Interview du Dr Géraldine PORCU-BUISSON

Dr Géraldine PORCU-BUISSON

Le Dr Géraldine PORCU-BUISSON est gynécologue-obstétricien, spécialisée en médecine de la reproduction à l’IMR (Institut de Médecine de la Reproduction) à Marseille.

Elle est membre du conseil d’administration de la SMR (Société de Médecine de la Reproduction) et Présidente du GEFF (groupe d’étude de la fécondation in vitro en France)

Site Internet de la SMR : https://s-m-r.org/

Site internet du GEFF : https://geffprocreation.fr/

Site Internet de l’IMR : https://www.imrmarseille.com/

Interview

  • 1) Pouvez-vous présenter l’IMR de Marseille ?

L’IMR (Institut De médecine de la Reproduction) – Bouchard est le premier centre de procréation médicalement assistée dans la région PACA en termes d’activité, de grossesses obtenues et d’enfants nés. Il s’agit d’un Centre à activité Libérale essentiellement (Désigné comme centre privé à but lucratif dans tous les textes relatifs à la révision de la Loi de Bioéthique) Il existe depuis 1986 et était un Centre qui réalisait le don de sperme adhérent aux CECOS jusqu’en 2009 (changement de loi et interdiction aux Centres privés de réaliser le don malgré les très bons résultats et les taux de grossesses par paillette de sperme utilisée). Il détient une longue expérience du don.
Il est le seul Centre dans le quart Sud-Est à prendre en charge les couples séro discordants et a une activité de préservation de la fertilité depuis 1989 !

  • 2) Pouvez-vous présenter la SMR et le GEFF

La SMR (Société de Médecine de la Reproduction) existe depuis 1998 L’association a pour but de favoriser la recherche médicale et scientifique dans le domaine de la reproduction humaine.
Le GEFF (Groupe d’Etude de la fécondation in vitro en France) a pour mission de fédérer les cliniciens de l’AMP, afin de partager les pratiques, les connaissances, la législation, et d’être un porte-parole au niveau institutionnel.

Tous les membres du CA de ces deux sociétés sont très impliqués dans la révision de la Loi et ont donné beaucoup de leur temps afin de sensibiliser le ministère de la santé, les députés et les sénateurs sur notre quotidien et sur les modifications nécessaires pour que cette loi devienne applicable et moderne.

Nos objectifs sont de permettre la mise en place des avancées sociétales de la nouvelle loi de manière effective et pérenne. Notre souhait est que les patient(es) puissent rapidement et effectivement bénéficier de ces avancées.

  • 3) En 2017, la SMR a fait un sondage pour savoir s’il fallait autoriser les centres AMP privés à pratiquer le don de gamètes. Quelle est votre opinion sur le sujet ?

Comme je le disais en introduction en présentant l’IMR – Bouchard, je suis bien entendu favorable pour que TOUS les Centres publics et privés soient autorisés à pratiquer le don de gamètes.
Tout ce qui a pu être écrit concernant la « médecine marchande » (cf rapport Académie de Médecine 2017 – Etude d’Impact 2019) est très insultant pour tous les médecins qui ont un exercice libéral exclusif.
Les Centres privés réalisent actuellement la moitié des tentatives sur le territoire français.
Ne pas autoriser les Centres privés :

    Est inéquitable pour l’accessibilité aux soins et impose aux couples ou aux femmes une interruption des soins lorsque le bilan de fertilité débouche vers une autoconservation ou un don et ajoute un traumatisme supplémentaire
    Jette l’opprobre sur les professionnels du privé qui travaillent dans les mêmes exactes conditions d’éthique médicale, d’autorisation et de contrôle que les centres publics ou privé à but non lucratif ; rappelons de plus que l’activité privée pour ces mêmes activités est possible dans le cadre public hospitalier. C’est incohérent avec le remboursement actuel des patientes lorsqu’elles effectuent ce traitement dans les cliniques privées à l’étranger.

De plus, le service public est incapable de répondre à la demande en l’état actuel avec des délais qui dépassent 2 ans pour l’obtention d’un don d’ovocytes. Les femmes de plus de 40 ans ne sont plus inscrites sur les listes d’attente en France. Cet état va empirer avec l’évolution de la loi. La situation discriminatoire fondée sur l’âge et l’argent, obligeant ces patients à se rendre à l’étranger, s’aggravera davantage encore. D’autre part, la pression exercée sur les centres public pour ces activités réservées à ce secteur aurait comme conséquence d’obliger une partie des patients pris en charge actuellement dans le public à se déplacer vers le privé.

  • 4) Certains médecins craignent que le droit d’accès aux origines entraîne une baisse du nombre de donneurs. Partagez-vous ces inquiétudes ?

Lorsque dans les autres pays européens la levée de l’anonymat s’est imposée, il n’y a pas eu de pénurie de gamètes même si chaque pays a pu observer un infléchissement initial. Il y aura sans doute d’autres donneurs mais je reste persuadée que la pénurie n’est pas liée à la levée de l’anonymat mais plutôt à la volonté et aux moyens nécessaires pour toutes les équipes d’AMP afin de communiquer, d’informer et de sensibiliser tous les donneurs potentiels. Ils existent, il faut pouvoir les mobiliser.

