Saisine de l'affaire n° 2023-1053 QPC ce 7 avril 2023
➡️ https://t.co/NLIP7Qbjou pic.twitter.com/xDJexNC7UJ— Conseil constit (@Conseil_constit) April 7, 2023
La question transmise est la suivante :
« L’article 342-9 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, en ce qu’il exclut le droit pour les personnes issues d’un don de spermatozoïdes et n’ayant qu’un seul parent, à être adoptées par le donneur, est-il contraire au principe de liberté individuelle et au droit à une vie familiale normale ? »
1. Qu’est qu’une QPC ?
La Constitution française permet de garantir les droits fondamentaux des citoyens. Elle pose, par exemple, le principe de l’égalité des citoyens devant la loi, fait du suffrage universel la source de la légitimité politique et accorde à chacun le droit de faire entendre sa cause devant un tribunal indépendant.
La Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est un droit reconnu à toute personne de demander que soit contrôlé qu’une disposition législative est bien conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit. Pour prendre un exemple simple, la Constitution française prévoit en son article 66-1 que « nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Cela signifie que s’il était adopté une loi instaurant la peine de mort, une personne serait en droit de déposer une QPC afin que soit contrôlé si la loi respecte bien les droits et libertés que la Constitution garantit.
C’est le Conseil Constitutionnel qui est chargé de veiller à ce que les lois françaises soient conformes à la Constitution.
2. Est-ce utile que les lois respectent la Constitution française ?
Il est toujours souhaitable que les lois respectent les droits et libertés que la Constitution française garantit.
3. La loi bioéthique de 1994 et la question de la filiation
Jusqu’en 1994, la pratique du don de spermatozoïdes était peu encadrée et il n’y avait pas de loi spécifique en ce qui concerne la filiation des personnes issues d’une AMP avec tiers donneur, ce qui était dommageable pour les enfants. En cas de séparation du couple, il pouvait arriver que l’enfant s’entende dire de la part de sa mère : « Ton père n’est pas ton père » et que la filiation entre l’enfant et son père soit cassée au motif que l’homme n’est pas le père biologique de l’enfant.
C’est pour cette raison qu’a été introduit plusieurs articles de loi pour protéger la filiation entre l’enfant et son père même si celui-ci n’est pas le géniteur.
Lors de la première loi de bioéthique de 1994, la question d’un lien de filiation entre l’enfant et le donneur de spermatozoïdes ne pouvait pas se poser car la loi imposait que tous les enfants issus du don aient 2 parents et la loi imposait également l’anonymat absolu avec le donneur.
4. La loi bioéthique de 2021 et la question de la filiation
Comme dit précédemment, la question du lien de filiation entre l’enfant issu d’un don et le donneur ne se posait en 1994 pas pour 2 raison :
1) Le principe d’anonymat absolu du don de gamètes faisait que la personne issue du don et le donneur ne pouvaient pas se connaître
2) Les enfants qui naissaient grâce à un don avaient obligatoirement 2 parents avec lesquels le lien de filiation était établi dès leur naissance
La loi de bioéthique de 2021 a apporté les modifications suivantes :
1) « PMA pour toutes », ce qui signifie que les femmes célibataires ont à présent accès à l’AMP et leurs enfants n’ont qu’un seul lien de filiation
2) « Le droit d’accès aux origines », ce qui signifie que les personnes issues d’un don peuvent connaître l’identité du donneur
A noter qu’en plus du droit d’accès aux origines, il est également possible de retrouver le donneur grâce à des tests ADN. Cette pratique est théoriquement interdite mais dans la pratique, on peut la considérer comme tolérée puisqu’il n’y a jamais eu de poursuites.
Compte tenu de ces changements, la question du lien de filiation entre la personne issue du don et le donneur de spermatozoïdes se pose. Durant l’examen du projet de loi bioéthique, cette question a d’ailleurs été longuement traitée. Des parlementaires souhaitaient que si la personne issue d’un don établissait une relation très forte avec son donneur, qu’elle puisse faire établir un lien de filiation du fait que celui-ci est son géniteur. Ces demandes ont été rejetés, avec comme argument que si la personne issue du don et le donneur établissent une relation très forte, il leur faudra passer par l’adoption pour établir le lien de filiation.
Il a donc été expliqué durant les débats du projet de loi bioéthique que l’article 342-9 du code civil n’interdisait pas l’établissement d’un lien de filiation entre la personne issue du don et le donneur de spermatozoïdes au moyen d’une adoption et à ma connaissance, aucune association à l’époque ne s’en était offusquée ou émue.
