembre 2021 : Quelques informations pour compléter l’article.

Le 20 octobre 2021, l’académie de médecine a organisé une journée sur la loi de bioéthique. Le Pr Catherine Guillemain (présidente des CECOS) a fait un exposé pour dire que depuis la promulgation de la loi, les CECOS recevaient des demandes venant de personnes issues d’un don disant : « j’aimerais savoir qui est mon vrai père ? »

Je précise que cette déclaration est cependant contestée par le président de l’association PMAnonyme.

A noter que la présidente des CECOS s’est également interrogée sur la place des donneurs avec la fin de l’anonymat. Cette question semble légitime quand on lit certains messages de personnes issues d’un don.

Décision du Tribunal administratif de Paris [03/08/2021]

1. Le contexte

Lors du premier rendez-vous d’un donneur de gamètes dans un centre AMP, il lui est créé un dossier médical. Ce dossier médical contient notamment des données personnelles du donneur (son nom, son prénom, sa date de naissance, sa profession, ses caractéristiques physiques, son groupe sanguin, ses motivations pour être donneur, etc.).

Si dans le dossier médical du donneur, il est inscrit les caractéristiques physiques du donneur (couleur des yeux, couleur des cheveux, taille et ethnie), c’est que ces données peuvent servir à réaliser un appariement avec le couple receveur.

Depuis 1994, il est inscrit dans la loi que le don est anonyme, c’est à dire que le couple receveur ne peut pas connaître l’identité du donneur et que la réciproque est également vrai. Les CECOS considèrent que si un donneur obtenait une copie de ses caractéristiques physiques, cela aurait pour conséquence de rompre le principe d’anonymat. La logique étant que si le donneur découvrait qu’il a les yeux marrons, il pourrait supposer que dans l’hypothèse où il aurait été pratiqué un appariement, alors, un membre du couple receveur pourrait probablement avoir les yeux marrons. De la même manière, si un donneur découvrait qu’il mesure 2 mètres, il pourrait supposer qu’un membre du couple receveur est probablement très grand. C’est la raison pour laquelle, les CECOS refusent de donner aux donneurs une copie de leurs données personnelles présentes dans leur dossier médical.

2. L’avis de l’Agence de la biomédecine

En France, c’est l’Agence de la biomédecine qui a la responsabilité légale du don de gamètes. L’association Dons de gamètes a interrogé l’Agence de la biomédecine pour savoir si celle-ci considérait que les donneurs avaient le droit d’obtenir une copie de leurs caractéristiques physiques présentes dans leur dossier médical. Le Dr Claire de Vienne qui est le médecin référent en AMP à l’Agence de la biomédecine, nous a répondu le 15 décembre 2020. L’Agence de la biomédecine considère que les donneurs ont le droit d’obtenir leurs caractéristiques physiques.

3. L’avis des parlementaires

Le projet de loi bioéthique qui a été déposé en 2019, prévoyait que des données identifiantes et non identifiantes (les caractéristiques physiques) du donneur de gamètes puissent être communiquées à des personnes issues du don. Dans le cadre des discussions sur ce projet de loi, des parlementaires ont déposé des amendements pour qu’il soit explicitement inscrit dans la loi que les donneurs de gamètes ont le droit d’accéder à leurs propres données personnelles qui seront susceptibles d’être communiquées à des personnes issues de leur don.

Ces amendements ont été retirés au motif que les parlementaires ont jugé qu’ils étaient déjà satisfaits car le RGPD donne ce droit aux donneurs de gamètes.

Extrait du compte rendu de la discussion du 7 janvier 2020 :
amendement 36

Le fait que les parlementaires aient dit que les donneurs ont déjà le droit d’avoir accès à leurs données personnelles grâce au RGPD, a une réelle importance, car en cas de doute, la justice peut se référer à l’intention du législateur, tel qu’elle ressort des débats parlementaires.

4. La loi de bioéthique

La loi relative à la bioéthique a été publiée au Journal officiel le 3 août 2021.

