Auteurs : Léa Karpel, Muriel Flis-Trèves, Valérie Blanchet, François Olivennes, René Frydman.
Unité d’Aide Médicale à la Procréation, Hôpital Antoine-Béclère, 157, rue de la Porte-de-Trivaux, 92141 Clamart
Date de mise en ligne : 2005
Résumé
Introduction
Depuis la loi de bioéthique de 1994, le don d’ovocytes en France est réalisé uniquement de manière anonyme. La donneuse d’ovocytes ne peut être rémunérée et aucune publicité incitant au don n’est autorisée. Bien que n’étant pas obligatoire, les couples demandeurs sont incités à motiver une femme volontaire, déjà mère et âgée de moins de 36 ans, à donner ses ovocytes dans le centre où ils sont suivis. Cependant, ils recevront de manière anonyme les ovocytes d’une autre femme.
Objectifs
Deux principales questions découlent de cette situation : que deviennent les relations entre les couples et la donneuse volontaire ? Le don constitue t-il un secret entre les parents et l’enfant né du don ?
Matériel et méthode
Nous avons contacté tous les parents (n= 83) ayant donné naissance à un enfant, suite à un don d’ovocytes effectué dans notre centre, entre 1988 et 1998. Les parents ont été interviewés par la psychologue du service sur la base d’un questionnaire.
Résultats
Quatorze couples ont été perdus de vue (17,8 %) et 3 couples ont refusé de participer à notre étude. Soixante-dix pour cent des couples n’ont pas révélé à leur enfant le recours au don, alors que leur donneuse volontaire a été trouvée soit dans leur famille (50 %), soit parmi leurs amis (34 %), soit parmi leurs collègues (6 %) ou leur était inconnue avant son don (10 %). De plus, 41 % des couples ont nommé la donneuse volontaire comme marraine de l’enfant et 15 % des parents ont souhaité l’informer en priorité de la naissance de leur enfant. Pour remercier la donneuse volontaire, 57 % des couples lui ont offert un cadeau matériel et 33 % continuent à être aidant pour sa famille. Dix pour cent des donneuses ont refusé le cadeau. Lors de cette enquête en 2001, 25 % des parents n’avaient plus de contact avec la donneuse volontaire. Quant à la donneuse « réelle » à l’origine de la moitié du capital génétique de l’enfant, 63 % des parents ne souhaitent connaître aucune information à son propos, 20 % souhaitaient obtenir des informations d’ordre médical et 13 % recevoir toutes sortes d’informations la concernant. Seuls 2 % souhaitent connaître son identité et 2 % la rencontrer.
Conclusion
Le recours au don d’ovocytes constitue, dans 70 % des cas un secret, ou plutôt un non-dit entre les parents et l’enfant, puisque la donneuse volontaire est dans 75 % des cas encore en contact avec l’enfant. Le système français a créé une double dette chez les couples receveurs, une à l’égard de la donneuse « réelle » et l’autre à l’égard de la donneuse « volontaire ». Cependant, 41 % des parents trouvent un moyen d’humaniser la procédure de don, en offrant une place de marraine à la donneuse volontaire, dite « donneuse symbolique ».
Citation : J Gynecol Obstet Biol Reprod / Volume 34, n°6, 2005 : 557-567
Lien du document : : https://doi.org/10.1016/S1637-4088(05)86237-6
Mots clés : Don d’ovocytes, Secret, Psychologie
Extrait :
On peut se demander si le choix légal de l’anonymat de la donneuse réelle n’est pas une lourde pierre portée à l’édifice du secret, en obstruant les portes menant aux origines génétiques. La loi favorise
l’inclinaison psychique naturelle du parent stérile, meurtri, préférant effacer scrupuleusement les traces de la honte et du « crime de stérilité » : la grossesse est là, la mère sûre, le père aussi, qui vient donner son nom. Le don d’ovocytes pourrait ainsi laisser l’impression d’une concordance biologique, légale et sociale qui conforte la transmission filiale dans nos sociétés où la mère n’est pas à remettre en cause.
Par la loi régissant le don d’ovocytes, on ne peut rien répondre aux enfants nés du don d’ovocytes à propos de la donneuse réelle, si ce n’est qu’elle est une femme généreuse qui comme la marraine ou la tante a donné ses ovocytes. Notre recherche, en portant sur la position des parents vis à vis du secret, en particulier des mères, semble conforter le choix de l’anonymat. Cependant, nous n’avons pas évalué le désir des enfants (d’âges très disparates) de connaître cette donneuse réelle avec laquelle il pourrait avoir des traits phénotypiques de ressemblance. Si nous interrogions les enfants nés du don d’ovocytes dans quelques années, retrouverions-nous les même proportions en défaveur de la levée de l’anonymat de la donneuse réelle ? Ou assistera t-on au contraire à un mouvement du droit des enfants à la connaissance de leur origine génétique, tel qu’on l’a observé pour les enfants adoptés ?