Interview de la donneuse d’ovocytes Anaïs

Titre de la vidéo 1 : Faire un don d’ovocytes était une évidence, un besoin viscéral, avec Anaïs (1/2)
Auteur : Marie Arnoult
Date : 3 juin 2024
Lien : https://www.youtube.com/watch?v=j8kwNIlEDLc&ab_channel=MarieArnoult

Présentation
« Si aujourd’hui la PMA est un sujet relativement abordé, celui du don de gamètes reste silencié, encore plus lorsque l’on est une femme. On fait parler ceux qui reçoivent des ovocytes, mais entend-on parler de ceux et celles qui décident de donner ? Et connaît-on vraiment le parcours de ceux qui décident de faire don d’une partie de leur corps ?

Petite particularité française, le don de gamètes est un acte gratuit et non rémunéré. Le parcours est loin d’être anodin, alors que dans de nombreux pays, les femmes reçoivent une contrepartie financière pour ce que leur coûte ce parcours compliqué. Ce refus de rémunérer ne serait-il pas paradoxal ? Et puis, il y a la question de l’anonymat : en France, les différentes lois relatives au don de gamète rappellent que le don reste anonyme. Cette obligation d’anonymat a de fait rendu supérieur le projet parental à la réalité biologique. Ainsi, le donneur ne sera jamais considéré comme parent. En 2011, la loi de bioéthique s’est légèrement alignée à la vision européenne. Désormais, il y a la possibilité d’une levée de l’anonymat partielle, permettant à l’enfant d’obtenir, à sa majorité, des informations non identifiantes sur le donneur. L’anonymat imposé par la loi française renforce l’idée selon laquelle le parent social serait supérieur au parent biologique. Cette loi n’a pas pour but ni de protéger le donneur, ni l’enfant, mais bien le secret qui entoure la conception. La gratuité en France du don a pour conséquences que 8000 couples sont en liste d’ attente, car des donneuses, il y en a peu.

Pour donner, il faut avoir 18 et 37 ans pour les femmes, et attention, l’accord du compagnon. Quand on sait qu’un don d’ovocytes ne peut aller qu’à 1 ou 2 couples, et qu’un don de sperme peut être reçu par 10 couples, autant dire que le don d’ovocytes en France souffre d’une large pénurie. Concrètement, pendant 10 à 12 jours, les donneuses enchaînent : injections, prises de sang, échographies, prélèvement avec hospitalisation, entretien psychologique… À titre de comparaison, en Espagne, le don est rémunéré à hauteur de 900 euros, et chaque donneuse ne peut donner que 2 fois par an et 6 fois en tout. Et évidemment, les donneuses sont bien plus nombreuses.

Par delà les questions entre éthique et droits fondamentaux, il était important de donner la voix à l’une de celles qui à décidé de faire don de ses gamètes.

Anaïs fait partie de ces femmes qui un jour, ont décidé qu’il était trop injuste d’ovuler chaque mois sans pouvoir faire profiter des couples en attente d’une donneuse. Anaïs s’est engagée dans ce parcours, loin d’imaginer que ce don, gratuit et anonyme, serait si complexe. »

Titre de la vidéo 2 : Le don d’ovocyte gratuit en France, paradoxe d’une loi illogique, avec Anaïs (2/2)
Auteur : Marie Arnoult
Date : 3 juin 2024
Lien : https://www.youtube.com/watch?v=wY6et488FPQ&ab_channel=MarieArnoult

Présentation
« Quand on sait que chaque année, 8000 couples attendent un don. Quand on connaît la lourdeur de ce qu’implique le don de gamètes, encore plus d’ovocytes… que penser de cette loi française qui continue de considérer que « donner » une partie de son corps doit rester un acte gratuit ? Quand on sait ce que suppose le don d’ovocytes, les rendez-vous répétés à l’hôpital, les injections d’hormones, le prélèvement sous anesthésie … Pourquoi donc la France reste l’un des seuls pays à refuser d’accorder une contrepartie ?

Pourtant, des donneuses, il y en a peu. Et la communication autour du don ? Absente. Alors doit-on reconsidérer cette loi ? Doit-on envisager d’accorder une rétribution à celles et ceux qui décident de donner une infime partie de leur être, pour permettre à d’autres de devenir parents ? Ou bien doit-on continuer le don de gamètes comme un acte qui doit rester gratuit ?

La suite de notre échange, avec Anaïs, qui a un jour décidé que ne pas donner était du gâchis. »

Interview du Dr Anne MAYEUR LE BRAS

Dr Anne MAYEUR LE BRAS

Le docteur Anne MAYEUR LE BRAS mène un travail sur le don d’ovocytes et sur la technique du transfert de pronoyaux (voir notre publication article « Enquête sur le don d’ovocytes »). Nous pensons beaucoup de bien de la technique du transfert de pronoyaux qui selon nous, représenterait un réel progrès pour les femmes infertiles, leurs enfants, ainsi que les donneuses d’ovocytes favorables à un strict anonymat du don. Nous vous invitons à regarder la vidéo qui suit, puis à répondre au questionnaire de l’enquête.

Lien vers l’enquête : https://form.dragnsurvey.com/survey/r/bb8af67c

Lien vers le centre AMP de l’hôpital Antoine-Béclère : http://hopital-antoine-beclere.aphp.fr/assistance-medicale-a-la-procreation/

Interview

Tout d’abord je tiens à vous remercier de l’opportunité d’avoir une tribune d’expression autour de cette double thématique : le don d’ovocytes et le transfert de pronoyaux.

  • 1) Pouvez-vous nous présenter rapidement l’activité AMP de l’hôpital Antoine-Béclère ?
Le centre d’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) de l’hôpital Antoine-Béclère existe depuis 1978. Ce centre comprend deux services travaillant en étroite collaboration le service de médecine de la Reproduction (Pr M. Grynberg) et le service de Biologie de la Reproduction-CECOS (Pr N. Achour-Frydman) dans lequel je travaille. Nous prenons en charge les couples infertiles et effectuons toutes les techniques d’AMP en intraconjugual et avec don (don d’ovocytes ou don de sperme). Actuellement, le centre n’effectue pas de recrutement de donneurs de sperme, mais il faudra le développer au vu de la future loi de Bioéthique. Nous recevons également des femmes et hommes dans le cadre de la préservation de la fertilité, pour lesquels(les) une conservation de leurs gamètes est nécessaire avant prise en charge d’une maladie dont le traitement pourra altérer leur fertilité. Enfin, notre centre est l’un des cinq centres français autorisé pour la pratique du Diagnostic Génétique Préimplantatoire (DPI). Cette technique particulière concerne les couples ayant un risque de transmettre une maladie génétique d’une particulière gravité. Au total, l’ensemble de ces activités représente plus de 1000 ponctions par an.

  • 2) Pouvez-vous nous parler de votre enquête sur le don d’ovocytes ?
Ce projet est né d’une rencontre entre la Biologie de la Reproduction et la Génétique (Pr Julie Steffann, Laboratoire de Génétique, Hôpital Necker). Dans notre activité de DPI, nous prenons en charge des patientes porteuses de maladies mitochondriales c’est-à-dire de maladies transmises par les mitochondries mutées (malades). Les mitochondries sont présentes dans le cytoplasme de l’ovocyte. Nous avons donc couplé notre expertise dans la micromanipulation des embryons à l’expérience du Pr Steffann dans le diagnostic génétique de ces maladies puisqu’elle a développé et réalisé les premiers Diagnostics Prénataux et Préimplantatoires pour ces couples. Ainsi, est né notre projet de recherche sur l’embryon humain autorisé par l’Agence de Biomédecine en 2016. Dans le cadre de ce projet nous nous appliquons à mettre au point la technique du transfert de pronoyaux et surtout d’investiguer les conséquences éventuelles de ces manipulations tant sur le développement embryonnaire que sur l’intégrité génétique de l’embryon issu de ce transfert. L’élaboration de la nouvelle loi de bioéthique va ouvrir un nouveau droit aux enfants issus du don : l’accès à leurs origines et la révélation à leur majorité de l’identité du donneur ou de la donneuse de gamètes. Ce changement nous a conduit à nous interroger sur l’applicabilité du transfert de pronoyaux au don d’ovocytes. La France manque indéniablement de donneuse d’ovocytes avec comme conséquence un temps d’attente pour les couples receveurs d’en moyenne 2 ans. Ce temps est indiscutablement très long. Nous nous sommes alors demandés les raisons d’une telle pénurie de donneuse ? Et plus précisément qu’elle était la place du lien génétique donneuse – enfant issu du don dans ces raisons ? Nos interrogations étaient les suivantes : les donneuses seraient elle plus enclines à donner leurs ovocytes en sachant qu’elles ne transmettraient pas leur patrimoine génétique et parallèlement une receveuse serait-elle plus encline à recevoir si l’enfant issu du don de cytoplasme était son enfant biologique ? Via le transfert de pronoyaux, seul l’enveloppe ou cytoplasme de l’ovocyte de la donneuse serait utilisé, le lien génétique receveuse – enfant au sens propre du terme et le retour aux données nominatives de la donneuse n’auraient plus lieu d’être ou tout du moins soulèverait certainement moins d’interrogations pour l’enfant issu de ce don. Je tiens juste à préciser, que l’enveloppe de l’ovocyte (cytoplasme) contient des mitochondries possédant leur ADN propre qui ne comprend qu’une trentaine de gènes impliqués dans le métabolisme énergétique de la cellule. Rapporté au 24 000 gènes du noyau de l’ovocyte codant pour des caractéristiques individuelles, il est considéré que l’ADN mitochondrial n’est pas impliqué dans la transmission génétique au sens consensuel du terme c’est-à-dire dans la transmission de traits ou caractéristiques humaines.

  • 3) Combien de femmes en France sont atteintes d’un problème d’infertilité à cause d’un cytoplasme malade ?
Les problèmes d’infertilité causée par un cytoplasme malade correspondent à un ensemble de maladies appelées pathologies mitochondriales. Les maladies mitochondriales regroupent une grande variété de pathologies avec une incidence de 1/5000 naissances. Ces maladies entrainent des symptômes graves et il n’y a actuellement pas de traitement. Le traitement est essentiellement symptomatique et ne modifie pas de façon significative l’évolution de la maladie.

  • 4) Est-ce que l’actuelle loi française interdit la pratique du transfert de pronoyaux ?
Actuellement, la loi française (loi de bioéthique) interdit la pratique du transfert de pronoyaux. Il convient de préciser que le transfert de pronoyaux s’inclut dans une méthode globale appelée « remplacement des mitochondries » (mitochondrial replacement therapy). Le remplacement mitochondrial consiste à transférer le génome nucléaire de l’ovocyte d’une femme dans un ovocyte énucléé d’une donneuse. Cette opération peut être réalisée avant la fécondation et l’on parle de transfert du noyau de l’ovocyte ou après la fécondation et l’on parle de transfert de pronoyaux (noyau de l’ovocyte et noyau du spermatozoïde). Internationalement, le Royaume-Uni a été le premier pays à autoriser éthiquement et légalement le remplacement de mitochondries en 2015. La clinique qui effectue cette technique (Newcaslte Fertiliy Clinic) a par la suite reçu son agrément en 2017. Les Etats-Unis ont autorisé éthiquement cette technique en 2016 mais légalement la FDA (Food Drug Administration) a banni la poursuite de ce projet. La première naissance a été obtenue en 2016 par le Pr John Zhang au Mexique puis il est parti travaillé en Ukraine (Nadiya Clinic, Ukraine).

  • 5) Pouvez-vous nous expliquer pourquoi la loi française interdit cette pratique ?
Pour répondre à cette question il faut rappeler que la loi de bioéthique Française a autorisé le DPI en 1994 (décret d’application en 1999) pour les couples à risque de transmettre une maladie d’une particulière gravité. Cette technique nécessite le prélèvement de cellules à l’intérieur de l’embryon afin de les analyser génétiquement pour la pathologie en cause. Cette autorisation éthique et légale a été un grand pas en avant puisque pendant longtemps le DPI a été considéré par certains comme une pratique eugéniste. De plus, du fait que nous touchions à l’intégrité cellulaire de l’embryon posait problème. Actuellement le dépistage des trisomies ou monosomies non viables dans ces embryons n’est pas possible. Cela parait aberrant d’implanter un embryon sain pour une pathologie génétique grave mais potentiellement porteurs d’une trisomie ou monosomie et pourtant le législateur n’est pas encore prêt à changer la loi pour l’ajout d’un diagnostic qui peut paraitre sans doute logique. A côté de cela le transfert de pronoyaux est une activité très récente et anecdotique. En effet, la première naissance issue de cette technique date de 2016. L’intégration de cette technique dans la législation Française est trop prématurée. Nous manquons encore de données sur la santé à long terme des enfants nés grâce à cette pratique. De plus, même si les recherches internationales sur les conséquences génétiques et le développement embryonnaire sont rassurantes il existe encore trop données contradictoires pour parler d’intégration à la loi française. Par ailleurs, la recherche sur l’embryon en France est très compliquée à mettre en place et l’impossibilité de créer des embryons pour la recherche est un frein à la mise au point technique du transfert de pronoyaux. Ethiquement, ces techniques sont compliquées à comprendre et peuvent rapidement être considérées comme du clonage ou la création d’embryons chimères puisque l’on recourt à l’utilisation du cytoplasme de la donneuse, du noyau de l’ovocyte de la femme requérant une AMP et du noyau du spermatozoïde du conjoint. Je tiens à préciser que le transfert de pronoyaux n’est rien de tout cela. Au Royaume-Uni cette technique n’est autorisée que pour les couples dont les ovocytes de la femme sont porteurs d’une maladie mitochondriale. L’une des craintes que pourrait avoir le législateur est l’extension de cette pratique à d’autres indications non justifiées. En conclusion de cette question …. Si le transfert de pronoyaux doit être un jour débattu cela laisse présager de longues discussions et nous espérons que notre recherche pourra aboutir à des résultats permettant d’alimenter ce débat.

