Bientôt un droit d’accès aux origines en Belgique ?

Le Comité consultatif Bioéthique de Belgique a publié le 5 décembre 2022 un avis favorable pour l’instauration d’un droit d’accès aux origines pour les personnes issues d’une AMP avec tiers donneur.

Votre demande d’avis du 24 février 2022 relative à l’anonymat du don de sperme et à la révision de l’avis n°27 du 8 mars 2004

Monsieur le ministre,

Par votre lettre du 24 février 2022, vous avez en tant que Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique saisi le Comité consultatif de Bioéthique à propos du don de sperme. Vous demandiez de réviser l’avis n°27 émis par le Comité le 8 mars 2004.

Le présent avis par lettre est centré sur l’anonymat du donneur de gamètes. D’autres aspects, tels que la communication de la conception par donneur, ne sont abordés que lorsqu’ils sont pertinents pour l’anonymat. L’avis par lettre s’efforce surtout de tracer les grandes lignes, sans développer dans le détail l’ensemble des considérations éthiques et pratiques impliquées. Dans le présent avis, le terme « donneur » désigne les donneurs de sperme, d’ovules et d’embryons du circuit officiel (c’est-à-dire les banques et les centres de fertilité agréés).

Cadre général
Le débat sur l’anonymat est un sujet délicat où se confrontent des divergences de vue quant à la conception du lien parental et l’importance à accorder à ses composantes biologique, psychologique et sociale. La pratique actuelle du don de gamètes repose sur une conception de la parenté qui se fonde principalement sur l’intention et les liens sociaux et psychologiques établis avec l’enfant. A côté de cette position priorisant la dimension sociale et psychologique de la parenté existe une variété de positions qui reconnaissent, à différents degrés, la dimension génétique de la définition de la parenté et éventuellement de l’identité de la personne. L’on trouve ainsi à l’autre bout de ce continuum une conception de la parenté selon laquelle la dimension génétique prédomine et doit être reconnue socialement, si pas légalement, pour le bien-être de toute personne issue du don. Il semble néanmoins que la majorité des positions actuelles se situe entre ces deux extrêmes et reflète une volonté de reconnaître la dimension génétique de la parenté et de l’identité d’une façon ou d’une autre, par exemple simplement en informant l’enfant de son mode de conception par don ou bien en permettant aux personnes issues d’un don d’accéder à des données identifiantes sur leur donneur, sans que les liens sociaux ni légaux de leur parenté ne soient modifiés.

Points importants

Dévoilement du mode de conception

Le Comité estime que la décision de dire ou non à l’enfant qu’il a été conçu avec les gamètes d’un donneur doit revenir aux parents. Il faut veiller à ce que les parents soient suffisamment informés, et de façon neutre, des avantages et inconvénients des différentes options. Il est ainsi important de communiquer au donneur et aux receveurs les évolutions sociales et scientifiques récentes en la matière (telles que la possibilité de découvrir la filiation avec le donneur par un test génétique). Un accompagnement devrait être proposé aux parents qui souhaitent être aidés dans le cadre de cette décision.

Bien-être de l’enfant

Des études scientifiques réalisées sur les enfants nés grâce à un don de gamètes permettent de conclure que la connaissance de l’identité du donneur n’est pas indispensable pour le développement équilibré de ces enfants. Il ressort de dizaines d’études que le bien-être, le développement psychologique et la qualité des relations parent-enfant des enfants nés au moyen d’un don de gamètes ne diffèrent pas de ceux des enfants nés à partir du matériel génétique de leurs parents (Zanchettin et al., 2022). Les enfants qui ne sont pas au courant de leur origine par donneur s’en sortent tout aussi bien et ont une aussi bonne relation avec leurs parents que ceux qui le savent (Pennings, 2017). Par ailleurs, des études longitudinales ont été réalisées auprès d’enfants de couples lesbiens (jusqu’à l’âge de 18 ans) avec différents types de donneurs. Celles-ci révèlent qu’il n’existe aucune différence de développement psychologique entre les enfants qui ont eu un donneur anonyme, un donneur identifiable ou un donneur connu (Carone et al., 2021). Autrement dit, il n’existe aucune indication scientifique prouvant que l’absence d’informations sur l’origine génétique créerait des problèmes de construction identitaire chez l’enfant. La construction identitaire est d’ailleurs un processus très complexe qui s’étale sur une longue période. De nombreuses données peuvent constituer l’identité d’une personne et les gens font des choix et ont des besoins distincts en la matière. Les informations relatives à la filiation peuvent, mais ne doivent pas nécessairement être un élément de la perception que l’on a de soi.
Certains adultes nés d’un don de gamètes indiquent vouloir connaître le nom du donneur et entrer en contact avec celui-ci. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce souhait. Une grande partie de ces personnes souhaitent recevoir ces informations par curiosité, pour se faire une meilleure idée de leur origine ou pour pouvoir comprendre certains traits de leur personnalité. Elles ne considèrent pas que ces informations sont indispensables à leur bienêtre. Un certain nombre d’adultes, en revanche, déclarent subir un préjudice grave du fait de ne pas connaître l’identité du donneur. Ils éprouvent ce besoin parce qu’ils attachent énormément d’importance à la relation génétique pour la détermination de la parenté et de l’identité (Pennings, 2022). Il est difficile de connaître l’ampleur de ce groupe. Certaines personnes vont chercher à savoir, d’autres non. Sur les quelque 900 enfants nés d’un don et entre-temps devenus adultes en Suède (où l’anonymat a été levé en 1985), 7 % ont réclamé des informations sur le donneur (Lampic et al. 2022).