L’article L2143-3 du code de la santé publique indique que les caractéristiques physiques du donneur sont des données non identifiantes. Cet article semble donc être en contradiction avec les CECOS qui estiment qu’il n’est pas possible de communiquer aux donneurs de gamètes leurs propres caractéristiques physiques au motif qu’il s’agit de données identifiantes.

L’article L2143-2 du code de la santé publique indique que les donneurs peuvent actualiser leurs données identifiantes et non identifiantes (ce qui inclut donc les caractéristiques morphologiques). Comment est-ce possible d’autoriser à un donneur d’actualiser ses données personnelles alors qu’il lui est interdit d’avoir accès à ses données personnelles ?

5. Notre requête du 26 avril 2021

L’association Dons de gamètes solidaires demande :

1°) de prescrire une expertise médicale, au contradictoire de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), l’association dons de gamètes solidaires, afin de répondre à la question de savoir si la communication des données personnelles qu’il sollicite conduit nécessairement et concrètement à violer l’anonymat des donneurs et des receveurs au point de rendre possible l’identification de ceux-ci de manière directe ou indirecte ?

Il soutient que :
– dans la perspective d’une action en responsabilité, la conduite d’une expertise est utile, dès lors que de nouveaux éléments doivent être pris en considération pour répondre à ses demandes, notamment l’entrée en vigueur du Règlement 2016/679 du parlement européen et du conseil du 27 avril 2016 (RGPD),
– seule la divulgation d’éléments d’informations permettant d’identifier les receveurs et les donneurs est interdite, alors qu’une demande portant sur les éléments qui ne permettant pas d’identifier un receveur ou un donneur ne méconnaît pas le principe d’anonymat ou même la vie privée des différents intervenants,
– ses demandes portent notamment sur la délivrance d’une copie de la fiche cartonnée (celle-ci contient l’identité du donneur, sa profession, son âge, ses caractéristiques physiques et les motivations du donneur).

6. La décision du Tribunal administratif de Paris du 3 août 2021

Il résulte qu’en l’état du droit, et dans l’attente de la décision du Conseil Constitutionnel qui a été saisi le 2 juillet 2021 de la loi bioéthique adoptée le 29 juin 2021, et notamment de l’article L. 2143-4 du code de la santé publique relatif à la conservation des données, et du nouvel article L. 2143-5-1 du même code qui autorisera le tiers donneur qui souhaite connaître le nombre d’enfants nés grâce à son don ainsi que leur sexe et leur année de naissance à s’adresser à la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur est placé auprès du ministre chargé de la santé prévue à l’article L. 2143-6, la demande telle qu’elle est formulée doit être rejetée.

ORDONNE :

Article 1er : La requête est rejetée

Olivia Sarton : La pratique d’appariement dans les PMA avec tiers-donneur

Avant propos

Avant de lire cet article, je vous recommande de lire l’article L’appariement imposé à des couples noirs au CECOS de Tours. Dans cet article, je traitais de la pratique de l’appariement dans les AMP avec tiers donneur. J’avais traité le sujet avec sérieux, tout en restant amateur du fait que je ne suis ni juriste, ni spécialiste en éthique.

La juriste Olivia Sarton m’a transmis un texte argumenté qui traite de cette question de l’appariement. Dans sa conclusion, Olivia Sarton exprime une vision différente de la mienne concernant l’AMP avec tiers donneur. Notre association milite en faveur de l’AMP avec tiers donneur mais nous acceptons le débat et la contradiction et c’est la raison pour laquelle, nous pouvons publier des analyses dont nous ne partageons pas tous les propos.


Auteur du texte : Olivia Sarton. Elle est la directrice scientifique de l’association Juristes pour l’enfance.

Date du texte : 13 avril 2021

L’analyse de la juriste Olivia Sarton peut également être consulté dans un fichier au format PDF.

