Interview du Dr Anne MAYEUR LE BRAS

Dr Anne MAYEUR LE BRAS

Le docteur Anne MAYEUR LE BRAS mène un travail sur le don d’ovocytes et sur la technique du transfert de pronoyaux (voir notre publication article « Enquête sur le don d’ovocytes »). Nous pensons beaucoup de bien de la technique du transfert de pronoyaux qui selon nous, représenterait un réel progrès pour les femmes infertiles, leurs enfants, ainsi que les donneuses d’ovocytes favorables à un strict anonymat du don. Nous vous invitons à regarder la vidéo qui suit, puis à répondre au questionnaire de l’enquête.

Lien vers l’enquête : https://form.dragnsurvey.com/survey/r/bb8af67c

Lien vers le centre AMP de l’hôpital Antoine-Béclère : http://hopital-antoine-beclere.aphp.fr/assistance-medicale-a-la-procreation/

Interview

Tout d’abord je tiens à vous remercier de l’opportunité d’avoir une tribune d’expression autour de cette double thématique : le don d’ovocytes et le transfert de pronoyaux.

  • 1) Pouvez-vous nous présenter rapidement l’activité AMP de l’hôpital Antoine-Béclère ?
Le centre d’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) de l’hôpital Antoine-Béclère existe depuis 1978. Ce centre comprend deux services travaillant en étroite collaboration le service de médecine de la Reproduction (Pr M. Grynberg) et le service de Biologie de la Reproduction-CECOS (Pr N. Achour-Frydman) dans lequel je travaille. Nous prenons en charge les couples infertiles et effectuons toutes les techniques d’AMP en intraconjugual et avec don (don d’ovocytes ou don de sperme). Actuellement, le centre n’effectue pas de recrutement de donneurs de sperme, mais il faudra le développer au vu de la future loi de Bioéthique. Nous recevons également des femmes et hommes dans le cadre de la préservation de la fertilité, pour lesquels(les) une conservation de leurs gamètes est nécessaire avant prise en charge d’une maladie dont le traitement pourra altérer leur fertilité. Enfin, notre centre est l’un des cinq centres français autorisé pour la pratique du Diagnostic Génétique Préimplantatoire (DPI). Cette technique particulière concerne les couples ayant un risque de transmettre une maladie génétique d’une particulière gravité. Au total, l’ensemble de ces activités représente plus de 1000 ponctions par an.

  • 2) Pouvez-vous nous parler de votre enquête sur le don d’ovocytes ?
Ce projet est né d’une rencontre entre la Biologie de la Reproduction et la Génétique (Pr Julie Steffann, Laboratoire de Génétique, Hôpital Necker). Dans notre activité de DPI, nous prenons en charge des patientes porteuses de maladies mitochondriales c’est-à-dire de maladies transmises par les mitochondries mutées (malades). Les mitochondries sont présentes dans le cytoplasme de l’ovocyte. Nous avons donc couplé notre expertise dans la micromanipulation des embryons à l’expérience du Pr Steffann dans le diagnostic génétique de ces maladies puisqu’elle a développé et réalisé les premiers Diagnostics Prénataux et Préimplantatoires pour ces couples. Ainsi, est né notre projet de recherche sur l’embryon humain autorisé par l’Agence de Biomédecine en 2016. Dans le cadre de ce projet nous nous appliquons à mettre au point la technique du transfert de pronoyaux et surtout d’investiguer les conséquences éventuelles de ces manipulations tant sur le développement embryonnaire que sur l’intégrité génétique de l’embryon issu de ce transfert. L’élaboration de la nouvelle loi de bioéthique va ouvrir un nouveau droit aux enfants issus du don : l’accès à leurs origines et la révélation à leur majorité de l’identité du donneur ou de la donneuse de gamètes. Ce changement nous a conduit à nous interroger sur l’applicabilité du transfert de pronoyaux au don d’ovocytes. La France manque indéniablement de donneuse d’ovocytes avec comme conséquence un temps d’attente pour les couples receveurs d’en moyenne 2 ans. Ce temps est indiscutablement très long. Nous nous sommes alors demandés les raisons d’une telle pénurie de donneuse ? Et plus précisément qu’elle était la place du lien génétique donneuse – enfant issu du don dans ces raisons ? Nos interrogations étaient les suivantes : les donneuses seraient elle plus enclines à donner leurs ovocytes en sachant qu’elles ne transmettraient pas leur patrimoine génétique et parallèlement une receveuse serait-elle plus encline à recevoir si l’enfant issu du don de cytoplasme était son enfant biologique ? Via le transfert de pronoyaux, seul l’enveloppe ou cytoplasme de l’ovocyte de la donneuse serait utilisé, le lien génétique receveuse – enfant au sens propre du terme et le retour aux données nominatives de la donneuse n’auraient plus lieu d’être ou tout du moins soulèverait certainement moins d’interrogations pour l’enfant issu de ce don. Je tiens juste à préciser, que l’enveloppe de l’ovocyte (cytoplasme) contient des mitochondries possédant leur ADN propre qui ne comprend qu’une trentaine de gènes impliqués dans le métabolisme énergétique de la cellule. Rapporté au 24 000 gènes du noyau de l’ovocyte codant pour des caractéristiques individuelles, il est considéré que l’ADN mitochondrial n’est pas impliqué dans la transmission génétique au sens consensuel du terme c’est-à-dire dans la transmission de traits ou caractéristiques humaines.