5. Sur quoi porte la QPC déposée le 28 janvier 2023 ?
La QPC qui a été déposée le 27 février 2023 porte sur l’article 342-9 du code civil :
« En cas d’assistance médicale à la procréation nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation.
Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur. »
L’objet de cette QPC est de comprendre la signification de cet article de loi.
D’après le gouvernement et plusieurs juristes, la signification de cet article de loi est qu’il interdit l’établissement d’un lien de filiation entre la personne issue du don et le donneur, en invoquant le lien biologique qui existe entre les deux. Il est donc impossible d’établir le lien de filiation au moyen d’une recherche en paternité ou au moyen d’une reconnaissance de paternité. En revanche, il n’existerait aucun interdit pour faire établir un lien de filiation qui n’est pas fondé sur le lien biologique.
Cependant, d’après d’autres juristes, la signification de cet article de loi est qu’il est strictement impossible d’établir un lien de filiation entre la personne issue du don et le donneur.
Les deux camps ont des arguments solides pour défendre leur point de vue, ce qui fait qu’actuellement, il n’y a aucune certitude sur la signification de cet article de loi, ce qui est bien évidemment problématique. L’intérêt de la QPC est de lever cette incertitude sur la signification de l’article de loi.
6. Sur quoi ne porte pas la QPC déposée le 28 janvier 2023 ?
Une QPC peut servir à demander l’abrogation d’un article de loi au motif qu’il n’est pas conforme à la Constitution. Dans le cas présent, la QPC déposée ne demande pas l’abrogation de l’article mais demande que le Conseil Constitutionnel apporte des précisions sur son interprétation.
Il est vraiment important de comprendre que l’article de loi sera maintenu en l’état. Il existe un consensus sur le fait que cet article de loi est protecteur pour toutes les parties prenantes et qu’en conséquence, il faut le maintenir. Il est indispensable qu’aucun lien de filiation ne puisse être imposé au donneur ou à la personne issue du don au motif qu’il existerait un lien biologique.
Il est probable est qu’il n’ait jamais existé d’interdiction pour une personne issue d’un don, n’ayant qu’un seul lien de filiation avec sa mère et ayant établi une relation enfant-parent avec le donneur, de faire établir un lien de filiation avec le donneur au moyen d’une adoption. Pour connaître la volonté du législateur, il est toujours intéressant d’écouter les débats parlementaires et ceux de 1994 ne font jamais mention d’une volonté d’interdire les adoptions. Cependant, en supposant que le gouvernement soit dans l’erreur et que l’article de loi interdise l’établissement d’un lien de filiation au moyen d’une adoption, alors la QPC est destinée à supprimer cet interdit d’adoption tout en conservant la totalité des autres interdits qui permettent de protéger toutes les parties contre un lien de filiation qui serait imposé et non désiré.
7. Réponse à diverses inquiétudes
Comme cette QPC a été mal comprise, je vais essayer de répondre à diverses questions.
Question 1 : Je suis une femme célibataire et je viens d’avoir un enfant par AMP. Est-ce qu’avec votre QPC, il y a un risque que le donneur établisse un lien de filiation avec mon enfant mineur contre ma volonté ?
Réponse : Non. Avec la QPC, l’impossibilité d’établir un lien de filiation par reconnaissance de paternité est maintenue. Si le lien de filiation se fait par adoption, cela nécessite que ce soit la mère qui soit à l’origine de la demande. Il faudra aussi nécessairement que le donneur accepte, et enfin, que ce soit validé par un juge dans le cadre d’une procédure très encadrée.
Question 2 : Je suis un donneur de gamètes. Est-ce qu’avec votre QPC, il y a un risque que soit établi contre ma volonté, un lien de filiation avec une personne issue de mon don ?
Réponse : Non. Avec la QPC, l’impossibilité d’établir un lien de filiation par recherche en paternité est maintenue. Si le lien de filiation se fait par adoption, cela nécessite que le donneur soit consentant.
Question 3 : J’ai 13 ans et je suis issu d’une AMP avec tiers donneur. Est-ce qu’avec votre QPC, il y a un risque que le donneur établisse un lien de filiation avec moi contre ma volonté ?
Réponse : Non. Avec la QPC, l’impossibilité d’établir un lien de filiation par reconnaissance de paternité est maintenue. Si le lien de filiation se fait par adoption, cela nécessite que ce soit la mère qui soit à l’origine de la demande et il faudra de plus le consentement de la personne issue du don, ainsi que du donneur et enfin, d’un juge.