Politique à voies multiples

La législation belge actuelle impose l’anonymat du donneur, à l’exception du don connu où le donneur et le receveur se connaissent au moment du don.
Le Comité est favorable à la levée de l’anonymat obligatoire. Il n’y a pas suffisamment de motifs impérieux pour ne pas laisser cette décision aux personnes concernées. Au départ du processus, l’attention est ainsi placée aussi bien sur l’autonomie des parents d’intention que sur celle des donneurs. La procédure prônée par le Comité est qu’au début du traitement ou du don, une politique à voies multiples soit proposée. Tant le donneur que le receveur y ont trois options : anonyme (l’identité du donneur et du receveur n’est pas divulguée par l’hôpital), identifiable (l’identité du donneur peut être réclamée par l’enfant né du don à un certain âge) et connu (le donneur et le receveur se connaissent au moment du don). Cette politique à voies multiples est basée sur le principe qu’il relève de l’autonomie reproductive des parents de décider dans quelle mesure ils veulent impliquer le donneur dans leur famille. Le donneur jouit des mêmes possibilités en matière d’identifiabilité et de contact. Cet élément est essentiel au regard de sa décision de faire ou non un don. Chaque personne a la liberté de décider elle-même si les conditions d’un don sont acceptables. La concordance des souhaits des receveurs et des donneurs offre la meilleure garantie d’une collaboration harmonieuse. Ce choix est une convention que les parties sont censées respecter pendant une certaine période (voir plus loin) et sur laquelle elles peuvent aligner leurs autres choix (comme la révélation ou non à l’enfant). Comme dans toute procréation, les intérêts supposés de l’enfant ne peuvent qu’être portés par ses parents : aucun enfant n’est jamais consulté sur sa conception, ni sur les circonstances dans lesquelles il est né. Dans une politique à voies multiples, l’enfant n’a pas un droit en tant que tel de connaître son origine génétique. Un tel droit devrait être fondé sur un intérêt supérieur de l’enfant et cet intérêt n’a pas été démontré jusqu’à présent. En outre, l’intérêt de l’enfant doit toujours être mis en balance avec les intérêts des autres parties concernées. Les parents sont en principe les mieux placés pour déterminer les conditions offrant la plus grande garantie pour le bienêtre de leur (futur) enfant. Des conseils non directifs doivent permettre aux parties prenantes de prendre une décision mûrement réfléchie au sujet des options.
Offrir ces options devrait également permettre aux personnes concernées de voir leurs valeurs et leurs choix reflétés dans la pratique du circuit officiel. En effet, les recherches montrent que les donneurs et les receveurs se tournent en grand nombre vers les médias sociaux et les sites internet permettant de mettre en contact des donneurs et des receveurs parce qu’ils sont en désaccord avec les règles imposées dans le circuit officiel. Cette évolution présente plusieurs risques (Pennings, sous presse).
Les donneurs et les receveurs doivent par ailleurs être informés dès le départ du fait que l’anonymat ne peut plus être garanti. Tout individu peut envoyer un échantillon de salive à une entreprise qui effectue des analyses ADN et découvrir de nombreux parents génétiques (même si ces personnes n’ont jamais donné d’ADN pour un tel test) par le biais de grandes bases de données génétiques. Ils peuvent dès lors tenir compte de cette donnée dans leur décision de participer ou non au don et dans leur choix quant à l’anonymat / la possibilité d’identification / être donneur connu au moment du don. Cette évolution ne change fondamentalement rien à l’objectif proprement dit de ce choix, à savoir indiquer dans quelle mesure les parents et le donneur souhaitent avoir des contacts et échanger des informations entre eux et avec l’enfant.

