Copyright photo : Véronique Taupin
Psychologue spécialisée en périnatalité, Nathalie Lancelin-Huin exerce à la maternité d’Annecy ainsi qu’en libéral, auprès des parents, des bébés, et des professionnels. Elle a créé son propre organisme de formation : Nathalie-T Formations, via lequel elle transmet ce que le terrain lui a appris.
Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le dernier paru ce printemps : « PMA, GPA, SOUS X ; Quelques lettres qui ne disent pas l’essentiel ».
Le 30 mai 2020, elle a publié l’article « Les donneurs, ces grands oubliés de la PMA/GPA – BLOG » sur le site Huffington Post.
Adresse de son site Internet : http://www.nathalie-t.com
Interview (réalisée en juin 2020)
- Pouvez-vous nous parler des donneurs que vous recevez en consultation ?
Si vous permettez, j’aimerais commencer en vous remerciant de me donner l’opportunité de répondre à des questions si délicates autour d’un thème véritablement tabou : « les donneurs ». Sachez que ma nature profonde ne va pas à la polémique, pourtant je sais déjà que la teneur de vos questions et de mes réponses, n’ira pas au consensus, car toutes ces questions sont très complexes.
Pour en revenir à votre première question, je ne reçois pas beaucoup de donneurs en consultation, surtout les receveurs des dons finalement (futurs ou actuels). Ils arrivent avec leurs préoccupations et leurs questions éthiques, philosophiques, génétiques mais aussi affectives. Les receveurs mesurent bien qu’il ne s’agit pas d’un engagement mineur de part et d’autres (y compris potentiellement pour l’enfant), et que parmi tous les dons de matériaux vivants (sang, organes, etc.) celui-ci est à part. Ils le pressentent, du moins certains.
La situation la plus aigüe qui m’ait été donnée d’accompagner en matière de dons de gamètes, concernait un jeune couple, dont l’homme était infertile et dont le parcours était long et douloureux. Ils venaient me rencontrer car le père du jeune homme avait bien réfléchi à leur situation et leur avait proposé de leur faire don de son sperme. Le jeune couple était très tenté, après plusieurs échecs de PMA et voulait être sûr que ce soit « une bonne idée ».
De manière générale, ce sont surtout les femmes qui viennent questionner le don, certainement parce que ce sont elles qui reçoivent et portent le matériau en question. A noter qu’il n’est pas semblable pour une femme d’accueillir un don d’ovocyte de la part d’une autre femme (gamète intériorisée et à visée procréative), que le sperme d’un autre homme que le sien (gamète extériorisée et à connotation sexuelle ajoutée).
Probablement aussi parce qu’elles sont plus enclines à exprimer leurs émotions et à mettre des mots sur ce qui les touche et les interroge. Tandis que les hommes ont tendance à être plus taiseux sur les sujets de l’intime et en général beaucoup plus pragmatiques dans leur réflexion.
A ceci s’ajoute que le don d’ovocyte est dès le départ beaucoup plus engageant pour une donneuse, puisqu’il est question d’un traitement médical et d’une opération pour un recueil de gamètes « au compte-gouttes », alors que pour le don de sperme, le process est somme toute accessible, immédiat, généreux en nombre, et donc peut faire moins réfléchir.
Ce qui est plus, moins ? Je laisse chacun l’estimer…
- Est-il déjà arrivé qu’un ancien donneur vous dise regretter d’avoir fait un don de gamètes ?
La parole des donneurs se libère un peu, surtout celle de ceux qui par le passé ont été dans une sorte de surenchère (à une époque où le don de sperme se pratiquait mais était peu questionné et encadré). Cela a donné lieu à bien des fantasmes du nombre d’enfants que ces derniers pourraient avoir « dans la nature ». Le mesurant après-coup, certains s’en sont vantés dans les médias locaux ou nationaux, d’autres ont eu le vertige et ont pu prendre peur.