En effet, pour établir un lien de filiation qui n’est pas fondé sur la biologie, il faut respecter une procédure très encadrée. Il faut tout d’abord que toutes les parties concernées aient le désir d’établir le lien de filiation. Il faut aussi prouver qu’il existe une relation forte et durable entre l’adoptant et l’adopté. Tout ceci se fait dans le cadre d’une procédure encadrée par un juge spécialisé qui vérifie que les droits de toutes les parties sont bien respectées.
Question 4 : S’il n’y a pas d’interdiction d’établir un lien de filiation par adoption, est-ce que cela signifie que toutes les personnes issues d’un don auraient l’obligation de se faire adopter ?
Réponse : Non, en supprimant un interdit, cela offre une liberté supplémentaire sans créer la moindre obligation. Il faut bien comprendre qu’aucune démarche d’adoption n’est pas si toutes les parties prenantes n’expriment pas ce désir.
Il y a 10 ans de cela, des couples homosexuels s’étaient déclarés opposés au « mariage pour tous » au motif qu’ils n’avaient pas envie de se marier. Ces couples n’avaient pas compris que le fait d’offrir la liberté de se marier ne signifiait en aucune manière qu’il existait une obligation de se marier. Pour qu’un mariage se fasse, il faut nécessairement que les 2 membres du couple le désirent, et ce n’est donc pas quelque chose qui est imposé. Il en va de même pour le droit d’accès aux origines. Lors de l’examen du projet de loi bioéthique, des personnes issues d’un don se sont prononcées contre ce droit au motif qu’elles ne souhaitaient pas connaître l’identité du donneur. Cependant, il s’agissait d’un droit et non pas d’un obligation. D’ailleurs, sur les dizaines de milliers de personnes issues d’un don, seules 363 ont à ce jour faire une demande auprès de la CAPADD, ce qui montre que cette saisie de la CAPADD est une liberté et non pas une obligation.
Question 5 : Pourquoi la QPC ne porte que sur les personnes issues d’un don qui n’ont qu’un seul parent ? Pourquoi ne pas faire la même demande pour les personnes issues d’un don qui ont 2 parents ?
Réponse : La loi française prévoit qu’une personne ne puisse avoir que 2 parents, ce qui interdit donc l’adoption d’une personne ayant déjà 2 parents. L’article 342-10 du code civil précise bien : « Le consentement donné à une assistance médicale à la procréation interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation, à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de l’assistance médicale à la procréation ou que le consentement a été privé d’effet. » Pour qu’une personne qui a 2 parents puisse être adoptée, il faudrait qu’il puisse au préalable casser le lien de filiation qui l’unit à son parent non biologique, ce que n’autorise pas la loi. Il n’aurait été ni souhaitable, ni légalement possible de proposer une adoption pour des personnes issues d’un don ayant 2 parents. Le requérant ne voulant pas remettre en cause l’article 342-10 du code civil, n’a tout logiquement pas proposé que les personnes issues d’un don et ayant 2 parents, puissent solliciter l’établissement d’un lien de filiation avec leur donneur.
8. Est-ce que l’établissement d’un lien de filiation peut nuire à quelqu’un ?
Est-ce que la QPC peut avoir des conséquences négatives pour quelqu’un ? A priori, les seules personnes qui pourraient être pénalisées, ce seraient les héritiers de la personne qui adopte car cela aura pour conséquence de diminuer leur part d’héritage. L’avantage de la procédure d’adoption est que si quelqu’un estime être pénalisé par une adoption, il a la possibilité de se manifester et le juge en tiendra compte. Les personnes lésées ont même la possibilité de se plaindre après l’adoption car il est déjà arrivé que la justice annule des adoptions.
Nous avons la chance de vivre en France qui est un pays de liberté. La règle étant que par défaut, tout est autorisé à l’exception de ce qui est interdit. Pour inscrire un interdit dans la loi, il faut que celui-ci soit motivé car heureusement, il n’est pas possible d’interdire de manière arbitraire.
9. Est-ce qu’il faut s’attendre à un grand nombre d’établissement de liens de filiation ?
Non, cela devrait concerner un très restreint de personnes.