Gestion des données et soutien aux parties prenantes

Le choix opéré par le donneur et le(s) receveur(s) au moment du don peut être revu ultérieurement si une demande est formulée par un enfant né d’un don, à un âge qui pourrait être fixé à 16 ou 18 ans. Cette possibilité peut se justifier par le fait que l’enfant est devenu, entre-temps, autonome et peut désormais remettre en question le choix de ses parents. Il devrait donc, à l’âge où il a atteint la maturité suffisante, être en mesure de poser la question au donneur lui-même. Vu la longueur de la période intermédiaire, il est possible qu’un donneur ayant initialement opté pour l’anonymat ait changé d’avis ou que les circonstances aient tellement changé que la décision antérieure doive être revue. Le donneur doit être informé de la possibilité de ce contact ultérieur au moment du don.
L’enfant peut, à partir de l’âge prévu et s’il le souhaite, demander au donneur s’il est prêt à échanger des informations et ce, par l’intermédiaire du centre de fertilité où a eu lieu le traitement. Le centre de fertilité doit dans ce cas contacter le donneur, en toute discrétion afin d’éviter que l’entourage de ce dernier soit accidentellement informé du don par le biais de cette démarche. Le donneur et l’enfant (avec le centre de fertilité jouant éventuellement le rôle de médiateur) discutent de la quantité et du type d’informations supplémentaires qu’ils souhaitent partager l’un avec l’autre et de l’éventualité d’un contact personnel direct. Un accompagnement dans ce processus doit être proposé par le centre de fertilité, sans être obligatoire pour les parties impliquées. Aucune décision unilatérale ne peut être prise ou imposée en la matière. En d’autres termes, l’anonymat des parties ne peut être levé sans leur autorisation.
Le Comité estime en outre que tous les enfants issus d’un don et qui le souhaitent doivent pouvoir accéder à des informations non identifiantes sur le donneur, quel que soit le type de donneur. L’enfant doit pouvoir demander ces informations (fournies par le donneur au moment du don, c’est ce qu’on appelle le profil du donneur) au centre de fertilité ou à une base de données centrale.
La question relative à l’identifiabilité n’a aucun rapport avec l’accès aux informations médicogénétiques. Si des experts estiment que l’obtention d’informations génétiques sur le donneur est importante pour la santé de l’enfant, cela peut être réalisé sans révéler l’identité du donneur à l’enfant ou aux receveurs. L’échange de ces informations est normalement organisé entre les médecins traitants ou les hôpitaux.

Adaptations légales

Le Comité estime qu’une politique à voies multiples implique deux nouvelles tâches.
La première tâche consiste à conserver les informations sur les parties prenantes et leurs choix pendant une période suffisamment longue. Le Comité propose à cette fin de créer une banque de données centrale avec les données des parties concernées. La principale raison est que les personnes nées d’un don de gamètes disposeront ainsi d’un point central pour réclamer des informations si elles ne savent pas dans quel centre leur mère ou leurs parents ont suivi le traitement. Une base de données centrale constitue également une meilleure garantie de conservation des données au cas où un centre de fertilité fermerait ses portes. La deuxième tâche consiste à soutenir les parties concernées dans leurs interactions lorsqu’elles en ressentent le besoin. Le Comité propose de confier cette tâche aux centres de fertilité. L’attribution de cette tâche aux centres de fertilité a pour avantage que l’expertise nécessaire y est présente et que le donneur et le(s) receveur(s) sont déjà familiarisés avec le centre dans lequel ils ont fait leur don ou ont bénéficié d’un traitement. Il faudrait établir un cadre légal qui décrive ces deux tâches et règle les modalités de l’échange d’informations entre les parties concernées.

Conclusion

Aucune solution ne peut répondre pleinement aux attentes, besoins et désirs de toutes les parties impliquées. Dans cette matière complexe, il faut trouver un juste milieu. Le Comité estime que celui-ci peut résider dans une politique à voies multiples, en y ajoutant la possibilité pour la personne née par un don anonyme de gamètes de solliciter du donneur, à l’âge adulte, des informations supplémentaires et/ou un contact personnel et ce, par l’intermédiaire du centre de fertilité.