Son analyse est également consultable sur le site Internet Village de la justice : https://www.village-justice.com/articles/pratique-appariement-dans-les-pma-avec-tiers-donneur,38818.html

La pratique d’appariement dans les PMA avec tiers-donneur

L’appariement dans les PMA avec-tiers donneur est une pratique qui consiste à attribuer au couple receveur, en fonction de ses caractéristiques, les gamètes de tel donneur plutôt que tel autre.

Il peut être effectué pour des raisons d’ordre médical, afin d’éviter un risque médico-génétique.

Il peut également être mis en œuvre afin que l’enfant conçu par PMA avec tiers-donneur ait les caractéristiques physiques les plus proches possibles de celles du couple receveur (couleur des yeux, des cheveux, de la peau, groupe sanguin).

  1. Les règles applicables en l’état actuel de la législation

Il n’existe pas de disposition législative ou réglementaire relative à l’appariement.

Les articles R. 2142-24 et R. 2142-27 du Code de la Santé publique indiquent simplement pour les activités cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation que l’établissement de santé ou l’organisme doit respecter les règles de bonnes pratiques définies par arrêté du ministre chargé de la santé, pris sur proposition du directeur général de l’Agence de la biomédecine.

Ces règles sont aujourd’hui définies par un arrêté du 30 juin 20171.

Au chapitre V. Don de gamètes, un paragraphe V.6 définit les « bonnes pratiques » relatives à l’attribution et la mise à disposition des gamètes. Celles-ci sont les suivantes : « Outre l’appariement résultant d’un facteur de risque relatif présent chez le donneur et le receveur, un appariement entre le couple receveur et le donneur ou la donneuse de gamètes prenant en compte les caractéristiques physiques et les groupes sanguins du couple receveur est proposé, dans la mesure du possible et si le couple le souhaite ».

  1. Mise en œuvre de ces bonnes pratiques et contestation

Même si les bonnes pratiques définies par l’arrêté du 30 juin 2017 font de l’appariement une simple proposition faite au couple receveur, les CECOS le présentent comme une pratique banalisée : « les gamètes et embryons de donneurs sont choisis, pour chaque couple en attente, principalement sur des caractéristiques physiques simples (origine ethnique, couleur des yeux et des cheveux)2 ».

Cependant, comme l’a exposé notamment en 2019 le docteur Catherine Rongières, Chef de service clinico-biologique d’assistance médicale à la procréation3, les critères peuvent varier d’un CECOS à l’autre :

– ainsi, dans le CECOS attaché au CHU de Bordeaux, la brochure relative au don d’ovocytes semble indiquer que l’appariement en fonction des caractéristiques physiques est une pratique mise en œuvre à la demande des couples seulement : « il est autorisé de faire un appariement sur les caractères physiques principaux » ; « le délai moyen d’attente pour bénéficier d’un don d’ovocytes peut être rallongé s’il y a une demande de don d’ovocytes non caucasiens4 en raison du manque de donneuse »5.
– Alors que dans le CECOS de Tours, la décision de l’appariement ou non en fonction des caractères physiques semble émaner de l’équipe médicale6. Cette pratique correspondrait à ce qui est exposé dans la brochure générale des CECOS (cf. ci-dessus).

A l’occasion du projet de loi de bioéthique, la contestation de la pratique de l’appariement est revenue sur le devant de la scène.

Il lui est surtout reproché de constituer une discrimination vis-à-vis de certains couples qui se verraient refuser des gamètes ne correspondant pas à leur phénotype et plus accessoirement de favoriser la culture du secret autour du recours au tiers-donneur, au détriment de l’intérêt des enfants ainsi nés.

  1. La discrimination invoquée envers certains couples

L’argument de la contrariété de la pratique de l’appariement avec des dispositions législatives ne parait pas fondé.