  • 6) Des médecins annoncent que dans 10 ou 20 ans au maximum, il sera possible de créer des ovocytes artificiels. Est-ce que la technique du transfert de pronoyaux ne risque pas de devenir inutile le jour où il sera possible de créer des gamètes artificiels à partir de cellules souches ?
La création de gamètes à partir de cellules souches restent comme le transfert de pronoyaux une technique encore largement débattue. Malheureusement, le problème concernant les maladies liées au cytoplasme restera le même. Les maladies mitochondriales concernent le cytoplasme de l’ensemble des cellules des différents tissus. La cellule souche issue de la patiente conservera donc la pathologie mitochondriale. L’ovocyte issu de cette cellule souche reprogrammée portera encore cette maladie.

  • 7) Quand prévoyez-vous de publier les premiers résultats de vote enquête ?
Nous espérons publier les premiers résultats de cette enquête cet été. Afin que les résultats soient le plus représentatifs possible nous attendons un maximum de réponse représentant toutes les classes d’âge et toutes les catégories socio professionnelles. La publication des résultats pour les répondants à l’enquête nous tient à cœur.

  • 8) La loi impose que le don d’ovocytes doit être anonyme, ce qui interdit le don direct. Est-ce qu’il faudrait selon vous prévoir une exception dans le cas d’un transfert de pronoyaux ?
C’est une très bonne question ! Cela serait une possibilité non négligeable pour diminuer le temps d’attente avant de bénéficier d’un don d’ovocytes. Etant donné l’absence de lien génétique (au sens de l’ADN présent dans le noyau) entre la donneuse et l’enfant, il me paraitrait tout à fait approprié d’autoriser le don dirigé dans le cadre du transfert de pronoyaux. Cela reviendrait à effectuer un don comme un autre tel le don d’organe, le don de moelle osseuse dans lesquels le don direct est autorisé.

  • 9) Actuellement, un donneur qui fait un don de gamètes n’a pas de droit de regard sur l’utilisation de ses gamètes. Selon vous, est-ce qu’il faudrait donner le droit à des donneuses d’ovocytes de choisir que leur don soit exclusivement utilisé dans le cas d’un transfert de pronoyaux, ou à l’inverse, s’opposer à ce que leurs ovocytes servent pour un transfert de pronoyaux ?
Une question sur laquelle j’ai du mal à avoir un avis véritablement tranché … Je pense qu’un don d’ovocytes part d’une démarche altruiste parce qu’on a été sensibilisé par quelqu’un à un moment de notre vie où nous étions réceptives. En ce sens, la démarche du don doit être détachée de l’utilisation réelle des gamètes. Cependant, la réalisation du transfert de pronoyaux avec l’utilisation d’un ovocyte de donneuse nécessiterait un suivi particulier de la grossesse, de l’enfant. S’il s’avère nécessaire de revenir à la donneuse pour obtenir des informations complémentaires il parait important qu’elle soit informée en amont de l’utilisation de ces ovocytes dans le cadre de cette technique.

  • 10) Que pensez-vous de l’actuel projet de loi bioéthique qui doit normalement être promulgué avant la fin de l’année ?
Nous attendons tellement cette loi …. Il y’a eu beaucoup d’aller-retour entre Sénat et Assemblée Nationale ainsi que des reports liés malheureusement à la crise sanitaire que nous connaissons tous. Concernant l’AMP j’espère que les promesses quinquennales seront tenues. Mon seul regret concernera l’absence d’ouverture de la loi à l’autorisation de pouvoir détecter les trisomies ou monosomies les plus fréquentes dans les embryons pour les couples pris en charge en DPI mais ce n’est que partie remise…. Enfin je l’espère.

Nous vous remercions pour toutes ces réponses

Interview de Nathalie Lancelin-Huin

Nathalie Lancelin-Huin
Copyright photo : Véronique Taupin

Psychologue spécialisée en périnatalité, Nathalie Lancelin-Huin exerce à la maternité d’Annecy ainsi qu’en libéral, auprès des parents, des bébés, et des professionnels. Elle a créé son propre organisme de formation : Nathalie-T Formations, via lequel elle transmet ce que le terrain lui a appris.

Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le dernier paru ce printemps : « PMA, GPA, SOUS X ; Quelques lettres qui ne disent pas l’essentiel ».
lien Fnac

Le 30 mai 2020, elle a publié l’article « Les donneurs, ces grands oubliés de la PMA/GPA – BLOG » sur le site Huffington Post.

Adresse de son site Internet : http://www.nathalie-t.com

Interview (réalisée en juin 2020)

  • Pouvez-vous nous parler des donneurs que vous recevez en consultation ?

Si vous permettez, j’aimerais commencer en vous remerciant de me donner l’opportunité de répondre à des questions si délicates autour d’un thème véritablement tabou : « les donneurs ». Sachez que ma nature profonde ne va pas à la polémique, pourtant je sais déjà que la teneur de vos questions et de mes réponses, n’ira pas au consensus, car toutes ces questions sont très complexes.

Pour en revenir à votre première question, je ne reçois pas beaucoup de donneurs en consultation, surtout les receveurs des dons finalement (futurs ou actuels). Ils arrivent avec leurs préoccupations et leurs questions éthiques, philosophiques, génétiques mais aussi affectives. Les receveurs mesurent bien qu’il ne s’agit pas d’un engagement mineur de part et d’autres (y compris potentiellement pour l’enfant), et que parmi tous les dons de matériaux vivants (sang, organes, etc.) celui-ci est à part. Ils le pressentent, du moins certains.

La situation la plus aigüe qui m’ait été donnée d’accompagner en matière de dons de gamètes, concernait un jeune couple, dont l’homme était infertile et dont le parcours était long et douloureux. Ils venaient me rencontrer car le père du jeune homme avait bien réfléchi à leur situation et leur avait proposé de leur faire don de son sperme. Le jeune couple était très tenté, après plusieurs échecs de PMA et voulait être sûr que ce soit « une bonne idée ».

De manière générale, ce sont surtout les femmes qui viennent questionner le don, certainement parce que ce sont elles qui reçoivent et portent le matériau en question. A noter qu’il n’est pas semblable pour une femme d’accueillir un don d’ovocyte de la part d’une autre femme (gamète intériorisée et à visée procréative), que le sperme d’un autre homme que le sien (gamète extériorisée et à connotation sexuelle ajoutée).

Probablement aussi parce qu’elles sont plus enclines à exprimer leurs émotions et à mettre des mots sur ce qui les touche et les interroge. Tandis que les hommes ont tendance à être plus taiseux sur les sujets de l’intime et en général beaucoup plus pragmatiques dans leur réflexion.

A ceci s’ajoute que le don d’ovocyte est dès le départ beaucoup plus engageant pour une donneuse, puisqu’il est question d’un traitement médical et d’une opération pour un recueil de gamètes « au compte-gouttes », alors que pour le don de sperme, le process est somme toute accessible, immédiat, généreux en nombre, et donc peut faire moins réfléchir.
Ce qui est plus, moins ? Je laisse chacun l’estimer…

  • Est-il déjà arrivé qu’un ancien donneur vous dise regretter d’avoir fait un don de gamètes ?

La parole des donneurs se libère un peu, surtout celle de ceux qui par le passé ont été dans une sorte de surenchère (à une époque où le don de sperme se pratiquait mais était peu questionné et encadré). Cela a donné lieu à bien des fantasmes du nombre d’enfants que ces derniers pourraient avoir « dans la nature ». Le mesurant après-coup, certains s’en sont vantés dans les médias locaux ou nationaux, d’autres ont eu le vertige et ont pu prendre peur.

Quelques-uns ont pu dire qu’ils ne regrettaient pas leur geste, mais qu’ils ne le referaient pas si c’était à refaire. Cela peut paraître contradictoire mais ne l’est pas. En effet pour certaines raisons ils ne le regrettent pas (leur envie sincère d’aider à l’époque, leur intention et leur ignorance du moment, l’idée que des enfants soient nés grâce à leur don,…), mais pour d’autres motifs (l’idée du nombre, leur ressenti après-coup, tout ce qu’ils ont su depuis sur les dons ou les enfants nés du don, tout ce qu’ils ne mesuraient pas alors de ce qui serait un questionnement à vie, l’anonymat, les lois qui évoluent, etc.), ils ressentent clairement qu’ils ne le referaient pas, ou sont peu sûrs qu’ils le referaient aujourd’hui. En tous cas, ils s’interrogent…..

Pour ces donneurs, apriori minoritaires, il s’agit de la question du cheminement qui s’est opéré, entre le moment où ils ont décidé de donner leurs gamètes, le moment où ils l’ont fait concrètement, et l’après comme le maintenant, de ce qu’ils ne pouvaient pas savoir avant que d’être … donneurs. Les acquis d’une certaine conscience ?

  • Avez-vous connaissance d’enfants de donneurs qui auraient développé des inquiétudes similaires à celles que l’on retrouve chez certaines personnes issues d’un don ?

J’ai envie de vous répondre, en illustrant cela avec deux autres thématiques périnatales : l’adoption et la Gestation Pour Autrui.

Je m’explique, si l’on écoute les enfants aînés de parents qui ont confié un enfant à l’adoption (je pense là par exemple, à ce qu’on appelle « le don d’enfant » à Tahiti, qui s’est pratiqué longtemps sur ce territoire de grande précarité), ils peuvent dire que le fait que leur mère ait porté un enfant après eux et que leurs parents l’aient confié à l’adoption, les a fait se poser beaucoup de questions selon les périodes de leur enfance. De type, « pourquoi moi je suis restée, pourquoi pas lui ? Que devient-il, est-ce une chance pour lui ? Sait-il son adoption et préfèrerait-il être avec nous ? ».
Et pour les enfants nés après lui et qu’une mère, éprouvée par le don, aura gardés ensuite, d’autres questions encore.
Et pour l’enfant concerné par ce don et adopté par des parents ailleurs qui seront restés en lien avec le couple tahitien, que peut-il bien penser à ce grand loto vertigineux de la vie ? « Pourquoi moi ? » …

Deuxième illustration, la fratrie ainée d’un couple ayant accepté une GPA pour un couple demandeur (puisqu’il est demandé aux couples le proposant, d’avoir déjà une famille…). Si l’on prend le temps de recueillir leurs témoignages et leur silence, cette démarche ne se fait pas sans un questionnement qu’ils partagent avec peu de commentaires, mais qui est bien là (à qui veut bien l’entendre et le respecter sans juger). Et d’ailleurs comment pourrait-il en être autrement ?

Enfin je partagerai avec vous un témoignage touchant, celui d’une femme venue visiter depuis les USA son frère aîné, aujourd’hui adulte et accueilli dans un établissement spécialisé en Europe. Elle avait confié à cette occasion à l’éducateur référent de ce dernier, qu’elle était très petite quand ses parents en difficultés avec cet enfant dit autiste, avait décidé de le placer en institution, et que la pensant trop jeune pour comprendre, ne lui en avait pas parlé pendant longtemps. Du jour au lendemain ce grand frère avait comme « disparu », et elle confiait donc combien pendant longtemps, elle avait vécu le soir cette angoisse qu’on vienne la prendre et qu’elle disparaisse, elle aussi. Ressenti vivace d’abandon…

Alors oui, il est tout à fait plausible que les enfants de donneurs et restés auprès d’eux, plus ou moins anxieux à la base, portent plus ou moins d’inquiétudes en eux, et en pensant au potentiel enfant né de ce don, et à qui il saurait être pour eux ? Un frère, une sœur, rien, autre chose ?

Un peu aussi à l’image des femmes qui auront accouché sous le secret, sous le sceau du X, et dont les enfants ainés ou puînés auront eu à le savoir. Certains partent à la recherche de l’absent, voire en font la quête de leur vie ou de leur famille. Question de sensibilité et d’individualité… Pas de généralités, mais des réalités aussi.

  • Actuellement, on estime que les couples ayant eu un enfant par AMP avec tiers donneur doivent en parler à leur enfant. L’objectif étant d’éviter un secret de famille. Dans la famille du donneur de gamètes, est-ce que le don de gamètes est à considérer comme un secret de famille ?

Que de questions sensibles et inconfortables !
Très basiquement, s’il est fait sciemment un secret autour du don de gamètes, cela deviendra un secret.

Tout dépend de l’intention de départ et de sa clarté, de ce qui a fondé le choix de donner (raisons plus ou moins « louables », plus ou moins conscientes, comme d’ailleurs dans tout désir d’enfant). Et tout dépend de s’il y a souhait de transparence ou occasion de mensonges de la part des adultes.

Mais même sans intention de faire un secret, ce qu’il y a à comprendre, c’est que lorsque l’humain touche à la source du vivant, et consécutivement au secret des origines, il y a secret en potentialité. Tout va donc se jouer dans l’intention de départ des donneurs et receveurs, dans leur conscience des enjeux, et dans leur souci de vérité si elle est interpellée (par les enfants des donneurs, les enfants issus du don, les parents receveurs…).