Quelques-uns ont pu dire qu’ils ne regrettaient pas leur geste, mais qu’ils ne le referaient pas si c’était à refaire. Cela peut paraître contradictoire mais ne l’est pas. En effet pour certaines raisons ils ne le regrettent pas (leur envie sincère d’aider à l’époque, leur intention et leur ignorance du moment, l’idée que des enfants soient nés grâce à leur don,…), mais pour d’autres motifs (l’idée du nombre, leur ressenti après-coup, tout ce qu’ils ont su depuis sur les dons ou les enfants nés du don, tout ce qu’ils ne mesuraient pas alors de ce qui serait un questionnement à vie, l’anonymat, les lois qui évoluent, etc.), ils ressentent clairement qu’ils ne le referaient pas, ou sont peu sûrs qu’ils le referaient aujourd’hui. En tous cas, ils s’interrogent…..
Pour ces donneurs, apriori minoritaires, il s’agit de la question du cheminement qui s’est opéré, entre le moment où ils ont décidé de donner leurs gamètes, le moment où ils l’ont fait concrètement, et l’après comme le maintenant, de ce qu’ils ne pouvaient pas savoir avant que d’être … donneurs. Les acquis d’une certaine conscience ?
- Avez-vous connaissance d’enfants de donneurs qui auraient développé des inquiétudes similaires à celles que l’on retrouve chez certaines personnes issues d’un don ?
J’ai envie de vous répondre, en illustrant cela avec deux autres thématiques périnatales : l’adoption et la Gestation Pour Autrui.
Je m’explique, si l’on écoute les enfants aînés de parents qui ont confié un enfant à l’adoption (je pense là par exemple, à ce qu’on appelle « le don d’enfant » à Tahiti, qui s’est pratiqué longtemps sur ce territoire de grande précarité), ils peuvent dire que le fait que leur mère ait porté un enfant après eux et que leurs parents l’aient confié à l’adoption, les a fait se poser beaucoup de questions selon les périodes de leur enfance. De type, « pourquoi moi je suis restée, pourquoi pas lui ? Que devient-il, est-ce une chance pour lui ? Sait-il son adoption et préfèrerait-il être avec nous ? ».
Et pour les enfants nés après lui et qu’une mère, éprouvée par le don, aura gardés ensuite, d’autres questions encore.
Et pour l’enfant concerné par ce don et adopté par des parents ailleurs qui seront restés en lien avec le couple tahitien, que peut-il bien penser à ce grand loto vertigineux de la vie ? « Pourquoi moi ? » …
Deuxième illustration, la fratrie ainée d’un couple ayant accepté une GPA pour un couple demandeur (puisqu’il est demandé aux couples le proposant, d’avoir déjà une famille…). Si l’on prend le temps de recueillir leurs témoignages et leur silence, cette démarche ne se fait pas sans un questionnement qu’ils partagent avec peu de commentaires, mais qui est bien là (à qui veut bien l’entendre et le respecter sans juger). Et d’ailleurs comment pourrait-il en être autrement ?
Enfin je partagerai avec vous un témoignage touchant, celui d’une femme venue visiter depuis les USA son frère aîné, aujourd’hui adulte et accueilli dans un établissement spécialisé en Europe. Elle avait confié à cette occasion à l’éducateur référent de ce dernier, qu’elle était très petite quand ses parents en difficultés avec cet enfant dit autiste, avait décidé de le placer en institution, et que la pensant trop jeune pour comprendre, ne lui en avait pas parlé pendant longtemps. Du jour au lendemain ce grand frère avait comme « disparu », et elle confiait donc combien pendant longtemps, elle avait vécu le soir cette angoisse qu’on vienne la prendre et qu’elle disparaisse, elle aussi. Ressenti vivace d’abandon…
Alors oui, il est tout à fait plausible que les enfants de donneurs et restés auprès d’eux, plus ou moins anxieux à la base, portent plus ou moins d’inquiétudes en eux, et en pensant au potentiel enfant né de ce don, et à qui il saurait être pour eux ? Un frère, une sœur, rien, autre chose ?
Un peu aussi à l’image des femmes qui auront accouché sous le secret, sous le sceau du X, et dont les enfants ainés ou puînés auront eu à le savoir. Certains partent à la recherche de l’absent, voire en font la quête de leur vie ou de leur famille. Question de sensibilité et d’individualité… Pas de généralités, mais des réalités aussi.
