Possible non respect des règles éthiques par des médecins réalisant des AMP avec tiers donneur ?

Grâce au développement des tests ADN, on commence à découvrir des manquements éthiques à l’étranger avec notamment des médecins qui prétendaient faire appel à des donneurs de spermatozoïdes anonymes alors qu’ils utilisaient en réalité leur propre sperme (exemple avec le Dr Bernard Norman Barwin).

La question que certains se posent, c’est si ces tests ADN permettront un jour de découvrir un scandale en France. (Article de l’AFP : « Fin de l’anonymat et possibles scandales : internet va-t-il bouleverser le don de sperme ? ». – Article au format PDF)

Je ne sais pas si on peut parler de scandale mais on peut noter qu’en France, les tests ADN ont permis de découvrir un certain nombre de mensonges de médecins. Des parents qui venaient d’avoir un deuxième enfant grâce à un don de spermatozoïdes avaient en effet interrogé le médecin du CECOS pour savoir si leurs deux enfants avaient été conçus avec le même donneur, et le médecin ne leur avait pas répondu la vérité. C’est l’association PMAnonyme qui parle de ce mensonge sur son site Internet.

La première loi de bioéthique date de 1994 et c’est elle qui a instauré les grands principes du don de gamètes. Ces règles en matière de don de gamètes reprenaient en très grande partie les règles édictées par les CECOS (anonymat, gratuité, etc.).

Une règle importante datant de la création des CECOS en 1973 était de limiter à 3 naissances par donneur. Cette stricte limitation était destinée à rassurer les bénéficiaires d’un don de gamètes, en leur expliquant que cette règle de 3 naissances au maximum par donneur permettait de réduire les risques de consanguinité.

Georges David qui a fondé le premier CECOS à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre a de nombreuses fois rappelé cette règle. (Je précise qu’en 1994, la loi autorisera jusqu’à 5 naissances et cela passera à 10 naissances à partir de 2004).

Cependant, Audrey Kermalvezen qui a été conçu en 1979 a fait un test ADN en 2017 qui lui a permis d’avoir l’assurance que son frère était né du même donneur qu’elle, et s’est découvert un demi-frère et une demi-sœur. Autrement dit, le CECOS a permis au minimum 4 naissances à partir du même donneur.

L’association PMAnonyme avait dit compter 5 demi-génétiques issus du même donneur au CECOS du Kremlin-Bicêtre.
compteur PMAnonyme

Grâce aux tests ADN, il semblerait très fortement que certaines règles édictées par les CECOS avant 1994 n’étaient pas respectées !

J’en profite pour signaler que quand les médias parlent des risques de consanguinité, ils ne font en général référence qu’aux personnes issues d’un don, en oubliant que les donneurs sont eux aussi concernés. En effet, jusqu’en 2011, les donneurs devaient avoir au moins un enfant. Je ne pense pas me tromper en disant que les donneurs n’aimeraient pas que leurs enfants se mettent en couple avec un demi-génétique.

Edit du 6 juillet 2020 : L’association PMAnonyme a publié sur son site Internet le témoignage d’une femme française issue d’un don de spermatozoïdes provenant normalement d’un donneur anonyme : Aujourd’hui je sais.

Grâce à un test ADN, cette femme a découvert que son donneur était le gynécologue et que celui-ci avait donc trompé sa mère.

Extrait temoignage

Dossier médical de suivi prénatal vs secret

Je vais traiter un sujet qui ne concerne pas directement les donneurs mais qui me tient particulièrement à cœur.

Le dossier médical prénatal

Le dossier de suivi prénatal d’un enfant correspond à toutes les informations médicales relatives au suivi de grossesse.

Que dit la loi ?

La loi (Article L1111-7 du code de la santé publique) prévoit que toute personne ait accès à l’ensemble des informations médicales le concernant, détenues par les professionnels de santé.

Le dossier médical de suivi prénatal d’un enfant est au nom de sa mère mais ce dossier médical appartient également à l’enfant devenu adulte. Cela signifie que dans le cadre d’une naissance classique, l’enfant devenu adulte a parfaitement le droit d’accéder à son dossier médical.

Cas particulier des nés sous X

Certaines femmes font le choix d’abandonner leur enfant à la naissance et de rester anonymes. Dans ce cas spécifique, l’équipe médicale avait initialement estimée que l’enfant devenu adulte n’avait pas le droit d’accéder à son dossier médical.

En 1999, un adulte né sous X a saisi la CADA et obtenu gain de cause. L’anonymat de la mère ne fait pas obstacle à la consultation de son dossier médical de naissance (voir l’avis n°19994271 du 6 janvier 2000 au format PDF).