C’est sans compter ce qui se jouera, quand l’ensemble des enfants concernés par le don (fratrie des familles donneuses et celle des familles receveuses, avec aussi le contexte des enfants conçus naturellement après le parcours de PMA de leurs parents), aspireront à devenir parents à leur tour et que ce secret ou ce non-dit, remontera dans les mémoires.
Sans oublier ce que connaissent fort bien les psychothérapeutes, tous ces secrets de filiation (d’enfants nés hors mariage, sous x, adoptés, etc.) qui s’expriment inconsciemment et sur plusieurs générations.

Après, demandons-nous ce qui pourrait motiver à ne pas évoquer ce don, si effectivement il est suffisamment clair et centré sur une aide à la procréation. C’est plutôt dans ce sens qu’il faudrait nous questionner !

D’autant qu’il s’agit de la procréation et des origines d’un être en devenir, donc de ses fondements. D’autant qu’il s’agit pour lui d’avoir accès à son patrimoine physique (santé et ressemblance) mais aussi psychique, émotionnel et résonant.

Surtout que chacun de nous n’a pas « grand mérite » à avoir un capital ovocytaire ou spermatique, on l’a ou pas en héritage. C’est donné par la Vie, c’est gracieux. Donc il n’y a pas faute ou honte à avoir, quand cela n’est pas donné.
Pour autant, je le redis, ce n’est pas un don anodin, il n’est semblable à aucun autre. Il engage et contient un patrimoine, une lignée, la procréation, le monde des origines. Il a une histoire et contient l’histoire-même de la Vie.

Et puis ces dons n’étant pas isolés, ils peuvent concerner des enfants qui ne savent pas cette réalité et qui pourraient avoir à croiser un jour « par hasard » ou comme par « non hasard », un autre avec lequel ils sont en filiation, sans le savoir donc. Nous avons quand même quelques illustrations qui si elles semblent exceptionnelles, sont vertigineuses en ressenti.

  • Selon vous, est-ce souhaitable qu’un donneur informe ses enfants qu’il a fait un don de gamètes ?

Peu est écrit sur cette question. Peu de professionnels ont envie de se risquer à y répondre, par peur du jugement extérieur, par risque d’être stigmatisés ensuite.
Aussi on trouve en général les « pour » et les « contre », qui étayent leur positionnement avec des études et des témoins qui vont dans leur sens. Le souci, c’est que ceux qui s’opposent à eux, ont aussi leurs propres études et témoins, qui disent justement l’inverse.

En fait ni les uns ni les autres ne mentent, aucun n’a raison ni tort, car tous ces cas de figure sont uniques et l’on trouvera pour chaque situation a priori semblable, quelqu’un qui l’aura bien vécu ou justement pas, ou bien qui n’ose pas le dire ou ne l’identifie pas encore. Peur de toucher à l’amour de la famille ou à un passé douloureux parfois.

C’est cela qu’il faut retenir : tout et son contraire est possible, que ce soit dit ou tu. S’y rajoute que selon le cheminement que chacun fait, les périodes de l’existence, les épreuves et les âges de vie, … les avis sur cette question peuvent bouger et les consciences évoluer.

Donc pour répondre à votre question et au regard de ce que je viens de mettre en avant, je dirai cela : sauf exception, je ne vois pas ce qu’il y aurait à cacher, dans le fait d’avoir souhaité donner et aider. Rien qui ne justifie un secret, si ce n’est l’ego, des blessures non apaisées pour les receveurs (infertilité ou stérilité, orientation sexuelle et choix amoureux, etc.), ou des craintes relatives à l’amour, et non justifiées (si bien sûr les intentions sont suffisamment mûries et clarifiées, en pensant à un enfant en devenir).

Alors on pourrait me dire qu’il s’agit d’intimité et qu’on ne partage pas toute son intimité avec ses enfants. C’est vrai, et je partage cet avis en théorie, sauf que cette intimité-là concerne les enfants, puisqu’elle engage le patrimoine familial commun. Surtout qu’on a pu constater la puissance inconsciente de ces secrets sur des membres d’une famille entière, et sur plusieurs générations.
On pourrait dire de même qu’il est question de liberté de dire ou pas, et qu’il revient à chacun d’exercer son libre-arbitre à cet endroit. Sauf qu’il s’agit de libre-arbitre de l’adulte et qu’il en va de l’intérêt indiscutable de l’enfant concerné et qui ne peut le faire valoir.

Tout le problème est qu’on le sait cliniquement, mais que cela est difficilement mesurable scientifiquement, s’agissant de sciences humaines. Donc cela reste réfutable.

En conclusion, je suis toujours favorable à la vérité sur les essentiels de la vie (vie, mort, amour, santé et procréation), sauf exception qui reste à estimer « au cas par cas ».

Tout demeure cependant dans la manière de l’amener et de la dire.
Après quand et comment dire ? Là est la grande question, avec ses acolytes qui sont : la peur de mal le faire, et la peur que celui à qui cela est dit, réagisse mal. Et disons-le, la peur encore plus grande que cela change quelque chose à l’amour qu’on partage ensemble…
Alors en général, pour toutes ces raisons-là et parce qu’on mesure les risques de le dire et pas vraiment les avantages concrets, les familles se taisent.

Ce qui vient aujourd’hui bousculer la donne, c’est le fait des tests sanguins ADN à l’échelle mondiale. Ils viennent radicalement précipiter cette question du secret, car cette possibilité de tests est accessible au plus grand nombre. Actuellement la banque de données devient conséquente.

Les accompagnements des enfants nés sous X devenus adultes, mettent en avant, que l’accès refusée à leurs origines, les conduit dorénavant à recourir à ces tests et les aident à remonter la plupart du temps jusqu’à leurs origines. Ce qui donne l’occasion de retrouvailles non encadrées et immédiates, parfois brutales ou même sauvages, sans préparation ni temps d’adaptation.

On peut donc légitimement se poser la question des enfants nés sous le secret (du don), avec le risque des intentions de chacun (au sein des familles des donneurs et receveurs). Sans toutefois les reproches d’un certain abandon, mais relativement aux donneurs, l’interpellation de leurs profondes motivations.

Je préfèrerai me tromper, mais très probablement à l’avenir nous aurons des situations qui feront jurisprudence dans ce domaine. Et je le redis, si ce chemin vers l’enfant et la parentalité, est celui de l’amour, au nom de quelle bonne raison nous aurions à cacher qu’il y a eu don (car le mot est magnifique au demeurant) ? Et si c’est les donneurs ont mis du cœur et un brin de lumière à l’ouvrage, pourquoi y-aurait-il matière à redire ? Et surtout si on a conscience de cette vérité due à l’enfant sur son origine, et qu’elle lui est délivrée !

A moins bien sûr que l’on ne craigne des situations humaines moins reluisantes, existantes aussi au demeurant.

  • Selon vous, est-ce souhaitable qu’un ancien donneur informe sa compagne qu’il a fait un don de gamètes ?

Bonne question aussi, qui mérite d’être posée.
J’imagine que vous devinez ma réponse, en toute cohérence avec ce qui a précédé.
La raison, dira que c’est d’intimité dont il s’agit, de liberté, et du passé de chacun. Le ressenti, dira lui que si je suis en amour et que je m’engage avec un conjoint, lui cacher durablement cette vérité et cette réalité, est en premier lieu quelque chose qui sera entre lui et moi. Un secret ; là encore de quoi a-t-on peur en vérité ?

Cela rejoint les histoires d’adultes qui ont eu un enfant, ne l’auront pas reconnu ni connu (grossesses non voulues, gardées par l’ex conjointe ou lors d’une histoire extra conjugale, accouchements sous x aux contextes variés, etc.), ou qui ont vécu des histoires précédentes qui ont laissé des traces dans leur mémoire.
Plus ils auront tardé à dire, plus difficile est de le révéler un jour et plus ils s’empêtreront dans un secret par omission, qui pourrait mettre en péril leur couple, si l’autre le découvrait un jour (ne comprenant pas alors pourquoi il ne l’a pas dit, ni ne lui a fait cette confiance de son passé).

Et là encore pour en revenir à un donneur et sa nouvelle conjointe, si je m’engage avec cette personne et que j’ai été relativement clair dans mon intention à l’époque du don (puisqu’il s’agit d’un don, d’altruisme et d’aide à un projet de vie), quelle raison aurais-je finalement de le cacher ?

C’est bien aussi parce que ce don n’est pas anodin, n’est pas un don du sang (même si donner son sang est un geste fort, engageant la vie et simple à la fois).
Celui-ci est un don qui peut conduire à un enfant, à l’arrivée d’un nouvel être. Ce n’est pas le même vivant que tous les autres dons, même si tous sont respectables et majeurs pour la vie humaine.
Il nous faut l’entendre et cela nous dérange de l’écouter pleinement. C’est du moins ce que je crois et sens.

Finalement que chacun se demande juste, en son âme et conscience, si lui en tant que nouveau conjoint, aimerait que l’autre lui fasse cette confidence (qu’il a fait un don de gamètes) et pourquoi. Il aura ainsi la réponse de pourquoi il se positionne en faveur de dire ou pas.
Cette réponse donne de plus une idée de ce qu’on engage d’intimité avec un autre dans une relation amoureuse, de notre implication et de la qualité de communication qu’on souhaite y mettre.

Et puis reste la question que ce soit dévoilé un jour d’une manière ou d’une autre (une lettre du labo parce que changement de loi ou questionnaire, un courrier trouvé dans le rangement administratif, quelqu’un de la famille receveuse ou l’enfant né du don, qui se manifestent pour une question de santé vitale, sans compter les réseaux sociaux et les tests ADN). C’est un risque réel.

C’est tout de même une possibilité. Aussi vivre avec cela et solitairement, n’a que peu d’intérêt et peut se transformer dans le temps en angoisses et fantasmes, à mon sens, évitables.
Mais cela c’est mon point de vue.

  • Existe-t-il des ouvrages de psychologie s’adressant spécifiquement aux donneurs de gamètes et qui seraient susceptibles de répondre à leurs questions ?

Plein de choses existent sur le sujet, mais à ma connaissance, pas d’ouvrages spécifiques et ciblés sur cette question. Plutôt des articles.

Et puis l’on trouve des études contradictoires, mais qui ne contredisent pas la réalité, puisqu’en vérité on trouve toutes sortes de cas de figure concernant les dons de gamètes (déjà parce que derrière ces dons, il y a des personnes et des histoires uniques).

Reste quelque chose qui est central, biologique même selon moi : la vérité des origines. J’insiste beaucoup là-dessus et là sera mon principal message à l’intention de vos lecteurs.
Personne n’ose parler véritablement de cela.

Le faisant, chacun aurait l’impression de toucher à la question même de la PMA, qui fait partie aujourd’hui des réalités humaines et de celles d’enfants, comme de leur famille.

Amour et vérité, ne font pas toujours bon ménage. Je continue toutefois à croire qu’on peut en parler, sans jugement, sans être pour ni contre, mais en conscience des enjeux, et en les accompagnant auprès des enfants, et déjà auprès des adultes concernés.

  • Lors de « la Journée les enfants de la science 2020 », il y a eu une présentation sur « Profils des donneurs de spermatozoïdes avec ou sans enfants : l’expérience du CECOS de Cochin ». Il a été donné l’exemple d’un donneur de plus de 40 ans sans enfant et avec une bonne situation financière, qui espérait pouvoir transmettre un jour ses biens à une personne issue de son don. Comment expliquez-vous qu’un donneur puisse avoir envie de transmettre des biens à des personnes issues de son don ?

C’est très intéressant, car ces situations existent ; n’en déplaise à nos êtres qui ne peuvent que difficilement associer le mot « don » à autre chose que « amour », « altruisme », « aide », « ouverture », « modernité », « avancées, recherches et techniques ».
On veut croire que ce n’est qu’une avancée, un progrès, une évolution. Possiblement, mais pas toujours ; il faut le dire.

Il ne faut pas oublier « malheureusement » que partout où il y a de la détresse, il y a des volontaires pour aider « de bon cœur », mais aussi des volontaires pour flairer un business, une manne financière ou pour servir leur propre intérêt, surtout quand il y a de la détresse et un sentiment d’urgence.

Cela ne nous plait guère, mais pensons-nous sincèrement faire des choses dans nos existences « gratuitement », gracieusement, sans rechercher au fond un bénéfice qui nous reviendrait, même tout petit ? Cherchez, et si vous êtes honnête, vous trouverez, même si vous n’en aviez pas conscience quand vous l’avez fait.
Si vous me permettez, regardez à l’inverse ce que les receveurs, mués par un désir d’enfant qui ne les lâche pas et un manque si douloureux, sont capables de faire (même si avant que d’y être, ils n’auraient pas pensé pouvoir le vivre, le choisir).
Notre nature humaine est si complexe et pétrie d’ambivalences voire de confusions !

