C’est sur les bancs de l’université que j’ai fait la connaissance de Camille, qui m’a révélé assez tôt ne pas être capable de devenir mère car elle était atteinte du syndrome de Turner. C’est un maladie qui touche exclusivement les femmes, avec des manifestations variables dues à l’absence complète ou partielle d’un des deux chromosomes X. Ces femmes ont notamment un défaut de fonctionnement des ovaires, obligeant le recours au don d’ovocytes pour avoir des enfants. Camille a toujours sensibilisé son entourage au don.
Et pourquoi pas moi ? Mon amie n’avait pas besoin de moi pour un don (les personnes éligibles au don peuvent raccourcir leur délai d’attente en venant avec une donneuse), mais je ne faisais pas une grande utilité de mes ovocytes. J’ai 30 ans, en couple depuis 8 ans mais pas de projet d’enfant, je ne sais pas si ce choix est définitif.
Ce don était pour moi une façon de faire preuve de sororité. Je m’estime chanceuse d’être en bonne santé. Au niveau purement génétique,mes parents sont toujours en vie, ma mère de 70 ans rentre toujours dans du 36 et fait son footing tous les matins, elle n’a jamais eu de grave problème de santé. Mon frère et son fils sont aussi en bonne santé. Bref, tous les feux sont au vert me direz-vous. Le don de gamète ne me pose pas de problème éthique, je ne vois pas dans le don d’une cellule un abandon d’enfant.
Je me suis donc rendue au centre habilité au don d’ovocytes le plus près de chez moi, à 20 kilomètres. L’accueil est agréable mais on m’annonce que les différents entretiens préalables (gynécologue, psychologue, généticienne) ne pourront être fait le même jour à cause d’une incompatibilité d’agenda des différents professionnels. Je prends donc 2 demi jours de congés pour me rendre aux RDV. On me donne de nombreux papiers à remplir dont un formulaire qui retient mon attention : le consentement de mon conjoint.
« Mon corps m’appartient », ce slogan qui a défendu le droit à l’avortement résonne en moi comme un étendard. Et c’est au cours de ce don qu’on le réfute violemment. Les professionnels de santé sont désolés : « si vous déclarez que vous êtes célibataire, vous n’aurez pas à le remplir, c’est une simple déclaration ». Révoltant. Je suis en couple, mon conjoint soutient ma démarche mais il se demande bien qu’est-ce qu’il vient faire là dedans. Quel droit a-t-il sur MES cellules ? « Ne vous inquiétez pas, c’est la même chose pour les hommes ». C’est censé me rassurer ? Dans quelle société sommes nous encore ? Quel droit la vie commune donne sur le corps de l’autre? Sur ses choix? J’ai vécu la signature de ce formulaire d’autorisation comme une vraie violence. J’étais convaincue que le combat mené par des générations de femmes avant moi m’éviterait de demander l’autorisation de mon conjoint dans quoi que ce soit.
La seconde épreuve fut la généticienne. Naïvement, je pensais que ne pas avoir connaissance de maladie grave suffisait. Ma famille a une histoire complexe, comme de nombreuses familles je pense. J’ai rompu les liens avec mon père et donc sa famille, et ma mère a perdu ses parents et n’a jamais vraiment créé de liens avec ses frères et soeurs. La généticienne entreprend un arbre généalogique qui s’avère truffé de points d’interrogation et de vide. Elle reste bienveillante mais m’explique que si je ne fais pas des recherches sur ma famille, le don ne pourra pas se faire car il sera trop “risqué” pour les receveurs. Elle me prescrit une prise de sang avec de nombreuses recherches génétiques que je pars faire au laboratoire. Elle me demande de faire des recherches sur ma famille et de la recontacter. Je suis prête à subir une stimulation ovarienne, à subir une ponction douloureuse, mais certainement pas à plonger dans une histoire familiale que je devine venimeuse. C’est trop. Je n’ai jamais été recontactée par le centre de don d’ovocytes.
Tout ça… pour rien! Nous manquons cruellement de dons d’ovocytes en France. Le don est anonyme et gratuit, il est plus éprouvant (stimulation ovarienne, échographie), douloureux parfois. Sélectionner sévèrement les candidates selon des règles décidées par la médecine ne serait-il pas un luxe?
A 30 ans, débordante de santé, j’ai été “ghostée” par le centre de don d’ovocytes (aucune lettre de refus, aucune relance). Certes la crise sanitaire a dû bouleverser les plannings mais les demandes des couples infertiles sont toujours là. La vraie problématique est toujours la question du refus du choix, et du déni d’autonomie de la personne dans la médecine de 2020. Refus de l’autonomie de la donneuse qui doit demander à son conjoint et refus de l’autonomie des receveurs à qui on pourrait proposer mon profil et le “risque” associé. Le refus de mon don se fait selon des critères qui ont été fixés par un
paternalisme médical qui n’a plus lieu d’être.