– Rappelons d’abord que la contestation de la pratique de l’appariement est liée à la situation de pénurie de gamètes.
Or, à cet égard, il ne paraît pas exact de soutenir comme l’a fait un député7 que « l’appariement lui-même organise la pénurie de gamètes pour certaines personnes ».
La pénurie de gamètes est une situation objective et connue en France. Selon les chiffres communiqués par la Cour de Comptes, le nombre de donneurs de sperme est réduit (404 donneurs en 2017) et le nombre d’ovocytes disponibles très largement insuffisant (en 2017, un peu plus d’1/3 des demandes d’ovocytes seulement auraient été satisfaites). La Cour estime d’ailleurs que « l’écart entre l’offre et la demande rend très ambitieux à droit constant l’objectif d’autosuffisance nationale en matière de gamètes8 »
La pénurie concerne surtout la fourniture d’ovocytes. On peut relever que cette situation est constatée même dans les pays où l’achat de gamètes est pratiqué.
Ce n’est donc pas l’appariement qui organise la pénurie de gamètes pour certaines personnes.
Compte-tenu de cette situation de pénurie, il paraît abusif de parler de discrimination dans l’attribution des gamètes vis-à-vis de certaines personnes et de considérer, comme l’a soutenu une députée9, que l’appariement « pénalise les couples receveurs dont l’origine ethnique est telle que les donneurs font défaut et qui font face à des délais bien plus longs que les autres couples avant de pouvoir accéder à la PMA avec don de gamètes ».

– Il a encore été allégué10 que l’appariement serait contraire aux principes éthiques énoncés à l’article 16-4 du Code Civil aux termes duquel : « toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite ». L’appariement est ainsi dénoncé comme une pratique eugénique.
Mais, en réalité, n’est-ce pas la PMA telle qu’elle est pratiquée depuis plusieurs années qui porte en elle-même une dérive eugénique ? Le philosophe Jurgen Habermas a tiré le signal d’alarme sur ce point depuis déjà plusieurs années : un monde où l’on trie les gamètes et les embryons pour ne sélectionner que ceux qui passent avec succès des prérequis parentaux et des tests scientifiques ouvre « la voie à un eugénisme libéral réglé par l’offre et la demande11 ».

– La pratique des CECOS encourt-elle la qualification pénale de pratiques discriminatoires ?
Aux termes de l’article 225-1 du Code pénal, « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, sexe, situation de famille, grossesse, apparence physique, (…), état de santé, caractéristiques génétiques (…)12 » . Mais elle ne constitue un délit passible de peine d’emprisonnement et d’amende que si elle amène le refus de la fourniture d’un bien ou d’un service pour l’un des motifs énoncés ci-dessus13.
L’article 225-3 du même Code précise que ces dispositions ne sont pas applicables aux discriminations fondées sur l’état de santé, lorsqu’elles consistent en des opérations ayant pour objet la prévention et la couverture (…) des risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne (…).
Dans la pratique des CECOS, il n’y a pas de refus du recours à la PMA avec tiers-donneurs vis-à-vis de certains couples à cause de leur origine ethnique. Leurs demandes d’accès à la PMA avec tiers-donneur sont acceptées. Mais la situation de pénurie (notamment d’ovocytes) peut empêcher leur satisfaction et ce, quelle que soit l’origine des demandeurs.

Peut-on considérer néanmoins qu’il y a discrimination dans l’attribution des gamètes disponibles, lorsqu’un couple d’origine africaine se voit contraint d’attendre des ovocytes issus d’une donneuse de type africain au lieu de pouvoir bénéficier d’ovocytes issus d’une donneuse de type caucasien ?

Notons à nouveau que cette pratique, qui serait mise en œuvre par certains CECOS (comme celui de Tours14), ne constitue pas un refus d’accéder à un service, puisque l’accès est seulement soumis à certaines conditions mais qui seraient très certainement appliquées de la même manière à un couple de type caucasien si seuls des ovocytes issus d’une donneuse de type africain étaient disponibles. Par ailleurs, la procédure de PMA avec tiers-donneur n’est pas non plus interrompue, elle est suspendue le temps que des gamètes de même type soient disponibles.

Il ne semble donc pas que l’on puisse considérer qu’il y aurait un refus de soin ou de prise en charge, et donc une discrimination. La pratique des CECOS se situerait plutôt dans la marge de manœuvre laissée par l’article L. 2141-10 du Code de la Santé publique qui prévoit qu’un délai de réflexion supplémentaire peut être nécessaire aux demandeurs dans l’intérêt de l’enfant à naître.