  • 3) Combien de femmes en France sont atteintes d’un problème d’infertilité à cause d’un cytoplasme malade ?
Les problèmes d’infertilité causée par un cytoplasme malade correspondent à un ensemble de maladies appelées pathologies mitochondriales. Les maladies mitochondriales regroupent une grande variété de pathologies avec une incidence de 1/5000 naissances. Ces maladies entrainent des symptômes graves et il n’y a actuellement pas de traitement. Le traitement est essentiellement symptomatique et ne modifie pas de façon significative l’évolution de la maladie.

  • 4) Est-ce que l’actuelle loi française interdit la pratique du transfert de pronoyaux ?
Actuellement, la loi française (loi de bioéthique) interdit la pratique du transfert de pronoyaux. Il convient de préciser que le transfert de pronoyaux s’inclut dans une méthode globale appelée « remplacement des mitochondries » (mitochondrial replacement therapy). Le remplacement mitochondrial consiste à transférer le génome nucléaire de l’ovocyte d’une femme dans un ovocyte énucléé d’une donneuse. Cette opération peut être réalisée avant la fécondation et l’on parle de transfert du noyau de l’ovocyte ou après la fécondation et l’on parle de transfert de pronoyaux (noyau de l’ovocyte et noyau du spermatozoïde). Internationalement, le Royaume-Uni a été le premier pays à autoriser éthiquement et légalement le remplacement de mitochondries en 2015. La clinique qui effectue cette technique (Newcaslte Fertiliy Clinic) a par la suite reçu son agrément en 2017. Les Etats-Unis ont autorisé éthiquement cette technique en 2016 mais légalement la FDA (Food Drug Administration) a banni la poursuite de ce projet. La première naissance a été obtenue en 2016 par le Pr John Zhang au Mexique puis il est parti travaillé en Ukraine (Nadiya Clinic, Ukraine).

  • 5) Pouvez-vous nous expliquer pourquoi la loi française interdit cette pratique ?
Pour répondre à cette question il faut rappeler que la loi de bioéthique Française a autorisé le DPI en 1994 (décret d’application en 1999) pour les couples à risque de transmettre une maladie d’une particulière gravité. Cette technique nécessite le prélèvement de cellules à l’intérieur de l’embryon afin de les analyser génétiquement pour la pathologie en cause. Cette autorisation éthique et légale a été un grand pas en avant puisque pendant longtemps le DPI a été considéré par certains comme une pratique eugéniste. De plus, du fait que nous touchions à l’intégrité cellulaire de l’embryon posait problème. Actuellement le dépistage des trisomies ou monosomies non viables dans ces embryons n’est pas possible. Cela parait aberrant d’implanter un embryon sain pour une pathologie génétique grave mais potentiellement porteurs d’une trisomie ou monosomie et pourtant le législateur n’est pas encore prêt à changer la loi pour l’ajout d’un diagnostic qui peut paraitre sans doute logique. A côté de cela le transfert de pronoyaux est une activité très récente et anecdotique. En effet, la première naissance issue de cette technique date de 2016. L’intégration de cette technique dans la législation Française est trop prématurée. Nous manquons encore de données sur la santé à long terme des enfants nés grâce à cette pratique. De plus, même si les recherches internationales sur les conséquences génétiques et le développement embryonnaire sont rassurantes il existe encore trop données contradictoires pour parler d’intégration à la loi française. Par ailleurs, la recherche sur l’embryon en France est très compliquée à mettre en place et l’impossibilité de créer des embryons pour la recherche est un frein à la mise au point technique du transfert de pronoyaux. Ethiquement, ces techniques sont compliquées à comprendre et peuvent rapidement être considérées comme du clonage ou la création d’embryons chimères puisque l’on recourt à l’utilisation du cytoplasme de la donneuse, du noyau de l’ovocyte de la femme requérant une AMP et du noyau du spermatozoïde du conjoint. Je tiens à préciser que le transfert de pronoyaux n’est rien de tout cela. Au Royaume-Uni cette technique n’est autorisée que pour les couples dont les ovocytes de la femme sont porteurs d’une maladie mitochondriale. L’une des craintes que pourrait avoir le législateur est l’extension de cette pratique à d’autres indications non justifiées. En conclusion de cette question …. Si le transfert de pronoyaux doit être un jour débattu cela laisse présager de longues discussions et nous espérons que notre recherche pourra aboutir à des résultats permettant d’alimenter ce débat.