- Actuellement, on estime que les couples ayant eu un enfant par AMP avec tiers donneur doivent en parler à leur enfant. L’objectif étant d’éviter un secret de famille. Dans la famille du donneur de gamètes, est-ce que le don de gamètes est à considérer comme un secret de famille ?
Que de questions sensibles et inconfortables !
Très basiquement, s’il est fait sciemment un secret autour du don de gamètes, cela deviendra un secret.
Tout dépend de l’intention de départ et de sa clarté, de ce qui a fondé le choix de donner (raisons plus ou moins « louables », plus ou moins conscientes, comme d’ailleurs dans tout désir d’enfant). Et tout dépend de s’il y a souhait de transparence ou occasion de mensonges de la part des adultes.
Mais même sans intention de faire un secret, ce qu’il y a à comprendre, c’est que lorsque l’humain touche à la source du vivant, et consécutivement au secret des origines, il y a secret en potentialité. Tout va donc se jouer dans l’intention de départ des donneurs et receveurs, dans leur conscience des enjeux, et dans leur souci de vérité si elle est interpellée (par les enfants des donneurs, les enfants issus du don, les parents receveurs…).
C’est sans compter ce qui se jouera, quand l’ensemble des enfants concernés par le don (fratrie des familles donneuses et celle des familles receveuses, avec aussi le contexte des enfants conçus naturellement après le parcours de PMA de leurs parents), aspireront à devenir parents à leur tour et que ce secret ou ce non-dit, remontera dans les mémoires.
Sans oublier ce que connaissent fort bien les psychothérapeutes, tous ces secrets de filiation (d’enfants nés hors mariage, sous x, adoptés, etc.) qui s’expriment inconsciemment et sur plusieurs générations.
Après, demandons-nous ce qui pourrait motiver à ne pas évoquer ce don, si effectivement il est suffisamment clair et centré sur une aide à la procréation. C’est plutôt dans ce sens qu’il faudrait nous questionner !
D’autant qu’il s’agit de la procréation et des origines d’un être en devenir, donc de ses fondements. D’autant qu’il s’agit pour lui d’avoir accès à son patrimoine physique (santé et ressemblance) mais aussi psychique, émotionnel et résonant.
Surtout que chacun de nous n’a pas « grand mérite » à avoir un capital ovocytaire ou spermatique, on l’a ou pas en héritage. C’est donné par la Vie, c’est gracieux. Donc il n’y a pas faute ou honte à avoir, quand cela n’est pas donné.
Pour autant, je le redis, ce n’est pas un don anodin, il n’est semblable à aucun autre. Il engage et contient un patrimoine, une lignée, la procréation, le monde des origines. Il a une histoire et contient l’histoire-même de la Vie.
Et puis ces dons n’étant pas isolés, ils peuvent concerner des enfants qui ne savent pas cette réalité et qui pourraient avoir à croiser un jour « par hasard » ou comme par « non hasard », un autre avec lequel ils sont en filiation, sans le savoir donc. Nous avons quand même quelques illustrations qui si elles semblent exceptionnelles, sont vertigineuses en ressenti.
- Selon vous, est-ce souhaitable qu’un donneur informe ses enfants qu’il a fait un don de gamètes ?
Peu est écrit sur cette question. Peu de professionnels ont envie de se risquer à y répondre, par peur du jugement extérieur, par risque d’être stigmatisés ensuite.
Aussi on trouve en général les « pour » et les « contre », qui étayent leur positionnement avec des études et des témoins qui vont dans leur sens. Le souci, c’est que ceux qui s’opposent à eux, ont aussi leurs propres études et témoins, qui disent justement l’inverse.
En fait ni les uns ni les autres ne mentent, aucun n’a raison ni tort, car tous ces cas de figure sont uniques et l’on trouvera pour chaque situation a priori semblable, quelqu’un qui l’aura bien vécu ou justement pas, ou bien qui n’ose pas le dire ou ne l’identifie pas encore. Peur de toucher à l’amour de la famille ou à un passé douloureux parfois.
C’est cela qu’il faut retenir : tout et son contraire est possible, que ce soit dit ou tu. S’y rajoute que selon le cheminement que chacun fait, les périodes de l’existence, les épreuves et les âges de vie, … les avis sur cette question peuvent bouger et les consciences évoluer.