A cet égard, la problématique posée par la pénurie de gamètes, en particulier d’ovocytes issues de donneuses de type non-caucasien mérite d’être examinée. Là non plus, elle n’est pas propre à la France ; elle est également constatée dans les pays où la fourniture de gamètes est rémunérée15.

Or, statistiquement, les chiffres de l’infertilité, du recours au don, et du don par type de population/ethnie devraient représenter le même pourcentage du groupe total : si la population de type africain représente par exemple 10% de la population française, les femmes de type africain dans un parcours de PMA faisant une demande de don d’ovocytes devraient représenter 10% des femmes ayant recours à ce type de PMA avec tiers-donneur, et les donneuses de type africain devraient représenter 10% des donneuses. La pénurie de gamètes ne devrait donc pas être plus importante pour elles que pour les autres femmes.

Puisque tel n’est pas le cas, il serait intéressant d’effectuer des travaux de recherche pour comprendre pour quelles raisons le don de gamètes n’existe pas ou presque pas dans la population d’origine africaine, c’est-à-dire dans sa culture. Le résultat de ces travaux pourrait être pris en compte pour évaluer et peut-être modifier telle ou telle pratique des CECOS.

– La pratique du CECOS de Tours vis-à-vis de couples de type africain ou asiatique non-mixte ne peut être comparée avec l’interrogation rapportée par le Dr Roncières dans son exposé du 5 octobre 2019 puisque le cas rapporté diffère sensiblement16. Il s’agissait, dans cet exposé, d’un couple mixte (homme de type caucasien, femme de type africain) qui avait fait lui-même une demande d’appariement, par le choix d’ovocytes de type caucasien. Le CECOS était donc invité à se prononcer sur la demande d’appariement faite par le couple.

Or ce choix conduisait à rendre invisible, dans l’enfant conçu par cette PMA avec tiers-donneur, les caractéristiques physiques de la femme. Les membres du CECOS pouvaient légitimement s’interroger pour savoir si la demande ne traduisait pas, par exemple, un refus de l’homme de voir apparaître dans son enfant des caractères phénotypiques différents des siens, et s’il ne s’agissait pas d’un choix (conscient ou non) pour gommer l’altérité des origines de sa conjointe.

  1. L’intérêt de l’enfant

• Lors des débats parlementaires, la question de l’appariement au regard de l’intérêt de l’enfant a été évoquée seulement sous l’angle du secret de la conception. L’appariement est apparu comme défavorable à l’intérêt de l’enfant car il permettrait de maintenir le secret sur le recours à un tiers-donneur17.

Il est certain qu’envisagé comme outil pour créer et maintenir le secret sur une paternité ou une maternité biologique qui n’existe pas, l’appariement est contraire à l’intérêt de l’enfant qui est, dans la mesure du possible, de « connaître ses parents18 ».

• La pratique de l’appariement a également été disqualifiée par un autre parlementaire qui a allégué que « personne n’a pu démontrer que le bien de l’enfant consistait à ressembler à ses parents. L’enfant à naître est le fruit d’un projet d’amour ; c’est la parenté qui fait la ressemblance, et non l’inverse »19.

S’il est certain que l’amour entre l’enfant et ses parents n’est pas conditionné par sa ressemblance physique avec eux, la pertinence de l’appariement au regard de l’intérêt de l’enfant ne peut cependant être ainsi balayée sans faire l’objet d’une étude plus approfondie.

A titre d’exemple l’enfant a droit, comme tout individu, au respect de sa vie privée. Ce droit est plus facilement garanti si l’enfant n’est pas susceptible d’être sans cesse questionné sur ses origines ou les circonstances de sa venue au monde, en raison de sa dissemblance avec ses parents ou le reste de sa famille.

