Extrait :
3 – Un nouveau droit d’accès aux origines délicat à mettre en œuvre et aux conséquences importantes sur le stock de paillettes
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021, les dons de gamètes et d’embryons étaient obligatoirement réalisés sous le régime de l’anonymat, empêchant toute communication des informations permettant d’identifier à la fois celui qui a fait le don et celui qui l’a reçu, sauf cas de nécessité thérapeutique.
Désormais, depuis le 1er septembre 2022, toute personne conçue par assistance médicale à la procréation avec don peut, à sa majorité, demander à accéder à l’identité et aux données non identifiantes du tiers donneur. Le consentement à la communication de ces données constitue par ailleurs une condition préalable à tout don de gamète ou d’embryon. Afin de permettre une gestion nationale des données relatives aux donneurs, aux dons et aux enfants nés de don, l’agence gère un nouveau registre « des donneurs de gamètes et d’embryons ».
La mise en œuvre de ce droit s’avère néanmoins délicate. S’agissant des dons réalisés depuis le 1er septembre 2022, le décret n° 2022-1187 du 25 août 2022 prévoit qu’il appartient au médecin de l’organisme en charge du prélèvement des gamètes de recueillir l’identité et les données non identifiantes du donneur ayant préalablement consenti à leur communication. Charge à lui ensuite de les intégrer au nouveau registre national géré par l’ABM qui doit également permettre de vérifier le respect de la règle des 10 enfants maximum prévue par l’article L. 1244-4 du code de la santé publique.
L’agence constate cependant que les centres de don ont tendance à attendre la naissance de l’enfant pour y procéder, contrairement à ce que prévoit la loi. Or, si l’information peut être facilement retrouvée lorsque l’assistance médicale à la procréation se déroule dans une maternité attenante, il est à craindre que les centres n’inscrivent pas l’ensemble des donneurs dans le registre de manière exhaustive, compliquant ainsi la mise en œuvre effective de ce nouveau droit.
Le problème principal concerne toutefois les dons réalisés avant cette date. En effet, si tout ancien donneur peut désormais consentir de sa propre initiative à la communication de son identité et de ses données non identifiantes, la loi prévoit également la possibilité de le faire à la suite d’une demande d’accès aux origines par une personne née d’un de ses dons. Cela implique en pratique pour la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD), lorsque ces donneurs ne figurent pas sur le registre, de se tourner vers les centres de don, seuls à disposer d’informations sur lesdits donneurs, afin d’obtenir leur accord. Or la quasi-totalité des centres de don ne renseignent les filiations antérieures à la nouvelle loi de bioéthique qu’après saisine de la CAPADD, expliquant ainsi le nombre encore très réduit d’anciens donneurs recensés sur le registre (54 en septembre 2023). En outre, faute de moyens suffisants, notamment en secrétariat, certains centres rencontrent d’importantes difficultés pour retrouver des donneurs perdus de vue depuis parfois plusieurs dizaines d’années et ce d’autant plus qu’il n’existait pas d’obligation d’archiver les données relatives aux filiations avant 1994.
Selon le premier rapport annuel d’activité de la CAPADD, 869 courriers ont été reçus entre le 1er septembre 2022 et le 31 août 2023 dont 435 consentements spontanés (74 % d’hommes, 26 % de femmes) et 434 demandes de communication. S’agissant de ces dernières, 110 donneurs ont pu être identifiés (25,4 %) dont 87 encore vivants (20 %). Au total, seul 19 donneurs ont répondu favorablement (21,8 %), les autres ayant soit omis de répondre dans le délai de trois mois prévu par la réglementation (52) soit expressément refusé (16).
Ainsi, le droit d’accès aux origines devrait rester assez théorique pendant encore plusieurs années d’autant plus que les premières demandes pour les personnes conçues à partir d’un don effectué après le 1er septembre 2022 n’interviendront qu’à partir du 1er juin 2041.
Ce nouveau droit va par ailleurs avoir un impact important sur le stock de gamètes disponibles, et plus particulièrement de paillettes (sperme congelé).
Parmi les craintes exprimées lors des débats parlementaires entourant la dernière loi de bioéthique figurait le risque d’une diminution du nombre de dons du fait de la fin de l’anonymat. Tel n’est pas le cas pour l’instant, le nombre de donneurs ayant connu un niveau record en 2022 grâce notamment à l’action des centres qui veillent de plus en plus à les inciter à revenir plusieurs fois afin d’étoffer leurs stocks.
Ces chiffres doivent néanmoins être pris avec précaution dans la mesure où, d’une part, le droit d’accès aux origines n’est entré en vigueur qu’à compter du 1er septembre 2022 et, d’autre part, trois nouveaux centres ont été autorisés à stocker des gamètes au cours de l’année 2022 (Limoges, Orléans et Poitiers).
Par ailleurs, selon l’agence, bien que le nombre de nouveaux donneurs soit resté stable depuis la fin de l’année 2022 (130 donneurs en moyenne par trimestre), le nouveau stock de paillettes constitué ne permet toujours pas de couvrir les demandes d’assistance médicale à la procréation avec don de spermatozoïdes (cf. supra) tandis que l’ancien n’est suffisant, en théorie, que jusqu’à décembre 2024 environ.
Or, la nouvelle loi de bioéthique a prévu qu’à compter d’une date fixée par décret, seuls les gamètes pour lesquels les donneurs ont consenti à la transmission de leur identité et de leurs données non identifiantes pourront être utilisés pour une tentative d’assistance médicale à la procréation. Dans l’attente, le décret du 25 août 2022 précité a prévu que les centres attribueraient « en priorité » les gamètes conservés avant le 1er septembre 2022, lesquels constituent encore la très grande majorité des stocks actuellement disponibles (environ 77 % en avril 2023).
Le décret du 16 août 2023 a finalement fixé au 31 mars 2025 la date limite d’utilisation de l’ancien stock correspondant à l’intervalle le plus éloigné proposé par un groupe de travail piloté par l’agence associant l’ensemble des parties prenantes (centres, ministère, associations, etc.). Justifiée principalement par la volonté de minimiser les destructions de gamètes stockés – moins de 1 000 contre entre 2 000 et 5 000 pour un changement de cuves au 31 décembre 2024 et entre 11 500 et 14 500 au 1erseptembre 2024 – ainsi que les tensions sur l’activité d’assistance médicale à la procréation, cette stratégie risque néanmoins, au vu des difficultés actuellement rencontrées par les personnes nées d’un don réalisé avant le 1er septembre 2022, de conduire à d’importantes disparités selon le stock de gamètes utilisé.