Pour que le lien de filiation puisse s’établir, il faut que toutes les conditions suivantes soient remplies :
– La personne issue du don n’ait qu’un seul lien de filiation
– La personne issue du don a recherché et retrouvé le donneur
– Une relation enfant-père doit s’établir entre la personne issue du don et le donneur
– La personne issue du don doit vouloir établir un lien de filiation et le donneur doit y consentir
– Dans le cadre de la procédure d’adoption, un juge doit étudier la demande et la valider
A l’étranger, il existe des exemples d’adoptions qui sont à l’origine de personnes issues d’un don, mais qui peuvent aussi provenir de la mère de l’enfant. Il faut cependant prendre en considération que la législation à l’étranger n’est pas la même qu’en France. Des législations à l’étranger permettent de choisir le donneur sur catalogue (physique, goût et centres d’intérêts, timbre de la voix, âge, etc.), ce qui fait que des femmes font le choix de choisir le donneur qui correspond à ce qu’elles considèrent comme l’homme idéal. Cela peut grandement expliquer pourquoi quand la mère parvient à retrouver le donneur, elle puisse tomber amoureuse de lui. La législation française ne permet pas de choisir le donneur sur catalogue, ce qui fait que si la mère parvient à retrouver le donneur de son enfant, la probabilité qu’elle tombe amoureuse de lui est plus faible.
10. Conséquences de la décision du Conseil Constitutionnel
Le Conseil Constitutionnel peut rendre trois décisions dans le cadre de la QPC
1) Le Conseil Constitutionnel peut considérer que le gouvernement a raison et que l’article de loi n’interdit en aucune façon l’établissement d’un lien de filiation par adoption. Dans cette hypothèse, la QPC sera rejetée compte tenu que l’interdit contesté n’a jamais existé.
2) Le Conseil Constitutionnel peut à l’inverse considérer que c’est le requérant qui a raison de dire qu’il existe une interdiction d’établir un lien de filiation par adoption. Dans cette hypothèse, le Conseil Constitutionnel devra dire si cette interdiction est conforme à la Constitution. Si ce n’est pas conforme à la Constitution, le Conseil Constitutionnel devrait simplement indiquer que l’article ne fait pas obstacle à une adoption. (Il faut bien comprendre que la QPC ne demande pas l’abrogation de l’article)
3) Le Conseil Constitutionnel peut enfin considérer que c’est le requérant qui a raison de dire qu’il existe une interdiction d’établir un lien de filiation par adoption. Dans l’hypothèse où le Conseil Constitutionnel estimerait que cette interdiction est conforme à la Constitution, la QPC serait simplement rejetée.
Quelle que soit la décision prise par le Conseil Constitutionnel, celle-ci me satisfera. En effet, l’objectif premier de la QPC est de connaître la signification de l’article de loi, et donc, peu importe que la décision rendue soit la 1), 2) ou 3).
11. Date d’audience de la QPC
L’audience s’est tenue le mardi 30 mai 2023.
12. Finalité de l’adoption ?
Contrairement à ce que certaines personnes peuvent croire, l’objectif n’est pas de donner un enfant à la personne qui adopte mais il s’agit de donner un parent à la personne qui est adoptée. Le juge en charge de l’adoption a pour mission de veiller que l’adoption soit bénéfique pour la personne adoptée.
Le juge dispose des compétences nécessaires pour permettre des adoptions même dans des situations rares et qui ne devraient normalement pas se produire. Par exemple, de la même façon qu’un donneur de spermatozoïdes n’a pas vocation à devenir le père d’une personne issue de son don, un grand-père n’a pas vocation à devenir le père de son petit fils, une sœur n’a pas vocation de devenir la mère de son frère, etc. Dans toutes ces situations, le juge doit se demander avant tout quel est l’intérêt de la personne susceptible d’être adoptée.
C’est ainsi que des grand-parents peuvent adopter leur petit fils (CA Lyon, 18 octobre 1983, RTD civ., 1984, p. 309, obs. Roger Nerson et Jacqueline Rubellin-Devichi).
C’est ainsi qu’une sœur peut adopter son frère (CA Paris, 10 février 1998, Juris-Data n° 1998-020403 ; JCP éd. G., 1998, II, 10130, p. 1431, note C).
Etc.
Il s’agit à chaque fois de décisions individuelles prises par le juge après avoir mené des investigations lui ayant permis de constater que l’adoption était bénéfique pour la personne adoptée. L’intérêt de la personne adoptée étant toujours la boussole à suivre pour prendre une décision d’adoption.
13. Date de la décision de la QPC
La décision sera rendue le vendredi 9 juin 2023.
14. La décision
Le Conseil Constitutionnel refuse de se prononcer sur le fait que la loi autorise ou non l’établissement d’un lien de filiation par adoption. La QPC n’aura donc pas permis de lever l’incertitude sur cette question.