Dans l’exemple d’un couple de receveurs tous deux de type africain ou de type asiatique auxquels on demanderait de patienter dans l’attente de gamètes issus d’un donneur ou d’une donneuse de type africain ou asiatique comme eux, on peut se demander si cette exigence ne respecte pas le droit de l’enfant de voir préserver son identité, celle-ci pouvant en partie être interprétée comme se transmettant par certains caractères phénotypiques. L’enfant de type caucasien ne reprochera-t-il pas un jour à ses parents de type africain d’avoir choisi pour lui un caractère phénotypique qui ne lui convient pas et qui ne lui permet pas d’être reconnu pour une personne d’origine africaine, dans tel ou tel contexte ?

La comparaison avec les situations d’adoption ne paraît pas être pertinente dans la mesure où les parents adoptifs ne sont pas à l’origine de la situation de l’enfant (être confié à l’adoption). Par ailleurs, dans l’adoption, il s’agit avant tout de donner une famille à un enfant qui en est privé. C’est pourquoi ce ne sont pas les candidats à l’adoption qui choisissent l’enfant20, mais les organismes chargés de l’adoption (l’État ou des organismes agréés pour l’adoption) qui vont sélectionner, parmi les dossiers de candidats à l’adoption, une famille pour l’enfant à adopter.

Au-delà de ces difficultés et questionnements non résolus, la question de l’appariement pose la question plus vaste de l’intérêt de l’enfant dans la PMA avec tiers-donneur.

La difficulté, et même la souffrance, d’enfants nés de PMA avec tiers-donneur de ne pas connaître leurs origines est maintenant assez largement connue et reconnue. C’est pourquoi d’ailleurs le projet de loi de bioéthique21 prévoit la possibilité pour la personne issue d’une telle PMA d’accéder, à sa majorité, à l’identité du donneur.

Cependant, l’accès à l’identité du donneur serait-il suffisant pour préserver l’intérêt de l’enfant ? Certes, l’intérêt de l’enfant est une notion malléable mais elle comporte, au minimum, le respect des droits de l’enfant. Or, en vertu de la Convention internationale des droits de l’enfant, ce dernier a, dans la mesure du possible, non seulement le droit de connaître ses parents mais aussi d’être élevé par eux (article 7).

Dans ce texte, la réserve « dans la mesure du possible » a été introduite car l’engagement d’un État à faire respecter le droit de l’enfant ne peut être une obligation de résultat soit en raison de l’existence d’évènements sur lesquels il n’a aucune prise (décès du parent par exemple), soit en raison de l’existence d’un obstacle dirimant au maintien du lien entre l’enfant et le parent (parent se rendant coupable de sévices sexuels sur l’enfant par exemple). Si donc l’intérêt de l’enfant lui-même peut justifier la mise à l’écart des parents biologique, en revanche un État ne respecte pas le droit de l’enfant lorsqu’il le prive du droit de connaître ses parents et d’être élevés par eux non dans son intérêt à lui mais pour satisfaire le désir d’enfant d’autrui.

C’est pourquoi le recours aux gamètes extérieurs doit être envisagé au regard des droits et de l’intérêt de l’enfant, en lui-même et non seulement au regard de ses différentes modalités (anonymat ou non).

En droit français, toute personne a le droit de faire établir sa filiation biologique réelle22 au besoin en contestant tout d’abord une filiation supposée qui lui aurait été imposée23, sous la seule réserve de la prescription des actions en justice. Seuls sont privés de ce droit les enfants issus de PMA avec tiers-donneur, pour lesquels la filiation fictive est incontestable (sauf s’il est établi que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée)24.

Pour justifier la fin de non-recevoir opposée à l’enfant issu d’un don de gamètes, il est soutenu que le lien biologique serait indifférent pour l’enfant et que ce qui compte, pour lui, c’est l’amour qui lui est donné par ses parents. Or, pourquoi l’importance du lien biologique serait-elle reconnue au profit de la population générale et exclue au détriment des personnes issues d’un don de gamètes ? Et pourquoi, dans le cadre d’une PMA, l’importance du lien biologique serait déniée aux enfants et reconnue au profit des adultes ?