Donc pour répondre à votre question et au regard de ce que je viens de mettre en avant, je dirai cela : sauf exception, je ne vois pas ce qu’il y aurait à cacher, dans le fait d’avoir souhaité donner et aider. Rien qui ne justifie un secret, si ce n’est l’ego, des blessures non apaisées pour les receveurs (infertilité ou stérilité, orientation sexuelle et choix amoureux, etc.), ou des craintes relatives à l’amour, et non justifiées (si bien sûr les intentions sont suffisamment mûries et clarifiées, en pensant à un enfant en devenir).
Alors on pourrait me dire qu’il s’agit d’intimité et qu’on ne partage pas toute son intimité avec ses enfants. C’est vrai, et je partage cet avis en théorie, sauf que cette intimité-là concerne les enfants, puisqu’elle engage le patrimoine familial commun. Surtout qu’on a pu constater la puissance inconsciente de ces secrets sur des membres d’une famille entière, et sur plusieurs générations.
On pourrait dire de même qu’il est question de liberté de dire ou pas, et qu’il revient à chacun d’exercer son libre-arbitre à cet endroit. Sauf qu’il s’agit de libre-arbitre de l’adulte et qu’il en va de l’intérêt indiscutable de l’enfant concerné et qui ne peut le faire valoir.
Tout le problème est qu’on le sait cliniquement, mais que cela est difficilement mesurable scientifiquement, s’agissant de sciences humaines. Donc cela reste réfutable.
En conclusion, je suis toujours favorable à la vérité sur les essentiels de la vie (vie, mort, amour, santé et procréation), sauf exception qui reste à estimer « au cas par cas ».
Tout demeure cependant dans la manière de l’amener et de la dire.
Après quand et comment dire ? Là est la grande question, avec ses acolytes qui sont : la peur de mal le faire, et la peur que celui à qui cela est dit, réagisse mal. Et disons-le, la peur encore plus grande que cela change quelque chose à l’amour qu’on partage ensemble…
Alors en général, pour toutes ces raisons-là et parce qu’on mesure les risques de le dire et pas vraiment les avantages concrets, les familles se taisent.
Ce qui vient aujourd’hui bousculer la donne, c’est le fait des tests sanguins ADN à l’échelle mondiale. Ils viennent radicalement précipiter cette question du secret, car cette possibilité de tests est accessible au plus grand nombre. Actuellement la banque de données devient conséquente.
Les accompagnements des enfants nés sous X devenus adultes, mettent en avant, que l’accès refusée à leurs origines, les conduit dorénavant à recourir à ces tests et les aident à remonter la plupart du temps jusqu’à leurs origines. Ce qui donne l’occasion de retrouvailles non encadrées et immédiates, parfois brutales ou même sauvages, sans préparation ni temps d’adaptation.
On peut donc légitimement se poser la question des enfants nés sous le secret (du don), avec le risque des intentions de chacun (au sein des familles des donneurs et receveurs). Sans toutefois les reproches d’un certain abandon, mais relativement aux donneurs, l’interpellation de leurs profondes motivations.
Je préfèrerai me tromper, mais très probablement à l’avenir nous aurons des situations qui feront jurisprudence dans ce domaine. Et je le redis, si ce chemin vers l’enfant et la parentalité, est celui de l’amour, au nom de quelle bonne raison nous aurions à cacher qu’il y a eu don (car le mot est magnifique au demeurant) ? Et si c’est les donneurs ont mis du cœur et un brin de lumière à l’ouvrage, pourquoi y-aurait-il matière à redire ? Et surtout si on a conscience de cette vérité due à l’enfant sur son origine, et qu’elle lui est délivrée !
A moins bien sûr que l’on ne craigne des situations humaines moins reluisantes, existantes aussi au demeurant.
- Selon vous, est-ce souhaitable qu’un ancien donneur informe sa compagne qu’il a fait un don de gamètes ?
Bonne question aussi, qui mérite d’être posée.
J’imagine que vous devinez ma réponse, en toute cohérence avec ce qui a précédé.