Aussi, un donneur pouvait être clair dans l’instant et à l’époque, mais la vie avançant, sa situation financière étant devenue florissante, il peut logiquement penser à éventuellement transmettre son patrimoine matériel à des enfants nés de son don, un peu « ses enfants » quelque-part …

En effet au moment de faire ou de recevoir un don, la conscience des êtres a telle forme, mais cette dernière peut évoluer pour moult raisons. L’existence avançant avec ses aléas, tout peut bouger ou pas d’ailleurs (et resté « mordicus » sur l’engagement de départ). Il en va aussi de la personnalité des individus.
Tout est possible. Sauf que le champ des possibles, personne ne peut le mesurer avant que d’y être en temps T et à mesure…

Donc oui, un donneur peut changer d’avis parce que sa vie a changé, en plus facile, plus difficile, plus confortable, plus entouré ou plus solitaire. En l’occurrence, dans votre exemple il s’agit d’un homme qui avance en âge et qui a accumulé un capital financier, mais ce pourrait être aussi un homme qui après son don, aura eu un enfant qui vient de décéder dans un accident, et qui va partir en quête d’un possible enfant qui de son côté pourrait le rechercher. Ce pourrait aussi être un homme dont le regard a changé sur la question, parce qu’il a vu une émission (où des enfants nés du don s’interrogeaient inlassablement, ne cherchant pas un père car ils en avaient un depuis, mais interpellant la vérité de leurs origines) et qu’il se sent d’ouvrir sa porte et de répondre aux questions de cet enfant devenu adulte, bien qu’il vive en couple et sans envie centrée sur lui mais sur sa responsabilité vis-à-vis de cet enfant né de sons don.

J’ai entendu suffisamment de ces situations pour oser dire qu’elles sont fantasmées ou exceptionnelles. Je ne me demande pas ce que je préfère, je dis ce que j’observe depuis presque 20 ans. Et je travaille suffisamment sur ces enjeux et ceux du désir d’enfant en général, pour ne pas souligner ces réalités dérangeantes.

  • Dans le projet de loi bioéthique, il était prévu que les donneurs donnent au moment de leur don, leur consentement pour la levée de leur anonymat si la personne issue du don en fait la demande à sa majorité (c’est-à-dire environ 20 ans après le don). Le sénat a modifié le texte en préférant que le donneur donne son consentement sur la levée de son identité au moment où la personne issue du don fera sa demande. Avez-vous une opinion sur cette question de savoir quand le donneur devrait consentir à la levée de son anonymat ?

Je vais vous répondre avec une question. Pourquoi parle-t-on de levée de l’anonymat ? Avec quel but ? Déjà.
Mais après le pourquoi, posons-nous la question de pour qui on veut faire cela, dans l’intérêt de qui d’abord ?

Ma priorité va clairement à l’enfant qui n’est pas un adulte, dont on doit veiller à l’intérêt certes, mais surtout aux fondations de son être (dont son origine, en plus de sa biologie d’attachement, de son éducation et de ses besoins physiques et psycho-affectifs, entre autres).

Pensant à l’enfant et à son devenir comme à son potentiel questionnement (qui n’est pas non plus obligatoire ou fatal), pourquoi attendre qu’il le demande ? Faut-il déjà qu’on le lui ait dit et qu’il le sache, puis qu’il en fasse la demande, et enfin que le donneur lève le secret.

Pourquoi tant d’obstacles? Que de bâtons dans les roues d’une vérité !
A croire qu’il y aurait quelque chose d’inavouable…

Pourquoi tant de secrets, sur quelque chose qu’on cherche par ailleurs à banaliser (« en parler comme un banal don de sang » disait un professionnel travaillant en CECOS) ?
Je ne comprends pas bien le raisonnement, ou plutôt je comprends que nous les humains, ne sommes pas aussi clairs que nous voulons penser et le faire croire. Pas pleinement conscients du moins.

Ce raisonnement me fait d’ailleurs penser aux réalités des accouchements sous X, où ce sont les femmes et leur liberté qu’on protège en premier lieu (me rappelant que je suis une femme parmi les femmes) et les hommes cachés derrière leurs grossesses. Mais les bébés, je les rencontre à la maternité où je travaille depuis 15 ans, et j’en accueille d’autres, devenus grands, en cabinet. Ils ne sont pas que quelques-uns à souffrir du secret de leur naissance et de leurs origines.

Je constate qu’on questionne actuellement la levée de l’anonymat aussi pour eux, dès leur naissance. Alors je demande juste et tout en continuité, pourquoi pas dès le don, quand d’abandon à la naissance il ne sera pas question, mais de vérité sur leur procréation et leur patrimoine originel ?

Je pose la question et je veux bien en discuter, en débattre même.

  • Que pensez-vous de l’actuel projet de loi de bioéthique ?

Vaste question encore. Je trouve déjà important que ce projet existe et que nous soyons dans un pays qui le permet, même s’il y a beaucoup à faire encore et surtout au regard des nouvelles procréations et parentalités qui ne cessent d’émerger.

La bio-éthique a plus que jamais de l’avenir !

Je ne suis pas du style à tirer sur l’ambulance, et quand je vois ce qui oppose violemment les uns aux autres, je me demande simplement qui trouvera force et courage de parler du cœur des choses. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai eu besoin plus qu’envie, d’écrire sur toutes ces questions.

Alors pour terminer, je regrette sincèrement qu’on ne mette pas les enseignements des situations maternelles, paternelles et infantiles du « sous X », au service des questions du secret (de don, de filiation, de naissance…) et de la GPA. J’ai la forte impression qu’on avance « tête-bêche » sans tirer les leçons de nos pourtant erreurs.

Donc ma pensée sur le projet, c’est qu’on avance sans recul sur des questions épineuses (sous couvert de modernité et d’ouverture d’esprit), et qu’on ne résout pas entretemps ce qui a précédé et qui appelle pourtant fort (tels les réalités du sous X), cette fois pour ménager des secrets cumulés, les susceptibilités et les virulences.

Je terminerai avec une sincère pensée pour tous ceux qui sont en parcours vers l’enfant et surtout dans des situations éprouvantes. J’en accompagne bon nombre depuis des années, et mes réponses sincères à vos questions, ne vont pas à leur encontre. Elles cohabitent avec la réalité des enfants que je reçois aussi, surtout au moment où ces derniers veulent devenir parents, et je ne pourrai décemment pas taire ce qu’ils vivent aussi.

Là est la réalité de la périnatalité : elle est si intense en tous points, qu’elle mène à un cocktail émotionnel souvent détonant. Et cela n’ira pas en décroissant à l’avenir, c’est certain !

Nous vous remercions pour toutes ces réponses

Interview de Franck Ramus

Franck Ramus

Franck Ramus est directeur de recherches au CNRS. Il travaille au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique, Département d’Etudes Cognitives, Ecole Normale Supérieure à Paris, au sein duquel il dirige l’équipe « Développement cognitif et pathologie ».

Il est également co-directeur du Master en Sciences Cognitives (ENS, EHESS, Université de Paris), et membre du Conseil Scientifique de l’Education Nationale.

Ses recherches portent sur le développement cognitif de l’enfant, ses troubles (dyslexie développementale, trouble spécifique du langage, autisme), ses bases cognitives et cérébrales, et ses déterminants génétiques et environnementaux.

Blog Ramus méninges : http://www.scilogs.fr/ramus-meninges/

Site Internet : https://lscp.dec.ens.fr/fr/member/663/franck-ramus

Page Youtube : https://www.youtube.com/playlist?list=PLuM_FOFR0-2Ttioy4G6C62FjbLZfwRryX

Il est également membre du Collectif FakeMed (https://www.fakemed.org)

Interview

  • 1) Selon une députée, le fait pour les personnes issues d’une AMP avec tiers donneur d’avoir des informations sur le donneur, leur permettra de comprendre pourquoi elles sont douées ou mauvaises en mathématiques ou au football (voir notre article Bosse des mathématiques, Innée ou acquise ?). Dans quelle proportion les actuelles connaissances de la science permettent de dire que cette déclaration est exacte/fausse ?

Cela me parait être une extrapolation extrêmement naïve des connaissances en génétique.

Il est vrai que la plupart de nos capacités cognitives, de nos traits de personnalité, de nos comportements, sont influencés par nos gènes. Et il est vrai que ces facteurs génétiques sont en partie responsables des ressemblances entre apparentés. De là à en déduire qu’une caractéristique d’un parent « explique » une caractéristique d’un enfant, il y a un fossé qu’on ne peut pas franchir, pour plusieurs raisons :

  • Les connaissances sur la génétique du comportement portent sur des populations. Elles permettent de dire par exemple que les différences génétiques sont responsables de 50% des différences individuelles dans l’intelligence. Elles permettent aussi parfois de dire que telle variation dans tel gène est statistiquement responsable de tel effet sur telle caractéristique. Mais en dehors de quelques mutations bien particulières qui ont des effets bien connu, ces connaissances ne permettent de rien dire sur des individus particuliers. J’ai mes caractéristiques, mes parents ont les leurs, nous nous ressemblons sur certaines d’entre elles, mais rien ne permet de savoir dans quelle mesure nos ressemblances sont dues à des similarités génétiques, dans quelle mesure elles sont dues à notre environnement partagé, et dans quelle mesure elles sont dues simplement au hasard.

  • Les facteurs génétiques qui nous influencent ne sont pas tous transmis par nos parents : il peut y avoir des mutations nouvelles, et aussi des combinaisons nouvelles des allèles des deux parents, qui ne se rencontrent chez aucun des deux.

  • Bref, du seul fait que deux apparentés aient une caractéristique commune, on ne peut pas conclure grand-chose.

    • 2) Selon des scientifiques, un choc psychologique peut être inscrit dans notre patrimoine génétique. Selon ces scientifiques, il est donc possible de transmettre par les gènes nos traumatismes à nos enfants. Selon un sondage IFOP, une courte majorité de français croît à cette transmission génétique des traumatismes. Est-ce que cette transmission par les gènes des traumatismes fait consensus au sein de la communauté scientifique ?

    Il s’agit d’un sujet de recherche très nouveau et très pointu, sur lequel aucune conclusion définitive n’est possible.
    On sait que certains facteurs environnementaux peuvent laisser une trace, non dans le patrimoine génétique, mais sur des molécules qui gravitent sur ou autour du génome, et qui influencent son expression. Et l’on sait que ces molécules peuvent parfois être transmises au cours de la reproduction. On parle de transmission épigénétique.
    Ces effets ont été bien documentés chez certaines espèces de plantes, de vers et de mouches, pour certains facteurs particuliers. Chez les mammifères, ces effets sont plus controversés. Des études suggèrent de tels effets chez différentes espèces de rongeurs, pour des facteurs tels que le régime alimentaire ou certains traumatismes. Chez l’humain, aucune preuve convaincante de transmission épigénétique n’a à ce jour été apportée. Il n’y a en tous cas aucun consensus scientifique sur le sujet.

    Indépendamment de cela, certains psychanalystes et psychogénéalogistes ont de longue date spéculé que certains événements vécus par les individus pourraient avoir un effet distant et mystérieux sur le psychisme de leurs descendants (enfants, petits-enfants ou même au-delà). Ils n’ont apporté ni la preuve d’une telle transmission, ni le mécanisme, ni même la moindre hypothèse plausible. Ces idées n’ont pas le moindre fondement scientifique, et relèvent plutôt de la pensée magique.

    Certains ont pourtant cru bon de faire un rapprochement entre les deux hypothèses, celle d’une transmission psychique intergénérationnelle, et celle d’une transmission épigénétique, cette dernière étant censée conforter la première en lui fournissant un mécanisme biologique. Ni l’une ni l’autre n’ayant été prouvée, il s’agit de pures spéculations sans fondement.

    Ce que me semblent révéler ces deux questions, c’est que beaucoup de gens veulent mieux connaître leurs origines, et espèrent que cela les aidera à comprendre pourquoi ils sont comme ils sont, et quelle est la cause de leurs problèmes (ou de leurs talents).
    Bien sûr, il est parfaitement légitime de vouloir connaître ses origines. Cela intéresse la plupart des gens, pas seulement ceux issus d’une AMP. Beaucoup de gens font de la généalogie et c’est extrêmement intéressant.
    Le problème n’est pas de chercher à connaître ses origines, mais de croire que cela va permettre de mieux se comprendre et de résoudre ses problèmes. Cet espoir est alimenté justement par des psychanalystes et des psychogénéalogistes avec leurs théories transgénérationnelles invraisemblables. Par exemple, ils peuvent vous faire croire que la cause profonde de votre anxiété ou de votre dépression est à chercher dans un traumatisme vécu par votre grand-mère dont vous n’avez jamais rien su ! Et que cette « révélation » pourrait vous aider. On est vraiment à la frontière du charlatanisme.
    L’honnêteté oblige à dire qu’aucune connaissance scientifique ne permet d’expliquer pourquoi une personne est telle qu’elle est, unique et différente de toutes les autres. Les connaissances scientifiques permettent de dire qu’au sein d’une population, tel facteur génétique ou tel facteur environnemental a tel effet en moyenne sur telle caractéristique. Mais elles ne peuvent rien dire de concret sur un individu particulier.
    Vous pouvez savoir tout ce que vous voulez sur vos ascendants et sur leurs caractéristiques, vous pouvez repérer des points communs et vous raconter une histoire à partir de là. Mais il faut être conscient que c’est juste une histoire, qui peut être vraie comme elle peut être fausse. Vous ne pourrez jamais avoir la certitude qu’une ressemblance avec un ascendant vous a été transmise par cette personne, plutôt que d’être le fruit du hasard. Et quand bien même vous sauriez que cette ressemblance vous a été transmise, vous ne pourriez pas savoir si elle vous a été transmise génétiquement, épigénétiquement, ou via l’environnement (hors cas de mutation connue identifiée à la fois chez l’ascendant et le descendant).