Pour l’adulte, « il suffit de voir ce qui se passe dans les PMA lorsqu’une femme est inséminée par erreur par les gamètes d’un autre homme que son conjoint, ou se voit implanter un embryon issu d’un autre couple : s’il est vrai que la filiation n’a rien à voir avec la biologie, cette erreur ne devrait pas avoir de conséquence. Or, la réalité est tout autre : pour les couples concernés, c’est un drame Si le lien biologique n’est en réalité pas indifférent pour les adultes, « comment considérer ensuite de façon péremptoire que, pour les enfants, il serait indifférent d’avoir comme parents leurs géniteurs ou n’importe qui d’autre ? 25»

L’importance du lien biologique est encore démontrée récemment avec les affaires de médecins de centres de procréation médicalement assistée ayant utilisé leur propre sperme dans des PMA avec tiers-donneur, au lieu et place des gamètes de donneurs qu’ils prétendaient utiliser. Si le lien biologique était indifférent, il ne devrait y avoir aucune matière à procès. Que le sperme utilisé soit celui de Pierre, Paul, Jacques ou du médecin du centre de PMA, peu importe si le lien biologique ne compte pas. Or, les scandales qui éclatent montrent que ce n’est pas le cas26.

Enfin, pourquoi limiter l’utilisation des gamètes d’une même personne si le lien biologique ne compte pas27 ? Avec 7,7 milliards d’êtres humains sur la terre, la peur de relations amoureuses incestueuses fortuites n’est pas suffisante pour expliquer l’existence d’une règle de limitation de l’utilisation des gamètes d’une même personne.

  1. Quel chemin pour concilier la souffrance des adultes et l’intérêt des enfants ?

La souffrance exprimée par les personnes qui ne peuvent pas avoir d’enfant est indéniable. Mais la réponse à leur désir et à leur souffrance doit-elle nécessairement passer par le recours à des techniques au prétexte que celles-ci existent ?

L’évolution de la procréation médicalement assistée depuis qu’elle existe montre que les limites dites éthiques posées à un moment sont sans cesse repoussées, sous des motifs variés28 qui masquent les intérêts réels en jeu (notamment financiers). On s’achemine petit à petit vers une réification de l’enfant (tri des gamètes et des embryons par des critères médicaux mais aussi des critères de préférence tels le « matching de la personnalité » proposé en Espagne29) et vers une marchandisation de l’être humain et de la procréation (vente à travers le monde de gamètes humains, d’embryons humains, exploitation de la femme dans ses fonctions de reproduction, etc.).

Plutôt que continuer dans cette voie qui compromet la dignité de l’être humain, ne pourrait-on pas réfléchir à d’autres solutions qui préservent l’intérêt supérieur de l’enfant ? Notamment, pourquoi ne pas changer de paradigme et plutôt que de fabriquer des enfants sur mesure, pourquoi ne pas mettre la priorité sur le besoin criant de prise en charge des enfants déjà nés ? Les médias relaient fréquemment les situations dramatiques d’enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) qui passent de foyer en foyer faute de familles d’accueil, ou celles d’enfants étrangers arrivant seuls sur le territoire français. Certes dans leur grande majorité ces enfants ne peuvent pas être confiés à des parents en vue de l’adoption. Ne pourraient-ils pas néanmoins être proposés à des adultes de renoncer au recours à la conception artificielle d’un enfant – ce qui implique le renoncement douloureux à avoir un enfant « en propre » – et d’accepter de devenir pour des enfants qui en ont tant besoin des tuteurs qui les aideraient à grandir et à se construire ?