  • 6) Des médecins annoncent que dans 10 ou 20 ans au maximum, il sera possible de créer des ovocytes artificiels. Est-ce que la technique du transfert de pronoyaux ne risque pas de devenir inutile le jour où il sera possible de créer des gamètes artificiels à partir de cellules souches ?
La création de gamètes à partir de cellules souches restent comme le transfert de pronoyaux une technique encore largement débattue. Malheureusement, le problème concernant les maladies liées au cytoplasme restera le même. Les maladies mitochondriales concernent le cytoplasme de l’ensemble des cellules des différents tissus. La cellule souche issue de la patiente conservera donc la pathologie mitochondriale. L’ovocyte issu de cette cellule souche reprogrammée portera encore cette maladie.

  • 7) Quand prévoyez-vous de publier les premiers résultats de vote enquête ?
Nous espérons publier les premiers résultats de cette enquête cet été. Afin que les résultats soient le plus représentatifs possible nous attendons un maximum de réponse représentant toutes les classes d’âge et toutes les catégories socio professionnelles. La publication des résultats pour les répondants à l’enquête nous tient à cœur.

  • 8) La loi impose que le don d’ovocytes doit être anonyme, ce qui interdit le don direct. Est-ce qu’il faudrait selon vous prévoir une exception dans le cas d’un transfert de pronoyaux ?
C’est une très bonne question ! Cela serait une possibilité non négligeable pour diminuer le temps d’attente avant de bénéficier d’un don d’ovocytes. Etant donné l’absence de lien génétique (au sens de l’ADN présent dans le noyau) entre la donneuse et l’enfant, il me paraitrait tout à fait approprié d’autoriser le don dirigé dans le cadre du transfert de pronoyaux. Cela reviendrait à effectuer un don comme un autre tel le don d’organe, le don de moelle osseuse dans lesquels le don direct est autorisé.

  • 9) Actuellement, un donneur qui fait un don de gamètes n’a pas de droit de regard sur l’utilisation de ses gamètes. Selon vous, est-ce qu’il faudrait donner le droit à des donneuses d’ovocytes de choisir que leur don soit exclusivement utilisé dans le cas d’un transfert de pronoyaux, ou à l’inverse, s’opposer à ce que leurs ovocytes servent pour un transfert de pronoyaux ?
Une question sur laquelle j’ai du mal à avoir un avis véritablement tranché … Je pense qu’un don d’ovocytes part d’une démarche altruiste parce qu’on a été sensibilisé par quelqu’un à un moment de notre vie où nous étions réceptives. En ce sens, la démarche du don doit être détachée de l’utilisation réelle des gamètes. Cependant, la réalisation du transfert de pronoyaux avec l’utilisation d’un ovocyte de donneuse nécessiterait un suivi particulier de la grossesse, de l’enfant. S’il s’avère nécessaire de revenir à la donneuse pour obtenir des informations complémentaires il parait important qu’elle soit informée en amont de l’utilisation de ces ovocytes dans le cadre de cette technique.

  • 10) Que pensez-vous de l’actuel projet de loi bioéthique qui doit normalement être promulgué avant la fin de l’année ?
Nous attendons tellement cette loi …. Il y’a eu beaucoup d’aller-retour entre Sénat et Assemblée Nationale ainsi que des reports liés malheureusement à la crise sanitaire que nous connaissons tous. Concernant l’AMP j’espère que les promesses quinquennales seront tenues. Mon seul regret concernera l’absence d’ouverture de la loi à l’autorisation de pouvoir détecter les trisomies ou monosomies les plus fréquentes dans les embryons pour les couples pris en charge en DPI mais ce n’est que partie remise…. Enfin je l’espère.

Nous vous remercions pour toutes ces réponses