L’article 342-9 du code civil est en vigueur depuis le 4 août 2021. Cela fait suite à la promulgation le 2 août 2021 de la nouvelle loi bioéthique.
La problématique est de savoir si les effets de cet article se limitent au Titre VII. Autrement dit, est-ce que l’article 342-9 du code civil interdit l’établissement d’un lien de filiation entre le donneur et l’enfant issu de son don par une adoption (Titre VIII).
2. Les exemples à l’étranger
A plusieurs reprises, dans des pays étrangers, il s’est posé de manière concrète la question du lien de filiation entre le donneur et la personne issue de son don. En effet, dans les pays qui autorisent l’AMP pour les femmes célibataires, et même si cela reste très exceptionnel, il peut arriver que des mères ayant bénéficié d’un don parviennent à retrouver le donneur de spermatozoïdes et à nouer une relation amoureuse avec lui.
Je vais essayer de résumer rapidement un exemple de situation s’étant produit en Australie. Un an après la naissance de sa fille issue d’une AMP avec tiers donneur, la mère parvient à retrouver le donneur et l’épouse. La femme mariée a ensuite de manière naturelle un autre enfant avec son mari. L’homme est le père social des 2 enfants, mais légalement, il n’est le père que de son deuxième enfant. Le couple souhaite que la filiation soit reconnue avec l’enfant issu du don, du fait que l’homme est son géniteur mais la législation ne le permet pas. L’homme envisage en dernier recours d’établir sa filiation grâce à une adoption, en indiquant qu’il trouve anormal de devoir adopter son enfant biologique.
(Télécharger un article PDF qui traite de cette situation en 2015)
3. Les débats au parlement
La nouvelle loi de bioéthique promulguée le 2 août 2021, donne le droit aux femmes célibataires de bénéficier d’une AMP avec tiers donneur. Les enfants qui seront issus de cette AMP auront donc une filiation avec un seul parent (leur mère). En théorie, le don est strictement anonyme mais dans le futur, les tests ADN pourraient permettre dès la naissance de l’enfant de découvrir l’identité du donneur. La loi de bioéthique instaure également un droit d’accès aux origines qui permet aux personnes majeures issues d’une AMP avec tiers donneur, de saisir une commission pour connaître l’identité du donneur.
La question de la filiation a été longuement abordée durant les débats de la loi bioéthique et à plusieurs reprises, les parlementaires se sont interrogés sur la possibilité d’établir un lien de filiation entre le donneur et la personne issue de son don. La députée Coralie Dubost qui était la rapporteure du texte a été très claire sur le fait qu’aucun lien de filiation ne pouvait être établit dans le cadre du titre VII, mais qu’en revanche, il était théoriquement possible d’établir la filiation dans le cadre du titre VIII (adoption).
Extrait de la commission spéciale en 3ème lecture.
Extrait de la séance plénière en 3ème lecture.
Extrait du compte rendu (télécharger le PDF) :
« Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je vous confirme qu’il n’y aura pas d’établissement de la filiation entre le donneur et l’enfant dans le cadre du titre VII du livre Ier du code civil. Théoriquement et juridiquement, il reste certes possible de l’établir dans le cadre du titre VIII. »
Les propos tenus durant l’élaboration des lois sont importants car en cas de doute, la justice peut s’y référer afin de déterminer l’intention du législateur.
4. Nouvelle situation d’établissement d’un lien de filiation
Depuis quelques années, les médias relatent des situations se passant à l’étranger, dans lesquelles un donneur a établi une relation père-enfant avec une personne issue de son don. Jusqu’à présent, ces situations ne concernaient que des personnes ne possédant qu’une filiation avec un seul parent (leur mère). Récemment, des médias ont rapporté une situation inédite avec une femme de 38 ans qui a été adoptée par le donneur alors qu’elle était née avec une filiation avec 2 parents.
(Télécharger un article PDF qui traite de cette situation)
Est-ce qu’une telle situation pourrait se produire en France ?
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Edit du 26 octobre 2021 : Une juriste que je remercie beaucoup m’a transmis son analyse.
Pour tenter de trancher le litige, nous pouvons raisonner par analogie. Il existe une autre interdiction d’établissement de la filiation dans le Code Civil : celle prescrite par l’article 310-2 du Code civil, qui prohibe l’établissement de la filiation à l’égard d’un parent lorsque la filiation est déjà établie à l’égard de l’autre et qu’il existe entre les deux parents un empêchement à mariage. Est ici visée la situation de l’inceste. Si un enfant naît par exemple de l’union incestueuse d’un frère et de sa sœur, et que le lien de filiation est établi à l’accouchement avec la mère, il ne peut y avoir établissement d’un lien de filiation avec le père. Cette interdiction de l’établissement de la filiation figure, comme celui de l’AMP, au titre VII du Code civil. Pourtant, un arrêt de la Cour de Cassation du 16 décembre 2020 a précisé que cette interdiction s’étendait à l’établissement par adoption (Cass. Civ. Ch civ 1, 16 décembre 2020, n°19-22.101).
Alors, certes l’article 310-2 précise qu’il est interdit d’établir la filiation par « quelque moyen que ce soit », alors que dans le cadre de l’AMP, l’article 342-9 du Code civil se contente de préciser « aucun lien de filiation ne peut être établi ». Mais cet « aucun » peut être interprété comme s’apparentant à l’expression par « quelque moyen ce que ce soit ». En effet, les rédacteurs de l’article 342-9 auraient pu se contenter d’écrire « un lien de filiation ne peut être établi ». Avec le terme « aucun », on peut considérer que l’interdiction d’établissement concerne tous les modes d’établissement de la filiation, y compris donc le mode adoptif. »
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Edit du 1er novembre 2021 : Quelques informations pour compléter l’article.
Le 20 octobre 2021, l’académie de médecine a organisé une journée sur la loi de bioéthique. Le Pr Catherine Guillemain (présidente des CECOS) a fait un exposé pour dire que depuis la promulgation de la loi, les CECOS recevaient des demandes venant de personnes issues d’un don disant : « j’aimerais savoir qui est mon vrai père ? »
A noter que la présidente des CECOS s’est également interrogée sur la place des donneurs avec la fin de l’anonymat. Cette question semble légitime quand on lit certains messages de personnes issues d’un don.
Let's be clear: donor conceived people deserve to not only know their biological origins, they deserve to grow with that family from the start. #australianstory
— Sarah Dingle 淑仪 (@sarahdingle_) November 1, 2021