    Par conséquent, il me semble qu’il faut reconnaître la légitimité des demandes sur les origines, mais il n’y a pas non plus lieu d’en faire un droit fondamental. Parfois on ne peut pas connaître ses origines (pour plein de raisons possibles), c’est comme ça, il faut vivre avec (et on peut vivre avec sans en faire une obsession). Il serait scientifiquement injustifié de prétendre que les personnes qui n’ont pas accès à leurs origines subissent un grand préjudice, sous prétexte qu’elles seraient dans l’incapacité de comprendre pourquoi elles sont comme elles sont et quelle est la cause de leurs problèmes. Connaître leurs origines ne les aiderait vraisemblablement pas à résoudre leurs problèmes.

    • 3) Grâce aux tests ADN, des personnes issues d’un don sont parvenues à retrouver des demi-génétiques (personnes issues du même donneur et qui sont donc apparentées au 2ème degré) ou le donneur. Certaines de ces personnes disent s’être découvert de très nombreux points communs avec leurs demi-génétiques ou avec le donneur (mêmes postures, mêmes goûts et centres d’intérêts, mêmes traits de caractère, même personnalité, etc.). Est-ce qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, on peut considérer que ces similitudes sont liées au fait que ces personnes partagent un ADN commun ?

    Il y a eu des études sur des jumeaux séparés à la naissance puis étudiés bien plus tard. Les jumeaux monozygotes (génétiquement identiques) montraient souvent des ressemblances frappantes dans bien des caractéristiques cognitives et comportementales, suggérant un rôle génétique dans l’émergence de ces caractéristiques. Les jumeaux dizygotes et les frères et sœurs (apparentés au 1er degré ne partageant que 50% de leurs allèles en moyenne) se ressemblaient beaucoup moins. Et les apparentés au 2ème degré (demi-frères et sœurs, cousins, partageant 25% de leurs allèles en moyenne) se ressemblent encore moins (quoique tout de même un peu plus que des individus non reliés).

    Par conséquent, à moins d’avoir retrouvé un jumeau monozygote, il faut se garder de sur-interpréter les ressemblances que l’on peut avoir avec ses apparentés, notamment pour les raisons que j’ai indiquées plus haut. Elles peuvent tout à fait être le fruit d’environnements similaires ou du hasard.

    En fait, si l’on cherche un peu, il est facile de se trouver des points communs avec une autre personne, même si elle ne nous est pas génétiquement reliée. Cela peut être aussi facilité par l’effet Forer (le fait d’avoir l’impression de se reconnaître dans n’importe quel profil psychologique ou thème astral). Cette ressemblance « par hasard » devrait être la base de comparaison à laquelle devrait se référer toute ressemblance perçue entre apparentés. Mais évidemment personne ne fait une telle expérience.

    Enfin, gardons à l’esprit que les apparentés qui se trouvent des ressemblances frappantes en parlent, alors que ceux qui n’en trouvent pas n’en parlent pas. Ce genre de témoignage n’a donc aucune valeur statistique, il biaise au contraire notre représentation. Il ne s’agit pas de dire que de telles ressemblances entre apparentés n’existent pas : elles existent, sans aucun doute, mais moins que le laissent supposer les témoignages, et il est impossible de savoir lesquelles reflètent des facteurs génétiques communs, et lesquelles reflètent des facteurs environnementaux ou du hasard.

    Ce qui sera certainement possible, c’est d’éliminer du génome une partie des mutations délétères qui provoquent des maladies connues. Cela se fait déjà dans une certaine mesure par sélection pré-implantatoire ou par interruption médicale de grossesse, pour des maladies génétiques graves et incurables. Même s’il faut être conscient que ce n’est jamais que temporaire, de nouvelles mutations survenant à chaque génération.

    En revanche, il parait beaucoup plus hasardeux (voire impossible) d’optimiser le génome pour des caractéristiques complexes comme l’intelligence ou la personnalité, car les allèles en question ont des effets minuscules, peuvent interagir les uns avec les autres, et peuvent avoir des effets sur de nombreuses caractéristiques. A l’heure actuelle, je ne saurais même pas dire si c’est faisable en principe. Et si c’était faisable en principe, il est loin d’être certain que ce soit faisable en pratique.
    Bref, personnellement, je ne me fierais pas à ce genre de promesses. Symétriquement, il ne me parait pas très crédible d’agiter ce genre d’épouvantail pour faire peur aux gens avec la génétique.

    Bien évidemment, j’ai répondu uniquement à la question de la faisabilité, qui est une question scientifique et technique. Savoir si c’est souhaitable est une question totalement indépendante, qui n’est pas de nature scientifique. C’est à la la société de décider ce qu’elle accepte, ce qu’elle souhaite, et ce qu’elle préfère interdire, parmi toutes les choses qui sont faisables.

    Nous vous remercions pour toutes ces réponses

    Interview du Dr Géraldine PORCU-BUISSON

    Dr Géraldine PORCU-BUISSON

    Le Dr Géraldine PORCU-BUISSON est gynécologue-obstétricien, spécialisée en médecine de la reproduction à l’IMR (Institut de Médecine de la Reproduction) à Marseille.

    Elle est membre du conseil d’administration de la SMR (Société de Médecine de la Reproduction) et Présidente du GEFF (groupe d’étude de la fécondation in vitro en France)

    Site Internet de la SMR : https://s-m-r.org/

    Site internet du GEFF : https://geffprocreation.fr/

    Site Internet de l’IMR : https://www.imrmarseille.com/

    Interview

    • 1) Pouvez-vous présenter l’IMR de Marseille ?

    L’IMR (Institut De médecine de la Reproduction) – Bouchard est le premier centre de procréation médicalement assistée dans la région PACA en termes d’activité, de grossesses obtenues et d’enfants nés. Il s’agit d’un Centre à activité Libérale essentiellement (Désigné comme centre privé à but lucratif dans tous les textes relatifs à la révision de la Loi de Bioéthique) Il existe depuis 1986 et était un Centre qui réalisait le don de sperme adhérent aux CECOS jusqu’en 2009 (changement de loi et interdiction aux Centres privés de réaliser le don malgré les très bons résultats et les taux de grossesses par paillette de sperme utilisée). Il détient une longue expérience du don.
    Il est le seul Centre dans le quart Sud-Est à prendre en charge les couples séro discordants et a une activité de préservation de la fertilité depuis 1989 !

    • 2) Pouvez-vous présenter la SMR et le GEFF

    La SMR (Société de Médecine de la Reproduction) existe depuis 1998 L’association a pour but de favoriser la recherche médicale et scientifique dans le domaine de la reproduction humaine.
    Le GEFF (Groupe d’Etude de la fécondation in vitro en France) a pour mission de fédérer les cliniciens de l’AMP, afin de partager les pratiques, les connaissances, la législation, et d’être un porte-parole au niveau institutionnel.

    Tous les membres du CA de ces deux sociétés sont très impliqués dans la révision de la Loi et ont donné beaucoup de leur temps afin de sensibiliser le ministère de la santé, les députés et les sénateurs sur notre quotidien et sur les modifications nécessaires pour que cette loi devienne applicable et moderne.

    Nos objectifs sont de permettre la mise en place des avancées sociétales de la nouvelle loi de manière effective et pérenne. Notre souhait est que les patient(es) puissent rapidement et effectivement bénéficier de ces avancées.

    • 3) En 2017, la SMR a fait un sondage pour savoir s’il fallait autoriser les centres AMP privés à pratiquer le don de gamètes. Quelle est votre opinion sur le sujet ?

    Comme je le disais en introduction en présentant l’IMR – Bouchard, je suis bien entendu favorable pour que TOUS les Centres publics et privés soient autorisés à pratiquer le don de gamètes.
    Tout ce qui a pu être écrit concernant la « médecine marchande » (cf rapport Académie de Médecine 2017 – Etude d’Impact 2019) est très insultant pour tous les médecins qui ont un exercice libéral exclusif.
    Les Centres privés réalisent actuellement la moitié des tentatives sur le territoire français.
    Ne pas autoriser les Centres privés :

      Est inéquitable pour l’accessibilité aux soins et impose aux couples ou aux femmes une interruption des soins lorsque le bilan de fertilité débouche vers une autoconservation ou un don et ajoute un traumatisme supplémentaire
      Jette l’opprobre sur les professionnels du privé qui travaillent dans les mêmes exactes conditions d’éthique médicale, d’autorisation et de contrôle que les centres publics ou privé à but non lucratif ; rappelons de plus que l’activité privée pour ces mêmes activités est possible dans le cadre public hospitalier. C’est incohérent avec le remboursement actuel des patientes lorsqu’elles effectuent ce traitement dans les cliniques privées à l’étranger.

    De plus, le service public est incapable de répondre à la demande en l’état actuel avec des délais qui dépassent 2 ans pour l’obtention d’un don d’ovocytes. Les femmes de plus de 40 ans ne sont plus inscrites sur les listes d’attente en France. Cet état va empirer avec l’évolution de la loi. La situation discriminatoire fondée sur l’âge et l’argent, obligeant ces patients à se rendre à l’étranger, s’aggravera davantage encore. D’autre part, la pression exercée sur les centres public pour ces activités réservées à ce secteur aurait comme conséquence d’obliger une partie des patients pris en charge actuellement dans le public à se déplacer vers le privé.

    • 4) Certains médecins craignent que le droit d’accès aux origines entraîne une baisse du nombre de donneurs. Partagez-vous ces inquiétudes ?

    Lorsque dans les autres pays européens la levée de l’anonymat s’est imposée, il n’y a pas eu de pénurie de gamètes même si chaque pays a pu observer un infléchissement initial. Il y aura sans doute d’autres donneurs mais je reste persuadée que la pénurie n’est pas liée à la levée de l’anonymat mais plutôt à la volonté et aux moyens nécessaires pour toutes les équipes d’AMP afin de communiquer, d’informer et de sensibiliser tous les donneurs potentiels. Ils existent, il faut pouvoir les mobiliser.

    • 5) En 2017, la SMR a fait un sondage pour savoir s’il fallait indemniser financièrement les donneuses d’ovocytes. Quelle est votre opinion sur le sujet ?

    Il est important d’avoir un raisonnement européen et non pas franco-français. Où et comment le don fonctionne-t-il correctement ? Nous savons que le traitement imposé aux donneuses est astreignant, le temps passé dans les centres pour la surveillance a aussi un coût.
    Nous ne pouvons pas jurer que les donneuses en France n’ont pas été influencées par un dédommagement par les couples qui ont « apporté des donneuses » même si les équipes qui pratiquent le don sont très vigilantes sur ce point.
    Correctement contrôlé, le dédommagement ne me choque pas. Il est évident que la donneuse ne doit pas faire plusieurs dons mais j’ai suffisamment confiance dans le système français pour imposer le contrôle. Il est dommage que les détracteurs des « Centres lucratifs » n’aient pas cette confiance.

    • 6) Les dons de spermatozoïdes reprennent doucement après une interruption de plusieurs mois liée au Coronavirus. À présent, tous les nouveaux donneurs subissent un test Covid-19. Le Coronavirus a commencé à circuler en France à la fin de l’année 2019 et il est donc potentiellement possible que des donneurs de spermatozoïdes atteints par la maladie aient fait un don. Selon vous, que faut-il faire des paillettes congelées provenant de dons de spermatozoïdes de décembre 2019 à mars 2020 ?

    Cette question ne trouvera pas sa réponse actuellement. Il s’agit d’un travail de réflexion que font les CECOS, le GEDO et l’ensemble des Sociétés savantes sous la direction de l’Agence de Biomédecine pour trouver la meilleure réponse dans cette situation inédite.

    • 7) En 2017, la SMR a fait une enquête dont une question était « Êtes-vous pour limiter l’âge du père ? ». Quelle est votre opinion sur le sujet ?

    A titre personnel, je ne suis pas choquée par l’âge du père. Cependant, cette question a été tranchée par le Conseil d’Etat en avril 2019 et il n’est pas possible, si l’on suit cette décision, de prendre en charge les couples dont l’homme a 60 ans révolus.
    Il me paraît, à titre personnel plus raisonnable de discuter au cas par cas comme nous avions l’habitude de le faire dans notre centre. Cependant, devant des situations très difficiles dont certaines ont entraîné des assignations en justice, plusieurs professionnels ont préféré que l’âge soit imposé, ce qui peut aussi se comprendre.

    • 8) Que pensez-vous de la PMA post mortem ? Et que pensez-vous du don d’embryons post mortem (la veuve qui ne peut pas bénéficier de ses embryons du fait du décès du géniteur a la possibilité de les donner à d’autres couples qui sont en parcours AMP) ?

    Le GEFF et la SMR sont très clairs sur ce point et je partage à 100% cet avis : Il faut permettre absolument pour la patiente devenue veuve d’obtenir le transfert du ou des embryons qui avaient un projet parental, après le respect d’une période de deuil et dans un délai maximal à fixer. En effet, cette situation qui est rarissime est effroyable et ne peut être résolue par le paradoxe entre la possibilité de donner un embryon à un autre couple et ne pas en bénéficier et, parallèlement, pour celle nouvellement veuve, bénéficier du don d’embryon d’un autre couple.
    Ce paradoxe n’est pas acceptable d’autant plus avec la possibilité du recours aux origines : l’enfant pourra avoir accès aux données identifiantes, cette femme qui n’aura pas pu bénéficier du transfert rencontrera peut-être 18 ans plus tard cet enfant.

    Je rappelle que le Conseil d’Etat avait aussi émis un avis favorable sur ce point.