1 https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=RQohCWEb3f455UcrRnBqUmzksSs0uPNs9BC9diJyZ1o=
Arrêté du 30 juin 2017 modifiant l’arrêté du 11 avril 2008 modifié relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation
2 https://www.cecos.org/?page_id=4299
3 https://donsdegametes-solidaires.fr/wp-content/uploads/2020/11/journee-infertilite.pdf
4 Sans qu’il n’y ait aucune connotation négative de quelque nature que ce soit, seront repris dans cette note les termes habituellement utilisés pour qualifier l’origine des gamètes : type caucasien, type asiatique, type africain, type indien
5 https://www.chu-bordeaux.fr/Les-services/Service-de-Biologie-de-la-reproduction-et-CECOS/CONSULTATIONS-ET-CECOS/COM0352-CECOS-receveur.pdf/
6 https://donsdegametes-solidaires.fr/2020/11/22/lappariement-impose-aux-couples-noirs-par-le-cecos/
7 Guillaume Chiche
8 https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-10/20191008-synthese-rapport-securite-sociale-2019.pdf, p.365
9 Marie-Noëlle Battistel
10 Camille Galliard-Minier
11 Jurgen Habermas, L’avenir de la nature humain – Vers un eugénisme libéral ? éditions Gallimard
12 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006165298/
13 Article 225-2 du Code pénal
14 https://donsdegametes-solidaires.fr/2020/11/22/lappariement-impose-aux-couples-noirs-par-le-cecos/
15 Comme l’a relevé Lisa Ditkowski, analyste du secteur de la « fertilité », « il y a en particulier une grave pénurie de donneuses d’ovules d’origines ethniques diverses » (White paper: the fertility field mergers & acquisitions (m&a): frothy or the next frontier?” par Lisa Ditkowsky, CFP® (Livre blanc : les fusions et acquisitions dans le domaine de la fertilité (m&a) : légèreté ou la prochaine frontière ? http://www.pllush.com/blog/fertility-ivf-donor-eggs-shady-grove-fertility-centers-illinois-private-equ)
16 https://donsdegametes-solidaires.fr/wp-content/uploads/2020/11/journee-infertilite.pdf
17 En effet, si dans l’hypothèse d’une PMA réalisée pour une femme ou pour deux femmes, l’information de l’enfant sur les conditions de sa conception semble aller de soi, en revanche elle n’est pas garantie lorsque la PMA avec tiers-donneur est effectuée au sein d’un couple homme-femme. Une version du projet de loi souhaitait inscrire dans la loi une incitation pour les parents à « créer les conditions pour informer » leur enfant des conditions de sa conception. Elle a finalement été abandonnée.
18 Article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant
19 Marc Delatte
20 Même s’il l’on peut considérer qu’il y a une sorte de choix lorsqu’ils acceptent que leur dossier de candidature soit présenté pour l’adoption de tel enfant mais pas de tel autre
21 A tout le moins dans les versions adoptées à l’Assemblée nationale puisque les versions adoptées par le Sénat subordonne l’accès à l’identité à l’expression du consentement par le tiers-donneur au moment où la demande est exprimée, ce qui fragilise grandement la possibilité pour l’enfant de pouvoir accéder à l’identité du tiers-donneur.
22 Articles 325 et suivants du code civil
23 Articles 332 et suivants du Code civil
24 Articles 331-19 et 311-20 du Code civil
25 Aude Mirkovic, « La PMA pour toutes, une mesure lunaire ? » in Gènéthique, 11 mars 2020
26 https://www.rechtspraak.nl/Organisatie-en-contact/Organisatie/Rechtbanken/Rechtbank-Rotterdam/Nieuws/Paginas/Weduwe-en-erfgenamen-vruchtbaarheidsarts-moeten-DNA-vergelijkingsonderzoek-toestaan.aspx
27 https://www.lemonde.fr/blog/lavventura/2021/03/25/donneur-de-sperme-en-serie/
28 « cela se pratique à l’étranger et en ne légalisant pas en France, on oblige les personnes à se rendre à l’étranger » ; « c’est l’évolution de la société » ; « puisque la technique permet de répondre au désir des personnes, pourquoi ne pas y accéder » ; « cela permet une amélioration de la santé de tous » etc.
29 https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/la-pma-la-clinique-espagnole-et-le-bebe-qui-vous-ressemble