La raison, dira que c’est d’intimité dont il s’agit, de liberté, et du passé de chacun. Le ressenti, dira lui que si je suis en amour et que je m’engage avec un conjoint, lui cacher durablement cette vérité et cette réalité, est en premier lieu quelque chose qui sera entre lui et moi. Un secret ; là encore de quoi a-t-on peur en vérité ?
Cela rejoint les histoires d’adultes qui ont eu un enfant, ne l’auront pas reconnu ni connu (grossesses non voulues, gardées par l’ex conjointe ou lors d’une histoire extra conjugale, accouchements sous x aux contextes variés, etc.), ou qui ont vécu des histoires précédentes qui ont laissé des traces dans leur mémoire.
Plus ils auront tardé à dire, plus difficile est de le révéler un jour et plus ils s’empêtreront dans un secret par omission, qui pourrait mettre en péril leur couple, si l’autre le découvrait un jour (ne comprenant pas alors pourquoi il ne l’a pas dit, ni ne lui a fait cette confiance de son passé).
Et là encore pour en revenir à un donneur et sa nouvelle conjointe, si je m’engage avec cette personne et que j’ai été relativement clair dans mon intention à l’époque du don (puisqu’il s’agit d’un don, d’altruisme et d’aide à un projet de vie), quelle raison aurais-je finalement de le cacher ?
C’est bien aussi parce que ce don n’est pas anodin, n’est pas un don du sang (même si donner son sang est un geste fort, engageant la vie et simple à la fois).
Celui-ci est un don qui peut conduire à un enfant, à l’arrivée d’un nouvel être. Ce n’est pas le même vivant que tous les autres dons, même si tous sont respectables et majeurs pour la vie humaine.
Il nous faut l’entendre et cela nous dérange de l’écouter pleinement. C’est du moins ce que je crois et sens.
Finalement que chacun se demande juste, en son âme et conscience, si lui en tant que nouveau conjoint, aimerait que l’autre lui fasse cette confidence (qu’il a fait un don de gamètes) et pourquoi. Il aura ainsi la réponse de pourquoi il se positionne en faveur de dire ou pas.
Cette réponse donne de plus une idée de ce qu’on engage d’intimité avec un autre dans une relation amoureuse, de notre implication et de la qualité de communication qu’on souhaite y mettre.
Et puis reste la question que ce soit dévoilé un jour d’une manière ou d’une autre (une lettre du labo parce que changement de loi ou questionnaire, un courrier trouvé dans le rangement administratif, quelqu’un de la famille receveuse ou l’enfant né du don, qui se manifestent pour une question de santé vitale, sans compter les réseaux sociaux et les tests ADN). C’est un risque réel.
C’est tout de même une possibilité. Aussi vivre avec cela et solitairement, n’a que peu d’intérêt et peut se transformer dans le temps en angoisses et fantasmes, à mon sens, évitables.
Mais cela c’est mon point de vue.
- Existe-t-il des ouvrages de psychologie s’adressant spécifiquement aux donneurs de gamètes et qui seraient susceptibles de répondre à leurs questions ?
Plein de choses existent sur le sujet, mais à ma connaissance, pas d’ouvrages spécifiques et ciblés sur cette question. Plutôt des articles.
Et puis l’on trouve des études contradictoires, mais qui ne contredisent pas la réalité, puisqu’en vérité on trouve toutes sortes de cas de figure concernant les dons de gamètes (déjà parce que derrière ces dons, il y a des personnes et des histoires uniques).
Reste quelque chose qui est central, biologique même selon moi : la vérité des origines. J’insiste beaucoup là-dessus et là sera mon principal message à l’intention de vos lecteurs.
Personne n’ose parler véritablement de cela.
Le faisant, chacun aurait l’impression de toucher à la question même de la PMA, qui fait partie aujourd’hui des réalités humaines et de celles d’enfants, comme de leur famille.
Amour et vérité, ne font pas toujours bon ménage. Je continue toutefois à croire qu’on peut en parler, sans jugement, sans être pour ni contre, mais en conscience des enjeux, et en les accompagnant auprès des enfants, et déjà auprès des adultes concernés.