    • 9) Que pensez-vous de l’actuel projet de loi de bioéthique ?

    Si des avancées ont pu être obtenues après l’examen du projet de loi par les deux assemblées, il reste certains points de ce projet pour lesquels nous sommes en profond désaccord car ils sont inéquitables pour les patient(es), l’accès au soin et la médecine libérale.

    En tant que médecins, praticiens de l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP), en première ligne dans l’accompagnement de nos patient(es), il nous paraît indispensable et urgent de prendre en considération le point de vue des professionnels, au même titre que celui des associations de patient(es), sur plusieurs aspects de cette loi.

    Nos objectifs sont de permettre la mise en place des avancées sociétales de manière effective et pérenne. Notre souhait est que les patient(es) puissent rapidement et effectivement bénéficier de ces avancées.

    Les praticiens de l’AMP, responsables de la prise en charge, seront les garants de l’exécution de la future loi et militent pour une offre de soins de qualité accessible à toutes les personnes sur l’ensemble du territoire, dans des délais raisonnables.

    Dans l’Etat cette loi sera très difficilement applicable et pour certains points représente une régression.

    Proches des patient(e)s et en accord avec les associations de patient(e)s qui portent ces mêmes revendications, nous affirmons que méconnaître notre expérience, notre quotidien, notre expertise, nos avis entraînera inexorablement un défaut des nouvelles et actuelles prises en charge des patients

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    Interview du Pr Sophie JONARD-CATTEAU

    Pr Sophie JONARD-CATTEAU

    Le Pr Sophie Catteau-Jonard est la responsable du don d’ovocytes au centre d’AMP de l’Hôpital Jeanne de Flandre (CHRU de Lille).

    Elle est le co-auteur d’une intéressante étude sur les motivations des donneuses d’ovocytes qui a été publiée en avril 2020.

    France 3 a récemment diffusé un reportage montrant la reprise des activités en lien avec le don d’ovocytes au centre AMP de Lille.


    Le reportage Envoyé Spécial « l’étonnant commerce du sperme » diffusé sur France 2 le 16 juin 2016 montrait l’activité de don de spermatozoïdes au CECOS de Lille.

    Interview

    • Pouvez-vous présenter le centre AMP de Lille ?

    Le don d’ovocytes est proposé à Lille depuis 1996 au moins (la légalisation du don d’ovocytes en France date de juillet 1994) et j’ai repris l’activité en 2005 suite au départ du Dr Choain à la retraite. Depuis la levée de la mise en quarantaine obligatoire des embryons par congélation en juin 2004, le don s’est bien développé à Lille. Nous recevons environ une centaine de candidates au don d’ovocytes par an et au final nous avons environ une soixantaine de ponction de donneuses. Il faut savoir que nous sommes obligés de refuser un certain nombre de candidates pour des raisons génétiques ou pour une réserve ovarienne insuffisante. Quelques candidates abandonnent également d’elle-même en cours de parcours mais c’est assez rare.
    Nous expliquons aux couples receveurs qu’ils sont les meilleurs ambassadeurs pour parler du don et faire venir des donneuses dans le centre mais nous avons aussi de nombreuses donneuses dites « spontanées ». Les campagnes de communication de l’ABM nous aident beaucoup à faire connaître le don de même que les campagnes locales menées conjointement avec le Dr Ducrocq du CECOS de Lille, en charge du don de spermatozoïdes.

    • Quelles sont les principales mesures sanitaires que vous prévoyez de mettre en place dans le cadre des dons d’ovocytes afin de réduire les risques liés à l’épidémie Covid-19 ?

    Pour le moment, l’Agence de la Biomédecine nous demande de ne pas démarrer de stimulation chez les donneuses d’ovocytes afin de ne pas leur faire prendre de risque. Même si elles n’ont aucun facteur de risque, la stimulation n’est pas envisagée pour le moment… Nous attendons les futures consignes. Nous espérons pouvoir reprendre les stimulations de donneuses après l’été avec peut-être effectivement des restrictions pour les femmes à risque. Cependant les donneuses sont par définition en bonne santé, avec en particulier un BMI pas trop élevé [BMI = Body Mass Index]. Les restrictions ne devraient donc pas trop impacter le processus du don.

    • Que pensez-vous de l’actuel projet de loi de bioéthique ?

    Nous redoutons il est vrai une diminution des candidates au don avec l’accès possible aux origines à la majorité de l’enfant. Cependant, en interrogeant les donneuses depuis quelques mois, la majorité ne renoncerait pas au don même si l’accès aux origines était possible, ce qui est bien sûr rassurant.
    D’autre part, le fait de dissocier don d’ovocytes et préservation de la fertilité pour raison sociétale nous apparaît comme une bonne chose. La préservation personnelle au moment du don pour les nullipares prive en effet les couples receveurs d’un certain nombre d’ovocytes sans assurer un nombre satisfaisant d’ovocytes préservés pour la donneuse.

    • Est-ce que vous informez les candidates au don d’ovocytes du risque que leur anonymat puisse un jour être remis en cause avec des tests ADN ?

    Oui, mais nous les informons surtout sur les possibles modifications à venir de le Loi de Bioéthique avec peut-être la possibilité pour l’enfant issu du don devenu majeur d’avoir accès à des données non identifiantes et/ou identifiantes de la donneuse. Pour le moment elles donnent sous le régime de l’anonymat qui sera garanti ultérieurement même en cas de changement de Loi. Effectivement les tests ADN peuvent remettre en cause cet anonymat. Cependant nous expliquons bien aux donneuses qu’elles n’auront aucun droit ni devoir envers cet enfant potentiel et inversement. Le document du notaire établi à la demande du couple receveur protège la donneuse et le couple receveur concernant la filiation.

    • L’actuel projet de loi bioéthique prévoit de remettre aux futurs parents d’un enfant issu d’une AMP avec tiers donneur, une documentation sur l’accès aux origines. Est-ce que vous accepteriez de remettre également cette documentation aux candidates au don d’ovocytes ?

    Oui bien sûr si cela leur permet de mieux comprendre la procédure.

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    Interview de Nathalie Jovanovic-Floricourt

    Nathalie Jovanovic-Floricourt

    Nathalie Jovanovic-Floricourt a commencé son arbre généalogique à dix-huit ans. En 2008, elle découvre la généalogie génétique. Les tests ADN lui révèlent des origines inattendues et lui offrent un nouveau champ de découvertes par le biais de cousins en France et dans le monde.

    ouvrage ADN un outil genealogique Elle est l’auteur de l’ouvrage L’ADN, un outil généalogique paru aux éditions Archives et Culture en 2018. En 2019, elle crée l’association DNA PASS.

    Pour découvrir l’ouvrage L’ADN un outil généalogique : https://genealogie-genetique.fr/
    Association DNA PASS :https://dna-pass.com/

    Interview

    L’association a été créée le 5 mai 2019, le jour anniversaire de mon père. J’ai découvert les tests génétiques à l’étranger, suite à son décès, car il y avait suspicion d’un cancer génétique.

    • Des articles scientifiques font état de problèmes médicaux en lien avec la consanguinité (quelques exemples d’articles : Le Figaro Santé et Science et Vie). Grâce aux tests génétiques, un individu peut connaître le pourcentage d’ADN qu’il partage avec son conjoint. On devine que si le couple a 30% d’ADN en commun (ce qui peut être le cas s’ils sont frère et sœur), il peut y avoir un risque de consanguinité pour leur enfant. A l’inverse, si le couple ne partage que 0,1% d’ADN en commun, on peut supposer que le risque de consanguinité sera très faible pour leur enfant. Savez-vous à partir de quel pourcentage d’ADN en commun, on considère qu’il existe un risque lié à la consanguinité pour l’enfant du couple ?

    Les risques de la consanguinité sont avérés de longue date. Par contre, donner des pourcentages du point de vue biologique, me semble dangereux. Des pervers pourraient l’utiliser comme argument pour justifier un inceste par exemple ou une liaison entre demi-frère et sœur, sous prétexte que le « risque » génétique ne serait pas trop élevé.
    Au-delà de l’aspect médical, il y a l’aspect social, psychologique et moral. Une liaison ou relation entre parents, ignorant être de la même famille, aura un effet destructeur important et durable.
    Un des exemples fameux se retrouve dans l’ouvrage d’Anne Ancelin Schützenberger, Aïe, mes aïeux !, sur les héritages transgérationnels. Nous portons l’héritage des traumatismes de nos ancêtres. On parle de psycho généalogie, mais on sait aujourd’hui qu’il s’agit aussi d’une mémoire génétique. Un des cas cité était celui de descendants en souffrance, la souffrance étant liée au mariage « incestueux » d’un couple de leurs ancêtres. Or, il s’agissait d’un inceste moral et non biologique, puisque les ancêtres, orphelins, avaient été élevés ensemble sans être biologiquement liés avant de se retrouver et se marier. Pourtant, leurs descendants en souffraient. Alors, imaginez les dégâts psychologiques liés à une liaison consanguine entre par exemple des nés d’un don de gamètes…

    • Des sociétés comme MyHeritage ou 23andMe livrent en France des tests ADN « récréatifs ». C’est-à-dire que ces tests sont destinés à de la généalogie génétique, en permettant de retrouver des membres de sa famille partageant le même ADN. Est-ce que ces tests ADN récréatifs sont fiables ?

    Tout d’abord, je réfute ce terme de « récréatif » utilisé par les opposants aux tests de généalogie génétique pour les discréditer. Faire un tel test est lié au Droit aux origines, un droit fondamental reconnu internationalement, y compris en France. Le ministère de la Santé et des Solidarités a d’ailleurs créé en 2002 le Conseil National d’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) pour répondre à ce droit et obligation légale, afin d’aider les adoptés et nés sous X le désirant à entrer en contact avec leur famille biologique. Leur opposer, quand c’est la seule solution pour eux de savoir d’où ils viennent, qu’ils « s’amusent » relève d’une violence et mépris insupportables.
    Le droit aux origines s’applique à tous, même sans être dans un de ces cas cruciaux. L’humanité s’est créée sur des lignées d’ancêtres, et ce depuis la Bible, premier des arbres généalogiques.
    Pour la fiabilité des tests de généalogie génétique, il y a beaucoup de méconnaissance de leur fonctionnement menant à une incompréhension des résultats. Deux informations sont accessibles : nos origines ethniques et nos liens de parenté.
    Pour les origines ethniques, selon les laboratoires, les résultats sont plus ou moins performants. Par exemple, 23andMe analyse 1 500 zones géographiques différentes pour 42 par MyHeritage. Les résultats sont établis grâce à des panels plus ou moins étendus, pouvant être améliorés. MyHeritage vend des tests génétiques depuis 3 ans seulement.
    Comme dans toutes sociétés commerciales, certaines sont meilleures que d’autres… Les personnes s’étant fait testées dans différents laboratoires pourront être perplexes face à des résultats parfois contradictoires, car n’ayant pas conscience de cette notion de panel, plus la notion de population sur une zone géographique (et non pas de nationalité), etc.
    Pour les liens de parenté, il faut connaître les lois de l’héritage génétique. Nous héritons avec certitude de la moitié de l’ADN de chacun de nos deux parents. Cet héritage génétique est partagé avec d’autres membres familiaux, sur les 6 à 8 générations nous précédant, et tous les descendants de nos arrière arrière arrière arrière grand parents. Cela fait très vite beaucoup de cousins génétiques à découvrir.
    En connaissant le fonctionnement génétique, on comprend mieux les résultats obtenus et comment les utiliser. Oui, les tests génétiques sont fiables, dans la limite de la possibilité d’analyse desdits tests génétiques…

    • Que pensez-vous de l’actuel projet de loi de bioéthique ?

    Il est regrettable que le projet de loi de bioéthique n’encadre pas les tests de généalogie génétique, réalisés massivement par les français. L’Etat français ne peut donc vérifier les conditions dans lesquelles sont conservées nos données génétiques. Nous devons nous fier à la législation des pays des laboratoires étrangers. Je donne dans mon livre les informations nécessaires sur les laboratoires et les options de confidentialité suivant les sites. L’association que j’ai créé a aussi vocation à informer sur le sujet.
    J’ai écrit un article sur le site de DNA PASS reprenant les arguments mensongers d’Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, et les arguments ridicules, hélas, c’est le mot le plus approprié, de Bruno Retailleau.
    Entre l’ignorance sur le sujet et les craintes infondées, il y a surtout le bafouement du Droit aux origines.
    Le retard sur la génétique en France, par rapport à d’autres pays, notamment sur les Biobank, s’accroit malheureusement pour nous. Le temps législatif est déconnecté du temps technologique. Le Plan France Médecine Génomique 2025 va nécessiter de gros moyens financiers pour être mis en œuvre pour nous tous, et ces moyens ne sont pas au rendez-vous pour l’instant. Peut-être qu’avec l’épidémie du Covid19, les mentalités du gouvernement et des législateurs vont évoluer face à l’urgence sanitaire avec une reconsidération du dispositif en France.

    Nous vous remercions pour toutes ces réponses



    Explication complémentaire sur cette interview

    J’ai reçu un mail d’une personne qui ne voyait pas le lien entre les questions et le don de gamètes. Je vais donc essayer d’apporter quelques précisions.

    Certains tests ADN permettent de connaître le pourcentage d’ADN partagé avec un autre individu et il est mentionné le lien généalogique probable entre les 2 personnes (cousin, frère, oncle, etc.). Grâce à ces tests ADN, des personnes issues d’un don ont retrouvé des donneurs. Je trouvais important de connaître la fiabilité des résultats de ces tests.

