Franck Ramus est directeur de recherches au CNRS. Il travaille au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique, Département d’Etudes Cognitives, Ecole Normale Supérieure à Paris, au sein duquel il dirige l’équipe « Développement cognitif et pathologie ».
Il est également co-directeur du Master en Sciences Cognitives (ENS, EHESS, Université de Paris), et membre du Conseil Scientifique de l’Education Nationale.
Ses recherches portent sur le développement cognitif de l’enfant, ses troubles (dyslexie développementale, trouble spécifique du langage, autisme), ses bases cognitives et cérébrales, et ses déterminants génétiques et environnementaux.
Blog Ramus méninges : http://www.scilogs.fr/ramus-meninges/
Site Internet : https://lscp.dec.ens.fr/fr/member/663/franck-ramus
Page Youtube : https://www.youtube.com/playlist?list=PLuM_FOFR0-2Ttioy4G6C62FjbLZfwRryX
Il est également membre du Collectif FakeMed (https://www.fakemed.org)
Interview
- 1) Selon une députée, le fait pour les personnes issues d’une AMP avec tiers donneur d’avoir des informations sur le donneur, leur permettra de comprendre pourquoi elles sont douées ou mauvaises en mathématiques ou au football (voir notre article Bosse des mathématiques, Innée ou acquise ?). Dans quelle proportion les actuelles connaissances de la science permettent de dire que cette déclaration est exacte/fausse ?
Cela me parait être une extrapolation extrêmement naïve des connaissances en génétique.
Il est vrai que la plupart de nos capacités cognitives, de nos traits de personnalité, de nos comportements, sont influencés par nos gènes. Et il est vrai que ces facteurs génétiques sont en partie responsables des ressemblances entre apparentés. De là à en déduire qu’une caractéristique d’un parent « explique » une caractéristique d’un enfant, il y a un fossé qu’on ne peut pas franchir, pour plusieurs raisons :
Bref, du seul fait que deux apparentés aient une caractéristique commune, on ne peut pas conclure grand-chose.
- 2) Selon des scientifiques, un choc psychologique peut être inscrit dans notre patrimoine génétique. Selon ces scientifiques, il est donc possible de transmettre par les gènes nos traumatismes à nos enfants. Selon un sondage IFOP, une courte majorité de français croît à cette transmission génétique des traumatismes. Est-ce que cette transmission par les gènes des traumatismes fait consensus au sein de la communauté scientifique ?
Il s’agit d’un sujet de recherche très nouveau et très pointu, sur lequel aucune conclusion définitive n’est possible.
On sait que certains facteurs environnementaux peuvent laisser une trace, non dans le patrimoine génétique, mais sur des molécules qui gravitent sur ou autour du génome, et qui influencent son expression. Et l’on sait que ces molécules peuvent parfois être transmises au cours de la reproduction. On parle de transmission épigénétique.
Ces effets ont été bien documentés chez certaines espèces de plantes, de vers et de mouches, pour certains facteurs particuliers. Chez les mammifères, ces effets sont plus controversés. Des études suggèrent de tels effets chez différentes espèces de rongeurs, pour des facteurs tels que le régime alimentaire ou certains traumatismes. Chez l’humain, aucune preuve convaincante de transmission épigénétique n’a à ce jour été apportée. Il n’y a en tous cas aucun consensus scientifique sur le sujet.
Indépendamment de cela, certains psychanalystes et psychogénéalogistes ont de longue date spéculé que certains événements vécus par les individus pourraient avoir un effet distant et mystérieux sur le psychisme de leurs descendants (enfants, petits-enfants ou même au-delà). Ils n’ont apporté ni la preuve d’une telle transmission, ni le mécanisme, ni même la moindre hypothèse plausible. Ces idées n’ont pas le moindre fondement scientifique, et relèvent plutôt de la pensée magique.
Certains ont pourtant cru bon de faire un rapprochement entre les deux hypothèses, celle d’une transmission psychique intergénérationnelle, et celle d’une transmission épigénétique, cette dernière étant censée conforter la première en lui fournissant un mécanisme biologique. Ni l’une ni l’autre n’ayant été prouvée, il s’agit de pures spéculations sans fondement.
Ce que me semblent révéler ces deux questions, c’est que beaucoup de gens veulent mieux connaître leurs origines, et espèrent que cela les aidera à comprendre pourquoi ils sont comme ils sont, et quelle est la cause de leurs problèmes (ou de leurs talents).
Bien sûr, il est parfaitement légitime de vouloir connaître ses origines. Cela intéresse la plupart des gens, pas seulement ceux issus d’une AMP. Beaucoup de gens font de la généalogie et c’est extrêmement intéressant.
Le problème n’est pas de chercher à connaître ses origines, mais de croire que cela va permettre de mieux se comprendre et de résoudre ses problèmes. Cet espoir est alimenté justement par des psychanalystes et des psychogénéalogistes avec leurs théories transgénérationnelles invraisemblables. Par exemple, ils peuvent vous faire croire que la cause profonde de votre anxiété ou de votre dépression est à chercher dans un traumatisme vécu par votre grand-mère dont vous n’avez jamais rien su ! Et que cette « révélation » pourrait vous aider. On est vraiment à la frontière du charlatanisme.
L’honnêteté oblige à dire qu’aucune connaissance scientifique ne permet d’expliquer pourquoi une personne est telle qu’elle est, unique et différente de toutes les autres. Les connaissances scientifiques permettent de dire qu’au sein d’une population, tel facteur génétique ou tel facteur environnemental a tel effet en moyenne sur telle caractéristique. Mais elles ne peuvent rien dire de concret sur un individu particulier.