- Lors de « la Journée les enfants de la science 2020 », il y a eu une présentation sur « Profils des donneurs de spermatozoïdes avec ou sans enfants : l’expérience du CECOS de Cochin ». Il a été donné l’exemple d’un donneur de plus de 40 ans sans enfant et avec une bonne situation financière, qui espérait pouvoir transmettre un jour ses biens à une personne issue de son don. Comment expliquez-vous qu’un donneur puisse avoir envie de transmettre des biens à des personnes issues de son don ?
C’est très intéressant, car ces situations existent ; n’en déplaise à nos êtres qui ne peuvent que difficilement associer le mot « don » à autre chose que « amour », « altruisme », « aide », « ouverture », « modernité », « avancées, recherches et techniques ».
On veut croire que ce n’est qu’une avancée, un progrès, une évolution. Possiblement, mais pas toujours ; il faut le dire.
Il ne faut pas oublier « malheureusement » que partout où il y a de la détresse, il y a des volontaires pour aider « de bon cœur », mais aussi des volontaires pour flairer un business, une manne financière ou pour servir leur propre intérêt, surtout quand il y a de la détresse et un sentiment d’urgence.
Cela ne nous plait guère, mais pensons-nous sincèrement faire des choses dans nos existences « gratuitement », gracieusement, sans rechercher au fond un bénéfice qui nous reviendrait, même tout petit ? Cherchez, et si vous êtes honnête, vous trouverez, même si vous n’en aviez pas conscience quand vous l’avez fait.
Si vous me permettez, regardez à l’inverse ce que les receveurs, mués par un désir d’enfant qui ne les lâche pas et un manque si douloureux, sont capables de faire (même si avant que d’y être, ils n’auraient pas pensé pouvoir le vivre, le choisir).
Notre nature humaine est si complexe et pétrie d’ambivalences voire de confusions !
Aussi, un donneur pouvait être clair dans l’instant et à l’époque, mais la vie avançant, sa situation financière étant devenue florissante, il peut logiquement penser à éventuellement transmettre son patrimoine matériel à des enfants nés de son don, un peu « ses enfants » quelque-part …
En effet au moment de faire ou de recevoir un don, la conscience des êtres a telle forme, mais cette dernière peut évoluer pour moult raisons. L’existence avançant avec ses aléas, tout peut bouger ou pas d’ailleurs (et resté « mordicus » sur l’engagement de départ). Il en va aussi de la personnalité des individus.
Tout est possible. Sauf que le champ des possibles, personne ne peut le mesurer avant que d’y être en temps T et à mesure…
Donc oui, un donneur peut changer d’avis parce que sa vie a changé, en plus facile, plus difficile, plus confortable, plus entouré ou plus solitaire. En l’occurrence, dans votre exemple il s’agit d’un homme qui avance en âge et qui a accumulé un capital financier, mais ce pourrait être aussi un homme qui après son don, aura eu un enfant qui vient de décéder dans un accident, et qui va partir en quête d’un possible enfant qui de son côté pourrait le rechercher. Ce pourrait aussi être un homme dont le regard a changé sur la question, parce qu’il a vu une émission (où des enfants nés du don s’interrogeaient inlassablement, ne cherchant pas un père car ils en avaient un depuis, mais interpellant la vérité de leurs origines) et qu’il se sent d’ouvrir sa porte et de répondre aux questions de cet enfant devenu adulte, bien qu’il vive en couple et sans envie centrée sur lui mais sur sa responsabilité vis-à-vis de cet enfant né de sons don.
J’ai entendu suffisamment de ces situations pour oser dire qu’elles sont fantasmées ou exceptionnelles. Je ne me demande pas ce que je préfère, je dis ce que j’observe depuis presque 20 ans. Et je travaille suffisamment sur ces enjeux et ceux du désir d’enfant en général, pour ne pas souligner ces réalités dérangeantes.
- Dans le projet de loi bioéthique, il était prévu que les donneurs donnent au moment de leur don, leur consentement pour la levée de leur anonymat si la personne issue du don en fait la demande à sa majorité (c’est-à-dire environ 20 ans après le don). Le sénat a modifié le texte en préférant que le donneur donne son consentement sur la levée de son identité au moment où la personne issue du don fera sa demande. Avez-vous une opinion sur cette question de savoir quand le donneur devrait consentir à la levée de son anonymat ?