    D’un point de vue statistique, il peu probable que les enfants d’un donneur se mettent en couple avec des demi-génétiques. En revanche, si ce risque sur la première génération issue du donneur est faible, il me semble qu’il augmente génération après génération. Il n’est donc pas exclu que des arrières petits enfants du donneur se mettent en couple avec quelqu’un qui descendrait d’une personne issue du donneur. Si cette relation se produit à la 3e ou 4e génération, le pourcentage d’ADN en commun doit être relativement faible (je dirais qu’il doit être entre 1 et 10%) et je me demandais si cela pouvait représenter un risque médical. Beaucoup de donneurs sont sensibles au risque de consanguinité.

    Interview de Mikaël Agopiantz


    Le Docteur Mikaël Agopiantz est gynécologue médical, médecin de la reproduction et Chef du Service de médecine de la reproduction du CHRU de Nancy.

    Interview (réalisée en décembre 2019)

    • Pouvez-vous nous parler de l’Assistance Médicale à la Procréation au CHRU de Nancy ?

    MA : L’AMP existe au CHRU de Nancy depuis 1984. L’activité s’est développée sous l’impulsion du Dr. Frédérique Guillet-May qui avait été formée à Clamart dans le Service du Pr. René Frydman. Nous recevons plusieurs centaines de couples, mais aussi des femmes et des hommes seuls (dans le cadre de la préservation de la fertilité ou des conseils en fertilité), totalisant plus de 1000 tentatives d’AMP par an.
    Excepté le don d’ovocytes toutes les techniques d’AMP en intraconjugal (IIU, FIV classique, FIV avec ICSI, Transfert d’embryons cryoconservés), avec don (don de sperme, accueil d’embryon), et en préservation de la fertilité (cryoconservation d’ovocytes, de spermatozoïdes, d’embryons, de tissus ovariens et testiculaires) sont disponibles au CHRU de Nancy.

    (Voir un extrait d’un magazine du CHRU de Nancy qui parle du service AMP.)

    • Si le projet de loi bioéthique est adopté, cela permettra aux couples de femmes et aux femmes célibataires d’avoir accès à la Procréation Médicalement Assistée. Etes-vous favorable à la « PMA pour toutes » ?

    MA : Oui je suis tout à fait favorable à l’ouverture de l’AMP avec don de sperme pour les couples de femmes et pour les femmes seules. J’avais rédigé un papier sur ce sujet sur le site du syndicat national Jeunes Médecins pour exprimer l’impérieuse nécessité de mettre en place cette ouverture qui aurait déjà du être actée il y a 5 ans avec le Mariage pour tous.

    (Voir l’article « OUI OUI OUI À LA PMA POUR TOUTES ! » publié sur le site Internet du syndicat national Jeunes Médecins.)
    (Voir un extrait des Cahiers SYNGOF d’octobre 2019 qui indique la position du syndicat sur le projet de loi bioéthique.)

    • Seriez-vous favorable à la légalisation de la méthode « FIV ROPA » ? C’est-à-dire autoriser une femme à porter un enfant qui serait issu de l’ovocyte de sa compagne.

    MA : Oui bien entendu. Nous sommes très en retard, comme à l’habitude, sur nos voisins européens. J’avais cosigné une tribune avec l’association Réseau Fertilité France dans le Huffington Post sur cette thématique. Considérer la ROPA comme une GPA occulte consiste à nier la notion de couple pour les couples de femmes. Cela est inacceptable.

    (Lien vers la tribune « Bioéthique: donnons aux couples de femmes la liberté de dessiner ensemble le projet parental qui leur ressemble ! »)

    • Si le projet de loi bioéthique est adopté, cela permettra aux femmes d’avoir accès à l’autoconservation sociétale de leurs ovocytes. Etes-vous favorable à cette mesure ?

    MA : Bien entendu, j’y suis favorable comme l’ensemble des sociétés savantes de gynécologues, obstétriciens, et médecins de la reproduction, notamment le CNGOF, la SMR et la SFG. Nous sommes dans ce cadre pour l’ouverture de l’activité à tous les Centres d’AMP agréés qui en possèdent les compétences, y compris au secteur privé lucratif qui est soumis aux mêmes lois, règlements, inspections des tutelles, agréments des ARS… Ce type de dispositif (prévu par l’Assemblée nationale) serait responsable d’une inégalité de prise en charge entre les territoires et des délais de prise en charge plus longs.

    • Les CECOS sont pour l’instant les seuls en France à pratiquer les PMA/AMP avec don de gamètes. Seriez-vous favorable à étendre cette pratique aux centres privés lucratifs ? Pensez-vous que les centres privés lucratifs offrent les mêmes garanties que les CECOS ?

    MA : Les CECOS en tant que structures associatives autonomes ont été intégrés en 1993 aux différents CHU répartis sur le territoire national. Des Centres d’AMP pratiquent le don chaque jour en France sans être affilié à l’association de loi 1901 nommée Fédération des CECOS. Le monopole n’existe que dans les esprits et non de droit. A Nancy, nous pratiquons le don de sperme et l’accueil d’embryons dans un centre d’AMP dans le cadre de notre institution qui est le CHRU de Nancy. Comme dit plus haut, tous les centres d’AMP présentent des garanties offertes par les agréments. C’est donc aux ARS de déterminer les compétences de chaque centre et non au législateur de jeter l’opprobre sur les centres privés dans le cadre d’a priori fallacieux et stigmatisants.

    • Le professeur Nathalie Rives qui est la présidente des CECOS a été auditionnée par le Sénat le 20 novembre 2019. Elle a indiqué que les CECOS étaient favorables au fait d’interroger les anciens donneurs pour savoir s’ils consentaient à ce que leurs gamètes puissent bénéficier à des couples de femmes. Estimez-vous également qu’il soit nécessaire d’obtenir le consentement des anciens donneurs pour permettre à des couples de femmes de fonder une famille avec enfant ?


    MA : Je ne commenterai pas les déclarations de Madame Rives qui a présenté dans les différentes auditions la vision de l’association de loi 1901 qu’elle préside. Pour ma part je ne suis pas favorable à l’obligation de recontacter les anciens donneurs pour utiliser leur don dans le cadre de la PMA pour toutes. Je ne crois pas que les donneurs aient signé un consentement stipulant que le don était destiné à offrir la joie de fonder une famille à tous les couples, à l’exception des couples de femmes.

    • Que pensez-vous de l’actuel projet de loi de bioéthique ?

    MA : Le projet de loi de bioéthique actuel, dans le domaine de l’AMP, permettra de sortir du système de l’anonymat, et peut-être même de la culture du secret. La PMA pour toutes et l’autoconservation sociétale des gamètes sont plébiscitées par la société. L’important maintenant est la mise en place réelle de ces mesures et pour cela outre le vote du Sénat et la promulgation de la loi, cela nécessite la sortie des monopoles de fait, l’ouverture aux centres privés des activités, et des dispositifs anti-discrimination.

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    Interview de Dominique Mehl

    Dominique Mehl est sociologue, directrice de recherche au CNRS. Ses recherches portent sur le changement social, la sociologie de la famille, la sociologie de la bioéthique, notamment de la procréation médicalement assistée.

    Auteure de :

    Interview

    • Pouvez-vous nous parler de votre implication dans la loi de bioéthique ? De vos travaux/recherches dans le domaine de l’AMP/PMA ?

    J’enquête depuis le début des années quatre-vingt sur les changements induits par la procréation médicalement assistée sur la famille, les représentations sociales en matière de conjugalité et de parentalité. Ainsi que sur les débats publics, médiatiques et politiques qui accompagnent ces évolutions sociétales.

    Au milieu des années quatre-vingt, je menais une recherche sur la profession de gynécologue et sur les controverses concernant la médicalisation de l’accouchement. C’est dans le cadre de cette enquête que j’ai rencontré les questions de bioéthique. En recueillant la parole des médecins, des patients, en assistant à des consultations dans un contexte tout à fait nouveau. Amandine, le premier « bébé éprouvette » français était née quelque temps avant et les femmes étaient en grande demande d’aide de la médecine lorsque l’enfant ne paraissait pas. Et j’ai très vite constaté un décalage entre le traitement journalistique de ces questions et le vécu des candidats à la procréation assistée. D’un côté les médecins étaient présentés comme des démiurges, des professionnels prêts à tout pour techniciser la naissance. De l’autre des femmes qui étaient en attente de traitement et plaçaient beaucoup d’espoir dans cette fameuse médicalisation volontiers stigmatisée.

    J’ai suivi les premiers débats publics aboutissant au vote de la loi de 1994. Depuis je n’ai cessé d’enquêter sur les débats publics et les évolutions législatives concernant la bioéthique: 2004 première révision de la loi, 2011 seconde révision, aujourd’hui, le troisième épisode politique. J’ai par ailleurs conduit plusieurs enquêtes auprès de personnes et de couples en parcours de PMA : parents et enfants issus d’un don de gamète masculin ou féminin, maternités célibataires, femmes ayant bénéficié à l’étranger d’un double don interdit en France, points de vue de gynécologues et de jeunes femmes en âge de procréer sur l’autoconservation des ovocytes.

    Mon approche est sociologique visant à rendre compte des pratiques et des représentations de la société et également sociopolitique cherchant à montrer les logiques de la décision politique sur des questions concernant les mœurs.

    • Une sélection des candidats au don de gamètes est pratiquée par les CECOS afin de ne pas conserver des donneurs présentant un fort risque de transmettre une maladie génétique grave. Selon vous, est-ce de l’eugénisme ?

    Il faut faire très attention lorsqu’on parle d’eugénisme. Les historiens et philosophes nous apprennent qu’il existe en réalité quatre types d’eugénisme malheureusement confondus, pour des raisons politiques, avec l’eugénisme génocidaire. Il existe d’abord un eugénisme négatif qui consiste à éliminer un gène délétère c’est-a-dire à empêcher une maladie de s’installer. En face il existe un eugénisme positif qui consiste à modifier un patrimoine génétique en intervenant sur des gènes qui ont une potentialité héréditaire. La malformation n’est plus seulement évincée chez une personne mais éradiquée aussi pour les générations à venir. Par ailleurs il convient de distinguer l’eugénisme individuel et l’eugénisme collectif. Ce dernier émane d’une politique d’Etat visant des populations cibles. C’est l’eugénisme qui a tué des handicapés dans les pays scandinaves au début du siècle puis ravagé l’Allemagne nazie où des populations entières étaient décimées et des bébés soumis à des expériences médicales visant à améliorer la race. L’eugénisme individuel, comme son nom l’indique, ne concerne que des personnes précises et non des populations. Il vise à réparer ou à contrecarrer la venue d’une malformation ou d’une maladie identifiée ou prévisible sur un individu et un seul.

    Aujourd’hui, dans notre société, personne ne porte de projet eugéniste collectif. Seuls sont visés par les thérapies géniques des individus avec pour visée non d’améliorer une cohorte mais de prévenir une maladie identifiée. Ainsi le débat actuel sur le diagnostic préimplantatoire est-il totalement vicié. Traquer une déficience sur un embryon peut être qualifié d’eugénisme individuel, de même que rechercher la trisomie chez les femmes enceintes. Mais rien dans ces gestes ne modifie l’espèce et sa descendance. L’eugénisme collectif, celui qui terrorise, ne plane pas comme une menace sur ces traitements individualisés. Or, de nombreux conservateurs gardiens de l’indisponibilité totale de l’embryon voudraient discréditer cet eugénisme thérapeutique en brandissant le spectre des camps de la mort.

    Selon moi, il est indispensable de préserver cette dimension individuelle qui nous protège contre des projets totalitaires et permet que des sensibilités différentes au handicap et à la maladie aient droit de cité dans les enceintes médicales.

    • S’il était permis aux femmes célibataires bénéficiant d’un don de spermatozoïdes de choisir les critères morphologiques du donneur (couleur de peau, couleur des yeux, couleur des cheveux, taille, etc.), selon vous, est-ce qu’il s’agirait d’eugénisme ?

    Il ne s’agit en aucun cas d’eugénisme. On ne répare pas, on n’élimine pas. Cela relève strictement de choix individuels. Dans la vie on choisit son partenaire. En PMA on peut rêver d’un donneur ou d’une donneuse qui vous plaise. Même si, dans un cas comme dans l’autre, l’issue n’est pas certaine. On peut comparer ce souhait au vécu de l’appariement lorsqu’il y a don de gamète. L’appariement a été inventé au départ pour cacher le geste du don et permettre de laisser croire que le père est le géniteur. Avec la reconnaissance prochaine d’un droit à connaitre ses origines ce scénario n’a plus aucun sens. A partir du moment où le secret n’est plus en vogue, l’appariement notamment sanguin peut être condamné. Mais l’appariement morphologique conserve certainement des avantages psychologiques. Notamment il peut aider les parents à investir l’enfant à venir bien qu’il ne soit pas issu des gènes parentaux. Dans toutes les interviews que j’ai faites, la question des ressemblances physiques est omniprésente. Les enfants du don se demandent à qui ils ressemblent. Les parents d’enfants du don espèrent trouver dans les traits de leur fils ou de leur fille une proximité physique avec eux. L’entrée en parenté lorsqu’il n’y a pas d’hérédité parait toujours plus difficile à opérer que lorsque l’évidence de la transmission est là. Marquer des préférences, dont le résultat demeure incertain, peut éventuellement faciliter leur attachement. A condition qu’il soit choisi et non imposé.