Cas particulier des personnes issues d’un don

Quand une femme se rend dans un CECOS pour bénéficier d’une AMP/PMA avec don, il y a une création de dossier médical. Une fois que la femme est enceinte, le dossier médical va s’enrichir d’informations sur le suivi de la grossesse. A la naissance de l’enfant, les parents doivent renvoyer au CECOS un papier pour l’informer de la naissance de l’enfant (document contenant plusieurs données personnelles et médicales sur l’enfant).

Extrait de l arrêté du 30 juin 2017

L’état a instauré divers dispositifs qui protègent le secret du mode de conception de l’enfant. L’objectif étant que l’enfant ne dispose d’aucun moyen légal de connaître son mode de conception, et la décision d’informer ou non l’enfant qu’il est issu d’un don revient exclusivement à ses parents.

Exemple de secret

La question que je m’étais posée, c’est si un adulte issu d’un don avait le droit d’accéder à ses données personnelles et médicales se trouvant dans son dossier médical CECOS.

Ma démarche

Pour savoir si une personne issue d’un don avait le droit d’accéder à ses données personnelles et médicales contenues dans son dossier médical, j’ai décidé de saisir la CADA (la Commission d’accès aux documents administratifs).

Je tiens à vivement remercier Vincent Brès (président en 2018 de l’association PMAnonyme) qui m’a aidé à me mettre en relation avec une personne issue d’un don acceptant d’engager la saisie CADA. Bien évidemment, je remercie également cette personne pour sa précieuse aide.

Le refus de l’AP-HM date de juillet 2018, c’est à dire juste après l’entrée en application du RGPD qui prévoit que toute personne puisse accéder à ses données personnelle. Il existe une hiérarchie des normes et le droit européen l’emporte sur toute disposition contraire du droit national.

Cependant, la CADA a malheureusement estimée qu’à cause du secret du mode de conception, une personne issue d’un don n’avait pas le droit d’accéder à ses données personnelles et médicales se trouvant dans son dossier médical CECOS. En effet, seules les personnes issues d’un don disposent d’un dossier médical dans un CECOS. Compte tenu que la loi française instaure le secret du mode de conception, les médecins des CECOS n’ont pas le droit de donner à une personne issue d’un don ses données personnelles et médicales, puisque la simple existence de ce dossier médical serait de nature à confirmer à la personne qu’elle est bien issue d’un don.

Pour que la demande puisse aboutir, il faudrait donc que la personne issue d’un don puisse apporter une preuve légale qu’elle connaît son mode de conception. Comme les parents sont les seuls à pouvoir lever le secret du mode de conception, il faut que les parents fournissent un consentement à leur enfant pour que celui-ci accède à ses propres données personnelles et médicales se trouvant dans le dossier médical CECOS.

Extrait avis CADA janvier 2019

Consulter l’avis n°20183756 du 10 janvier 2019 de la CADA au format PDF

Conclusion

Cet avis de la CADA m’avait déçu car je trouve profondément choquant que le « secret » puisse priver des personnes de leur droit d’accès à leurs données personnelles et médicales. Une solution serait que la loi évolue afin de permettre aux personnes issues d’un don, d’avoir accès à un document officiel susceptible de les informer sur leur mode de conception. Grâce à un tel document, un adulte issu d’un don pourrait jouir de son droit de consulter son dossier médical CECOS sans avoir besoin de l’autorisation de ses parents.

Savoir si on est porteur d’une maladie héréditaire ?

Il peut arriver que des enfants issus d’un don soient atteints d’une maladie héréditaire. Si les parents en font la demande, des examens peuvent être réalisés afin de déterminer si cette maladie a été transmise par le parent biologique. Si les examens concluent que le parent biologique n’est pas responsable de la maladie de l’enfant, alors, il est possible que ce soit le donneur qui soit à l’origine de la maladie de l’enfant. La question qui se pose pour les médecins du CECOS est de savoir s’il faut recommander au donneur de réaliser des examens qui seront susceptibles de lui révéler s’il est porteur de la maladie génétique ?

Les CECOS disposent d’une commission éthique qui permet une réflexion collégiale afin de traiter de telles situations et déterminer ce qu’il convient de faire.

Je conseillerais aux donneurs qui savent s’ils veulent ou non être prévenus, de faire savoir leur souhait au CECOS où ils ont fait effectuer leur don.

Je vous propose de regarder un petit film qui montre la réflexion éthique au sein des CECOS. Une réunion de la Commission d’éthique de la Fédération Française des CECOS à l’Hôpital Cochin a été enregistrée en mai 2010. Il s’agit pour la commission de décider s’il faut ou non prévenir une donneuse qu’elle est potentiellement porteuse d’une maladie génétique. Il s’agit d’un film d’Ariane Poulantzas et produit par la Fédération Française des Cecos & Les Films Grain de Sable.

Je propose pour finir d’écouter Jean-François Guérin (président de la commission d’éthique des CECOS en 2015) et le Pr Wolf (chef de service de biologie de la reproduction et du CECOS de l’hôpital Cochin à Paris en 2015) évoquer cette situation.