Vous pouvez savoir tout ce que vous voulez sur vos ascendants et sur leurs caractéristiques, vous pouvez repérer des points communs et vous raconter une histoire à partir de là. Mais il faut être conscient que c’est juste une histoire, qui peut être vraie comme elle peut être fausse. Vous ne pourrez jamais avoir la certitude qu’une ressemblance avec un ascendant vous a été transmise par cette personne, plutôt que d’être le fruit du hasard. Et quand bien même vous sauriez que cette ressemblance vous a été transmise, vous ne pourriez pas savoir si elle vous a été transmise génétiquement, épigénétiquement, ou via l’environnement (hors cas de mutation connue identifiée à la fois chez l’ascendant et le descendant).
Par conséquent, il me semble qu’il faut reconnaître la légitimité des demandes sur les origines, mais il n’y a pas non plus lieu d’en faire un droit fondamental. Parfois on ne peut pas connaître ses origines (pour plein de raisons possibles), c’est comme ça, il faut vivre avec (et on peut vivre avec sans en faire une obsession). Il serait scientifiquement injustifié de prétendre que les personnes qui n’ont pas accès à leurs origines subissent un grand préjudice, sous prétexte qu’elles seraient dans l’incapacité de comprendre pourquoi elles sont comme elles sont et quelle est la cause de leurs problèmes. Connaître leurs origines ne les aiderait vraisemblablement pas à résoudre leurs problèmes.
- 3) Grâce aux tests ADN, des personnes issues d’un don sont parvenues à retrouver des demi-génétiques (personnes issues du même donneur et qui sont donc apparentées au 2ème degré) ou le donneur. Certaines de ces personnes disent s’être découvert de très nombreux points communs avec leurs demi-génétiques ou avec le donneur (mêmes postures, mêmes goûts et centres d’intérêts, mêmes traits de caractère, même personnalité, etc.). Est-ce qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, on peut considérer que ces similitudes sont liées au fait que ces personnes partagent un ADN commun ?
Il y a eu des études sur des jumeaux séparés à la naissance puis étudiés bien plus tard. Les jumeaux monozygotes (génétiquement identiques) montraient souvent des ressemblances frappantes dans bien des caractéristiques cognitives et comportementales, suggérant un rôle génétique dans l’émergence de ces caractéristiques. Les jumeaux dizygotes et les frères et sœurs (apparentés au 1er degré ne partageant que 50% de leurs allèles en moyenne) se ressemblaient beaucoup moins. Et les apparentés au 2ème degré (demi-frères et sœurs, cousins, partageant 25% de leurs allèles en moyenne) se ressemblent encore moins (quoique tout de même un peu plus que des individus non reliés).
Par conséquent, à moins d’avoir retrouvé un jumeau monozygote, il faut se garder de sur-interpréter les ressemblances que l’on peut avoir avec ses apparentés, notamment pour les raisons que j’ai indiquées plus haut. Elles peuvent tout à fait être le fruit d’environnements similaires ou du hasard.
En fait, si l’on cherche un peu, il est facile de se trouver des points communs avec une autre personne, même si elle ne nous est pas génétiquement reliée. Cela peut être aussi facilité par l’effet Forer (le fait d’avoir l’impression de se reconnaître dans n’importe quel profil psychologique ou thème astral). Cette ressemblance « par hasard » devrait être la base de comparaison à laquelle devrait se référer toute ressemblance perçue entre apparentés. Mais évidemment personne ne fait une telle expérience.
Enfin, gardons à l’esprit que les apparentés qui se trouvent des ressemblances frappantes en parlent, alors que ceux qui n’en trouvent pas n’en parlent pas. Ce genre de témoignage n’a donc aucune valeur statistique, il biaise au contraire notre représentation. Il ne s’agit pas de dire que de telles ressemblances entre apparentés n’existent pas : elles existent, sans aucun doute, mais moins que le laissent supposer les témoignages, et il est impossible de savoir lesquelles reflètent des facteurs génétiques communs, et lesquelles reflètent des facteurs environnementaux ou du hasard.
- 4) Pensez-vous que certains aspects du film « Bienvenue à Gattaca » pourraient un jour devenir réalité ?
Ce qui sera certainement possible, c’est d’éliminer du génome une partie des mutations délétères qui provoquent des maladies connues. Cela se fait déjà dans une certaine mesure par sélection pré-implantatoire ou par interruption médicale de grossesse, pour des maladies génétiques graves et incurables. Même s’il faut être conscient que ce n’est jamais que temporaire, de nouvelles mutations survenant à chaque génération.
En revanche, il parait beaucoup plus hasardeux (voire impossible) d’optimiser le génome pour des caractéristiques complexes comme l’intelligence ou la personnalité, car les allèles en question ont des effets minuscules, peuvent interagir les uns avec les autres, et peuvent avoir des effets sur de nombreuses caractéristiques. A l’heure actuelle, je ne saurais même pas dire si c’est faisable en principe. Et si c’était faisable en principe, il est loin d’être certain que ce soit faisable en pratique.
Bref, personnellement, je ne me fierais pas à ce genre de promesses. Symétriquement, il ne me parait pas très crédible d’agiter ce genre d’épouvantail pour faire peur aux gens avec la génétique.
Bien évidemment, j’ai répondu uniquement à la question de la faisabilité, qui est une question scientifique et technique. Savoir si c’est souhaitable est une question totalement indépendante, qui n’est pas de nature scientifique. C’est à la la société de décider ce qu’elle accepte, ce qu’elle souhaite, et ce qu’elle préfère interdire, parmi toutes les choses qui sont faisables.
Nous vous remercions pour toutes ces réponses