Je vais vous répondre avec une question. Pourquoi parle-t-on de levée de l’anonymat ? Avec quel but ? Déjà.
Mais après le pourquoi, posons-nous la question de pour qui on veut faire cela, dans l’intérêt de qui d’abord ?
Ma priorité va clairement à l’enfant qui n’est pas un adulte, dont on doit veiller à l’intérêt certes, mais surtout aux fondations de son être (dont son origine, en plus de sa biologie d’attachement, de son éducation et de ses besoins physiques et psycho-affectifs, entre autres).
Pensant à l’enfant et à son devenir comme à son potentiel questionnement (qui n’est pas non plus obligatoire ou fatal), pourquoi attendre qu’il le demande ? Faut-il déjà qu’on le lui ait dit et qu’il le sache, puis qu’il en fasse la demande, et enfin que le donneur lève le secret.
Pourquoi tant d’obstacles? Que de bâtons dans les roues d’une vérité !
A croire qu’il y aurait quelque chose d’inavouable…
Pourquoi tant de secrets, sur quelque chose qu’on cherche par ailleurs à banaliser (« en parler comme un banal don de sang » disait un professionnel travaillant en CECOS) ?
Je ne comprends pas bien le raisonnement, ou plutôt je comprends que nous les humains, ne sommes pas aussi clairs que nous voulons penser et le faire croire. Pas pleinement conscients du moins.
Ce raisonnement me fait d’ailleurs penser aux réalités des accouchements sous X, où ce sont les femmes et leur liberté qu’on protège en premier lieu (me rappelant que je suis une femme parmi les femmes) et les hommes cachés derrière leurs grossesses. Mais les bébés, je les rencontre à la maternité où je travaille depuis 15 ans, et j’en accueille d’autres, devenus grands, en cabinet. Ils ne sont pas que quelques-uns à souffrir du secret de leur naissance et de leurs origines.
Je constate qu’on questionne actuellement la levée de l’anonymat aussi pour eux, dès leur naissance. Alors je demande juste et tout en continuité, pourquoi pas dès le don, quand d’abandon à la naissance il ne sera pas question, mais de vérité sur leur procréation et leur patrimoine originel ?
Je pose la question et je veux bien en discuter, en débattre même.
- Que pensez-vous de l’actuel projet de loi de bioéthique ?
Vaste question encore. Je trouve déjà important que ce projet existe et que nous soyons dans un pays qui le permet, même s’il y a beaucoup à faire encore et surtout au regard des nouvelles procréations et parentalités qui ne cessent d’émerger.
La bio-éthique a plus que jamais de l’avenir !
Je ne suis pas du style à tirer sur l’ambulance, et quand je vois ce qui oppose violemment les uns aux autres, je me demande simplement qui trouvera force et courage de parler du cœur des choses. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai eu besoin plus qu’envie, d’écrire sur toutes ces questions.
Alors pour terminer, je regrette sincèrement qu’on ne mette pas les enseignements des situations maternelles, paternelles et infantiles du « sous X », au service des questions du secret (de don, de filiation, de naissance…) et de la GPA. J’ai la forte impression qu’on avance « tête-bêche » sans tirer les leçons de nos pourtant erreurs.
Donc ma pensée sur le projet, c’est qu’on avance sans recul sur des questions épineuses (sous couvert de modernité et d’ouverture d’esprit), et qu’on ne résout pas entretemps ce qui a précédé et qui appelle pourtant fort (tels les réalités du sous X), cette fois pour ménager des secrets cumulés, les susceptibilités et les virulences.
Je terminerai avec une sincère pensée pour tous ceux qui sont en parcours vers l’enfant et surtout dans des situations éprouvantes. J’en accompagne bon nombre depuis des années, et mes réponses sincères à vos questions, ne vont pas à leur encontre. Elles cohabitent avec la réalité des enfants que je reçois aussi, surtout au moment où ces derniers veulent devenir parents, et je ne pourrai décemment pas taire ce qu’ils vivent aussi.
Là est la réalité de la périnatalité : elle est si intense en tous points, qu’elle mène à un cocktail émotionnel souvent détonant. Et cela n’ira pas en décroissant à l’avenir, c’est certain !
Nous vous remercions pour toutes ces réponses