    • Il est possible d’avoir jusqu’à 2 grossesses grâce à un don de gamètes. Certains bénéficiaires du don préféreraient que tous leurs enfants soient issus du même donneur.
      Pensez-vous que cela soit une bonne chose pour les parents que leurs enfants soient issus du même donneur ?
      Pensez-vous que pour les personnes issues d’un don, cela ait de l’importance que leur sœur ou frère soit issu du même donneur ?

    J’ai une position assez particulière. Je pense que le socle des liens de parenté dans le cas d’un don est d’ores et déjà assuré par la loi. En effet la filiation des enfants du don est totalement sécurisée : le donneur ne peut revendiquer aucune part paternelle et le père légal ne peut se défaire de son lien légal avec l’enfant. Donc l’hypothèse d’un adolescent frappant chez son donneur sur le thème : « Coucou papa c’est moi » est totalement fantasmatique. A partir de ce socle solide il serait envisageable de laisser davantage de liberté aux partenaires d’une procréation par don (parents, enfants, donneurs) pour choisir eux-mêmes les liens qu’ils veulent tisser entre eux : distance, anonymat et absence totale de contact, place symbolique de semi parenté ou de parenté lointaine, relations polies ou plus affectives… Il en est de même pour les demi-frères et sœurs. Etre nés d’un même donneur peut n’avoir aucune importance si on ne loge pas derrière ces gestes l’idée d’un halo familial. En revanche si l’image d’une simili famille y compris par proximité génétique des enfants représente un modèle enviable le partage du même donneur peut être un élément de ce « faire famille » souple et consenti. D’ailleurs pour les enfants du don en quête d’informations sur leur donneur, le souhait de savoir qui a donné est primordial. Mais aussi la connaissance de l’étendue de la fratrie constitue une question récurrente. Aux Etats-Unis les sites de sibling permettent d’identifier un donneur mais aussi sa descendance diverse et les demi-frères et demi-sœurs semblent apprécier hautement cette connaissance voir ce contact avec leur famille étendue.

    Mais attention : je différencie totalement filiation et famille. La filiation est un lien légal bien verrouillé par la loi que les parents soient ou non les géniteurs. La famille, en revanche, n’est pas une institution. Elle n’est pas encadrée par le droit. Elle est volontaire, fluide, composite, élargie, fragile. Le donneur et les demi-frères et sœurs n’ont pas de place dans le dispositif filiatif. En revanche ils sont aptes à susciter des relations interpersonnelles qui prennent en compte leur consanguinité dans un cadre voulu et particulier.

    • Lors de la création du CNAOP, il lui a été donné le droit d’interroger les géniteurs des personnes nées sous X pour savoir s’ils accepteraient de lever leur anonymat. L’ancienne secrétaire générale du CNAOP a récemment déclarée qu’aucun géniteur ne s’était plaint d’avoir été retrouvé et interrogé par le CNAOP.
      Selon vous, est-ce souhaitable que la commission en charge de l’accès aux origines dispose du droit de contacter les anciens donneurs ?

    Oui, absolument. La nouvelle loi ne sera pas rétroactive. Mais d’anciens donneurs peuvent, après avoir donné sous le sceau de l’anonymat, avoir changé d’idée au vu des évolutions sociales et en écoutant la parole des enfants du don en quête de leurs origines. Il serait plus que souhaitable pour les enfants nés de leur don (et peut-être pour eux-mêmes) de leur laisser la liberté de choisir le maintien ou la levée de leur propre anonymat.

    • La Cour administrative d’appel de Versailles a évalué l’âge limite de l’homme pour avoir recours à l’AMP à 59 ans. La Cour administrative d’appel de Versailles a considéré qu’il fallait « préserver notamment l’intérêt de l’enfant à naître ».
      Avec la future loi de bioéthique, une femme célibataire de 35 ans pourra bénéficier d’un don de spermatozoïdes mais une femme de 35 ans en couple avec un homme de 60 ans n’y aura pas le droit.
      Estimez-vous qu’un enfant a davantage intérêt à naître en ayant uniquement une mère plutôt qu’une mère et un père « âgé » de 60 ans ?

    Je pense qu’il n’y a pas de « bon père » ni de « bonne mère ». Il existe des configurations qui semblent absolument biscornues et qui donnent cependant des familles plutôt harmonieuses. Et puis il y a des configurations dans lesquelles le couple correspond à tous les critères de bienséance et qui s’avèrent être catastrophiques. Je pense que la question de l’âge est une question individuelle. Certaines femmes sont en pleine forme à plus de 40 ans, d’autres plus affectées physiquement et psychologiquement par l’écoulement du temps. Je trouve que la France est trop rigide. Il faudrait vraiment que l’idée du cas par cas et que le pragmatisme s’installent un peu chez nous. La question de l’âge devient de plus en plus problématique en matière d’engendrement. Mais une loi générale venue d’en haut ne saura jamais prendre en compte la diversité des situations. Le Centre d’Étude Clinique de Cochin, créé pour promouvoir une éthique pragmatique, reçoit beaucoup d’interpellations de couples considérés comme trop âgés pour devenir parents. Au lieu d’afficher une doctrine, ils s’entretiennent avec les peut-être futurs parents et évaluent ensemble les arguments et motivations des uns et des autres. Et leur expérience montre qu’aucune histoire ne s’avère transposable.

    • Est-ce que vous pourriez réaliser dans le futur une étude sociologique sur les anciens donneurs ?

    J’aimerais beaucoup pouvoir en mener une. A l’heure actuelle le vécu des donneurs, leurs motivations, leur réactions aux débats sur l’anonymat sont totalement méconnus. La culture du secret et de l’anonymat qui a protégé leur vie jusqu’à présent les a aussi rendus invisibles et muets. La loi est en train de changer, mais sans eux.

    • Que pensez-vous de l’actuel projet de loi bioéthique ?

    On est enfin arrivés à ouvrir la PMA à d’autres que les couples orthodoxes. C’était une réforme souhaitée et attendue depuis que le mariage et l’adoption avaient été accordés en 2013 aux couples homosexuels. Je suis assez soulagée que les femmes célibataires aient également été acceptées car ce n’était pas gagné d’avance. Une hostilité radicale émanait des adversaires du projet de réforme autour de la dénonciation de l’enfant sans père. Et des réticences de taille s’étaient également exprimées dans les rangs réformistes autour de l’image de la mère dévorante qui ne pourrait pas être déliée de son lien exclusif avec l’enfant par une tierce personne. Je pense que la validation de l’accès aux origines pour les enfants du don représente une avancée majeure d’autant que la formule du « double guichet » n’a pas été retenue. Je suis également ravie qu’une nouvelle liberté soit accordée aux femmes par la légalisation de l’autoconservation des ovocytes.

    Pourtant, le libéralisme a toujours ses limites dans notre pays. L’ouverture demeure tout de même en demi-teinte. Tout d’abord, et c’est probablement le dispositif le plus choquant, l’accès à la PMA est accordée aux couple lesbiens mais une filiation spéciale leur est imposée. Alors que depuis 2005 procréation et filiation avaient été totalement disjoints, la distinction entre enfants légitimes et naturels étant abolie, on revient en arrière en nouant à nouveau procréation et filiation. Ce choix régressif s’avère à l’encontre des évolutions sociales récentes qui entérinent la disjonction complète entre lien légal, filiation et parentalité.

    Par ailleurs, le droit d’accès aux origines est rigoureusement circonscrit, encadré et contrôlé. Le don direct, prisé notamment par certaines femmes qui souhaitent s’investir humainement dans leur parcours de don, n’est pas admis. L’accès à l’identité du donneur sera soigneusement piloté par des institutions tandis que la liberté de chercher demeure bannie, les tests ADN hors procédure judiciaire étant toujours condamnés. Enfin tout est mis en place, nous en avons parlé, pour que parents d’enfants du don, donneurs et enfants du don ne cherchent pas à être liés, à être ensemble, à faire famille.

    En ce sens la future nouvelle loi accorde de nouveaux droits qui étaient attendus depuis longtemps. Mais elle ne bouleverse pas la donne parentale et familiale.

    Nous vous remercions pour toutes ces réponses

    Interview de Astrid M.

    Astrid et son mari ont dû recourir à une PMA avec don de sperme pour pouvoir vivre une grossesse. Ils ont maintenant une géniale petite fille de 3 ans. Elle regrette que sa fille ne puisse avoir accès à ses origines, mais ayant elle-même été conçue grâce à une PMA avec don dans les années 70, elle espère pouvoir l’accompagner au mieux tout au long de sa vie.

    Interview

    • Une sélection des candidats au don de gamètes est pratiquée par les CECOS afin de ne pas conserver des donneurs présentant un fort risque de transmettre une maladie génétique grave. Est-ce que tu approuves que ces donneurs soient exclus du don ?

    Mon mari est lui-même atteint d’un syndrome génétique qui provoque le décès avant 4 ans de la moitié des enfants portant ce syndrome. Il est déjà tellement compliqué de réussir à avoir cet enfant, je pense qu’il est humain de ne pas souhaiter que cet enfant soit porteur d’un syndrome létal ou très handicapant. On sait qu’aucun enfant n’est parfait, mais on souhaite leur offrir une vie « normale ».

    • Est-ce que ton mari et toi avez demandé au CECOS de pratiquer un appariement du groupe sanguin ? (C’est-à-dire que le donneur ait le même groupe sanguin que le père de l’enfant)

    Nous n’avons rien demandé, cela nous a été imposé.

    • Est-ce que ton CECOS pratiquait le « parrainage » ?

    Oui tout à fait, on nous en a parlé dès l’annonce des 18 mois d’attente : si nous apportions un donneur, l’attente serait réduite à 12 mois et si nous apportions 2 donneurs, elle serait réduite à seulement 6 mois. Nous avons refusé d’avoir recours à un parrainage, afin de ne pas avoir à obliger un proche à donner.

    • Est-ce que ton CECOS permettait aux bénéficiaires d’un don de conserver le même donneur pour une seconde grossesse ?

    Le professeur qui nous suivait au CECOS nous a indiqué que les médecins refusaient d’utiliser le même donneur pour une éventuelle seconde grossesse, m’ayant expliqué que permettre aux 2 enfants d’avoir quelques ressemblances physiques ne les intéressait pas (ce qui s’oppose pourtant à leur principe d’appariement avec le père d’intention) car ils ne souhaitaient pas créer de famille (génétique). J’avoue être restée outrée de ce manque de considération à reconnaître notre famille comme une vraie famille…

    • Le projet de loi relatif à la bioéthique prévoit que les enfants issus d’un don puissent avoir accès aux antécédents médicaux du donneur à partir de leur majorité. Selon toi, est-ce que les bénéficiaires du don devraient également avoir accès à ces informations dès le début de la grossesse ?

    Je pense effectivement que les parents devraient avoir accès à ses informations, qui ne permettent pas, de toute façon, d’accéder à l’identité du donneur. On nous rabâche que les donneurs sont en bonne santé, mais nous avons tous des prédispositions à certains maladies héréditaires et notre santé évolue sans cesse au fil de nos vies. Savoir que certaines pathologies sont présentes chez le donneur ou sa famille proche, permettrait de faire de la prévention et de mettre à égalité les enfants conçus par don et ceux non-conçus par don.

    • Selon toi, est-ce que les bénéficiaires du don devraient avoir accès à des données non identifiantes sur les donneurs, et si oui, lesquelles ?

    Pendant ma grossesse, j’aurais aimé connaître la couleur de peau, des yeux, des cheveux et une fourchette de taille du donneur de ma fille. Car il est difficile d’imaginer et de rendre réel son futur enfant lorsqu’on ne connaît pas la moitié de ses origines.

    • Si ce n’est pas déjà fait, est-ce que ton mari et toi avez l’intention d’informer votre fille de son mode de conception ?

    Nous en avons toujours parlé devant elle, tout notre entourage connaît son mode de conception. Nous avons refusé d’en faire un tabou. Nous lui en avons parlé dès sa naissance, notamment grâce à 3 livres pour enfants qui traitent de la conception par PMA avec don.

    • L’infertilité a été reconnue comme Grande cause nationale 2020. As-tu des propositions de mesures pour lutter contre les causes d’infertilité et améliorer les traitements ?

    Les causes sont variées et certaines ont une origine embryonnaire et on ne peut les éviter. Cependant, la pollution et certains produits chimiques, tels que le glyphosate, sont responsables également, et il serait temps de cesser leur utilisation, quels que soient les lobbies industriels.
    Pour les traitements, quand je vois les résultats des PMA à l’étranger, je pense qu’il est temps que la France progresse de ce côté-là. En effet, grâce à des traitements différents, plus personnalisés, mais notamment grâce au DPI (Diagnostic Pré-Implantatoire) des embryons (la plupart des embryons créés et transférés ont des anomalies chromosomiques, ce qui amène systématiquement à des fausses couches), certains pays européens ont des taux de réussite 2 à 3 fois supérieurs à la France.

    • Que penses-tu de l’actuel projet de la loi relatif à la bioéthique ?

    Il était temps que l’accès aux origines des personnes nées par PMA avec don soit mis en place. L’anonymat définitif est obsolète et injuste pour ces enfants et adultes. Ce projet ne retirera rien à ceux qui ne veulent rien savoir et donnera des réponses à ceux qui se posent des questions. C’est une question d’humanité.

    Nous te remercions pour toutes ces réponses