  • 5) En 2017, la SMR a fait un sondage pour savoir s’il fallait indemniser financièrement les donneuses d’ovocytes. Quelle est votre opinion sur le sujet ?

Il est important d’avoir un raisonnement européen et non pas franco-français. Où et comment le don fonctionne-t-il correctement ? Nous savons que le traitement imposé aux donneuses est astreignant, le temps passé dans les centres pour la surveillance a aussi un coût.
Nous ne pouvons pas jurer que les donneuses en France n’ont pas été influencées par un dédommagement par les couples qui ont « apporté des donneuses » même si les équipes qui pratiquent le don sont très vigilantes sur ce point.
Correctement contrôlé, le dédommagement ne me choque pas. Il est évident que la donneuse ne doit pas faire plusieurs dons mais j’ai suffisamment confiance dans le système français pour imposer le contrôle. Il est dommage que les détracteurs des « Centres lucratifs » n’aient pas cette confiance.

  • 6) Les dons de spermatozoïdes reprennent doucement après une interruption de plusieurs mois liée au Coronavirus. À présent, tous les nouveaux donneurs subissent un test Covid-19. Le Coronavirus a commencé à circuler en France à la fin de l’année 2019 et il est donc potentiellement possible que des donneurs de spermatozoïdes atteints par la maladie aient fait un don. Selon vous, que faut-il faire des paillettes congelées provenant de dons de spermatozoïdes de décembre 2019 à mars 2020 ?

Cette question ne trouvera pas sa réponse actuellement. Il s’agit d’un travail de réflexion que font les CECOS, le GEDO et l’ensemble des Sociétés savantes sous la direction de l’Agence de Biomédecine pour trouver la meilleure réponse dans cette situation inédite.

  • 7) En 2017, la SMR a fait une enquête dont une question était « Êtes-vous pour limiter l’âge du père ? ». Quelle est votre opinion sur le sujet ?

A titre personnel, je ne suis pas choquée par l’âge du père. Cependant, cette question a été tranchée par le Conseil d’Etat en avril 2019 et il n’est pas possible, si l’on suit cette décision, de prendre en charge les couples dont l’homme a 60 ans révolus.
Il me paraît, à titre personnel plus raisonnable de discuter au cas par cas comme nous avions l’habitude de le faire dans notre centre. Cependant, devant des situations très difficiles dont certaines ont entraîné des assignations en justice, plusieurs professionnels ont préféré que l’âge soit imposé, ce qui peut aussi se comprendre.

  • 8) Que pensez-vous de la PMA post mortem ? Et que pensez-vous du don d’embryons post mortem (la veuve qui ne peut pas bénéficier de ses embryons du fait du décès du géniteur a la possibilité de les donner à d’autres couples qui sont en parcours AMP) ?

Le GEFF et la SMR sont très clairs sur ce point et je partage à 100% cet avis : Il faut permettre absolument pour la patiente devenue veuve d’obtenir le transfert du ou des embryons qui avaient un projet parental, après le respect d’une période de deuil et dans un délai maximal à fixer. En effet, cette situation qui est rarissime est effroyable et ne peut être résolue par le paradoxe entre la possibilité de donner un embryon à un autre couple et ne pas en bénéficier et, parallèlement, pour celle nouvellement veuve, bénéficier du don d’embryon d’un autre couple.
Ce paradoxe n’est pas acceptable d’autant plus avec la possibilité du recours aux origines : l’enfant pourra avoir accès aux données identifiantes, cette femme qui n’aura pas pu bénéficier du transfert rencontrera peut-être 18 ans plus tard cet enfant.

Je rappelle que le Conseil d’Etat avait aussi émis un avis favorable sur ce point.

  • 9) Que pensez-vous de l’actuel projet de loi de bioéthique ?

Si des avancées ont pu être obtenues après l’examen du projet de loi par les deux assemblées, il reste certains points de ce projet pour lesquels nous sommes en profond désaccord car ils sont inéquitables pour les patient(es), l’accès au soin et la médecine libérale.

En tant que médecins, praticiens de l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP), en première ligne dans l’accompagnement de nos patient(es), il nous paraît indispensable et urgent de prendre en considération le point de vue des professionnels, au même titre que celui des associations de patient(es), sur plusieurs aspects de cette loi.

Nos objectifs sont de permettre la mise en place des avancées sociétales de manière effective et pérenne. Notre souhait est que les patient(es) puissent rapidement et effectivement bénéficier de ces avancées.

Les praticiens de l’AMP, responsables de la prise en charge, seront les garants de l’exécution de la future loi et militent pour une offre de soins de qualité accessible à toutes les personnes sur l’ensemble du territoire, dans des délais raisonnables.

Dans l’Etat cette loi sera très difficilement applicable et pour certains points représente une régression.

Proches des patient(e)s et en accord avec les associations de patient(e)s qui portent ces mêmes revendications, nous affirmons que méconnaître notre expérience, notre quotidien, notre expertise, nos avis entraînera inexorablement un défaut des nouvelles et actuelles prises en charge des patients

Nous vous remercions pour toutes ces réponses